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Plus de deux ans après la nouvelle loi sur la prostitution, les retours du terrain sont divers et mitigés. Les partisans de la loi dénoncent un manque de moyens, les élus observent un phénomène prostitutionnel toujours difficile à juguler.
Exit le délit de racolage, la loi d’avril 2016 accorde aux prostituées le statut de victimes de violence. Tandis que les clients viennent rejoindre les rangs des délinquants dans le système prostitutionnel, aux côtés des proxénètes ((Le Parquet décide de la peine infligée au client verbalisé. Dans la plupart des cas, le juge incite le client à suivre un « stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels », en mettant une amende plus élevée que le coût du stage. En cas de récidive, le client commet un délit, sans peine de prison, son amende peut s’élever à 3 500 euros.)). « Cette loi a opéré un changement de paradigme », se félicite Stéphanie Caradec, directrice du Mouvement du Nid, une association spécialisée dans l’accompagnement des prostituées et indéfectible à la loi.
Selon le Mouvement du Nid, 9 000 prostituées seraient aujourd’hui susceptibles de sortir de réseau prostitutionnel
« Le sujet de la prostitution, violence que subissent les femmes, est devenu une véritable politique publique, avec notamment la mise en place des commissions départementales » souligne-t-elle. Avec le soutien d’associations spécialisées, les prostituées peuvent obtenir des « parcours de sortie » que leur accordent ces nouvelles commissions.
Avancée du point de vue de la dignité humaine, la loi ne règle pas toujours les problèmes auxquels sont confrontées les communes, en matière de tranquillité, de salubrité et de sécurité publique.
À Lyon, la verbalisation échoue
Des centaines de prostituées sillonnent toujours le 7e arrondissement lyonnais, le secteur Gerland en particulier, de jour comme de nuit. À tel point que « les clients en viennent à aborder n’importe quelle femme » s’insurge Jean-Yves Sécheresse, adjoint (PS) au maire de Lyon à la sécurité et à la tranquillité publique, au vu des plaintes reçues.
La verbalisation des clients a-t-elle porté ses fruits ? Impossible à appliquer, soutient-il. À quoi bon verbaliser, confie un policier puisque, d’une part le parquet a d’autres chats à fouetter, et que d’autre part : « une verbalisation pourrait très vite mal tourner, et nous ne sommes que deux face à des groupes d’individus bien plus nombreux ».
« On peut progresser dans des tas de domaines de la sécurité urbaine. Sur la prostitution, on est en échec permanent »
Pour enrayer le phénomène prostitutionnel, Lyon a mis en place, depuis plusieurs années, un arrêt municipal interdisant le stationnement de camionnettes. Les infractions pleuvent quotidiennement, mais les résultats sont peu concluants.
Au rayon nettoyage, la métropole a fort à faire. Les services interviennent de manière active, avant l’arrivée des usagers le matin. « La situation devient une horreur dès qu’on baisse la garde » souligne l’adjoint. Et de lâcher défaitiste : « On a le sentiment qu’on peut progresser dans des tas de domaines de la sécurité urbaine. Sur la prostitution, on est en échec permanent ».
La commune de Lyon s’apprête à expérimenter des caméras amovibles. Elle examine par ailleurs l’arrêté anti-prostitution de la commune d’Albi, dont la cour administrative d’appel de Bordeaux a validé la légalité en juin dernier.
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À Champs-sur-Marne, l’État ferme les yeux sur la réalité des bidonvilles
La prostitution est apparue, cet été, à la frontière de Noisy-le-Grand et de Champs-sur-Marne, en Seine-et-Marne, à proximité de la future gare du Grand Paris Express. La première réaction de Maud Tallet, maire PCF a été de faire vérifier par la police nationale s’il y avait des mineures, afin de les placer, le cas échéant, sous protection judiciaire.
Ensuite, ce fut au tour de la police de demander à la commune de prendre des arrêtés anti-stationnement pour dissuader les clients et éloigner les prostituées. « Je l’ai fait, commente la maire, même si c’est prendre le problème par le tout petit bout de la lorgnette » estime-t-elle.
« On ne résoudra pas le problème des violences interfamiliales, des reproductions de schéma, sans se donner les moyens »
Les policiers nationaux ont aussi effectué une série de verbalisations de clients. Mais c’est bien en amont qu’il faudrait agir, soutient l’édile. La plupart de ces prostituées viennent d’un bidonville démantelé sur sa commune par l’État, sans qu’un accompagnement social ait été organisé en bonne et due forme.
« La circulaire Valls du 26 août 2012 n’a jamais été appliquée » déplore la maire. « On ne résoudra pas le problème des violences interfamiliales, des reproductions de schéma, sans se donner les moyens ». Et de dénoncer un manque cruel de volonté de l’État « qui ne favorise pas non plus la scolarisation des enfants des Roms au-delà du collège, autre solution pour briser ce cercle vicieux ».
À la connaissance de Maud Tallet, aucune des prostituées roms n’a émis le souhait de sortir de la prostitution via les parcours de sortie instaurés par la loi 2016.
Valence joue sur la peur de la verbalisation et gagne
C’est en actionnant, habilement, le volet répressif de la loi de 2016 que la commune de Valence a mis un terme, en quelques semaines, à la prostitution sur le site de l’Épervière. La prostitution sévissait depuis une vingtaine d’années sur ce site transformé récemment en parc urbain de sept hectares, de plus en plus fréquenté par des familles et des enfants. « Un jour, ça m’a pris, explique Nicolas Daragon, maire LR de Valence. Je me suis dit : on va essayer la "méthode com" ».
Le fond du problème lié aux réseaux de proxénétisme n’est pas résolu. « À la Justice et à la police de s’en charger », estime le maire
Du jour où ont été posés caméras de vidéosurveillance et grands panneaux d’information menaçant les clients d’être verbalisés, la prostitution a disparu… Depuis le début de l’année, 97 clients ont été verbalisés.
S’ajoutent à cela 200 verbalisations au code de la route dressées par la police municipale, dont l’effectif a été doublé par la majorité en place, tient à souligner le maire de Valence. Le premier magistrat n’est du reste pas dupe, la prostitution s’est déplacée ailleurs. Le fond du problème lié aux réseaux de proxénétisme n’est pas résolu. « À la Justice et à la police de s’en charger » estime-t-il.
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Trop tôt pour tirer un bilan ?
Il ne faudrait pas tirer de bilan trop hâtif de cette loi, préviennent les militants du Mouvement du Nid. En avril dernier, seulement une quarantaine de commissions départementales « de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains » étaient en place. Lesquelles ont à peine eu le temps de se roder. D’où le nombre de parcours de sortie s’élevant à 150, depuis la création de la loi…
« En pratique, il est rare qu’une commission départementale ait accordé jusqu’ici plus de dix parcours de sortie » constate Stéphanie Caradec. La commission du Loiret s’est penchée sur deux premiers parcours de sortie tout récemment. Pour le Mouvement du Nid, le compte n’y est pas, puisque 9 000 prostituées seraient aujourd’hui susceptibles de sortir de réseau prostitutionnel.
« Il n’y a aucun financement des associations pour s’occuper de ces parcours de sortie »
L’État prévoyait ainsi mille parcours de sortie ((La loi prévoit des indemnités mensuelles pour les prostituées qui n’ont pas droit aux RSA, à hauteur de 330 euros par mois et un titre de séjour si besoin.)) la première année, puis 600 en 2018, et 500 finalement en 2019. Comment expliquer le décalage entre les chiffres et la réalité ? « Il n’y a aucun financement des associations pour s’occuper de ces parcours de sortie » fustigent les militants débordés.
Sur le volet des verbalisations, les résultats sont particulièrement maigrichons et à géométrie variable. Seule une dizaine de départements appliquent la loi. Un peu moins de 3 000 clients auraient été pris dans les mailles du filet.