Loi MAPAM et culture : craindre la décentralisation ou parier sur elle ?

François Deschamps

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Loi MAPAM et culture : craindre la décentralisation ou parier sur elle ?

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© Dalbera

Les possibilités de délégation de certaines compétences de l’État vers des collectivités ont semé le trouble dans le milieu culturel. Les craintes soulevées par ces dispositions nouvelles sont nombreuses, sont-elles pour autant justifiées ? Éléments de réponse.
Si l’on a surtout insisté, dans la loi MAPAM (loi Lebranchu), sur les compétences – y compris culturelles – des nouvelles métropoles, c’est en fait son article 2 qui a mis en émoi un certain nombre d’organisations professionnelles du monde culturel. Un article qui prévoit que l’État peut déléguer, par convention, à une collectivité ou à un EPCI qui en fait la demande, l’exercice de certaines de ses compétences, y compris dans le domaine culturel. L’inquiétude aurait été moindre si on ne connaissait pas de sévères contraintes budgétaires tant pour l’État que pour les collectivités.On peut le comprendre car les lois de décentralisation sont de moins en moins pensées, concertées, expérimentées, financées et accompagnées dans le domaine culturel (cf. les enseignements artistiques après la loi de 2004). L’inquiétude s’est enfin cristallisée avec son application dans le cadre du Pacte d’avenir pour la Bretagne, avec une région volontariste dans la défense de la langue bretonne et de la diversité culturelle.Quelle est la nature de cette inquiétude ? Tout d’abord la crainte d’un transfert insidieux de compétences qu’abandonnerait l’État. S’ajoute l’argument que là où les services déconcentrés exerçaient une fonction de régulation, la collectivité délégataire puisse « imposer ses orientations à d’autres collectivités». Quid ensuite de la mobilisation des moyens humains nécessaires à l’exercice des compétences déléguées : ne se ferait-elle pas par réduction de certains personnels de l’État (Drac) ? Enfin « la décentralisation culturelle ne vaut en France que si l’État culturel existe, non seulement au nom de l’égalité des territoires […] mais aussi parce qu’il y a une nécessité pour l’État d’exercer son contrôle scientifique ». Ces craintes sont-elles justifiées ?

Une délégation n’est pas un transfert de compétences

Le président de la République a précisé aux organisations professionnelles que les délégations de compétence en matière culturelle seront réversibles ou provisoires, limitées dans leur périmètre et que dans ce cadre législatif, elles ne s’accompagneront pas d’un transfert des moyens administratifs des Drac. Pour autant, il est vrai que cet article sur la délégation n’a pas fait une distinction très claire entre gestion d’une compétence et responsabilité. La compétence culturelle doit être assumée par toutes les formes de la puissance publique ; la loi aurait donc dû préciser, comme l’avait suggéré la FNCC (Fédération des collectivités pour la culture), que dans le domaine culturel, la délégation de compétences concerne « la gestion de certains outils avec lesquels l’État exerce ses compétences», et non l’exercice de la compétence elle-même. Une telle formulation aurait été en phase avec l’esprit souhaitable de la décentralisation culturelle, à savoir une coconstruction aussi étroite que possible au nom de l’égale responsabilité nationale de l’État et des collectivités en la matière.Quoi qu’il en soit, cette délégation n’est pas immédiate. Elle n’advient qu’après une négociation, adaptée au territoire, entre l’État et la collectivité, notamment sur la répartition des moyens à affecter. « Pourquoi ne pas en profiter pour rénover les missions publiques confiées aux professionnels des arts, estime le président de la FNCC, « il ne s’agit pas de se figer sur des acquis, le monde change et l’organisation politique doit s’adapter et aiguiller l’avenir vers plus de respect de la diversité, des droits culturels des personnes, et des spécificités des territoires ».
Les lois de décentralisation sont de moins en moins pensées, concertées, expérimentées, financées et accompagnées dans le domaine culturel.

L’égalité des territoires

La garantie de l’égalité des territoires disparaîtrait-elle si certaines compétences de services culturels de l’État étaient déléguées pour un temps à une collectivité ? Pour ma part, je n’ai jamais partagé les craintes d’une inégalité territoriale qui se serait globalement accrue du fait de la décentralisation (que l’on songe à l’état de nos bibliothèques départementales de prêt, de nos collèges et de nos lycées aujourd’hui, en regard de ce qu’ils étaient avant la décentralisation). De nouvelles dynamiques en matière de politiques publiques territoriales, la fonction d’équilibre que jouent les intercommunalités, les aides des régions et des départements sont autant d’outils pour œuvrer pour l’égalité territoriale… L’État n’en a pas le monopole, notamment dans le domaine culturel où ses efforts récents de rééquilibrage territorial sont restés bien modestes en regard du poids des crédits centraux majoritairement consacrés au financement des grandes institutions parisiennes.
 Je n’ai jamais partagé les craintes d’une inégalité territoriale qui se serait accrue du fait de la décentralisation.

La qualité artistique des projets

Cela fait bien longtemps maintenant que les collectivités n’ont plus à rougir du niveau de compétences de leurs chargés de mission culturels, tout autant compétents que leurs collègues de l’État pour savoir évaluer la qualité artistique des projets artistiques qui leur sont soumis (ce qui n’est jamais une science exacte et ne peut faire l’objet d’un contrôle « scientifique »). Dans une certaine continuité avec les « protocoles de décentralisation » qu’avait lancés en son temps le secrétaire d’état Michel Duffour, la délégation de compétence sur telle ou telle question culturelle est à remettre à sa juste place : c’est un outil de la décentralisation, dont l’intérêt dépendra de la manière dont il est négocié, financé… et évalué. Tout en restant vigilant, on ne peut que souscrire à l’idée d’expérimenter de nouveaux modes d’action publique dans le cadre d’une nouvelle étape de la décentralisation, y compris en matière culturelle.

Une décentralisation sans la présence de l’État ? La poursuite sur les territoires d’une politique nationale doit certes être réaffirmée dans ce secteur qui s’est construit petit à petit sur des financements croisés. Lors de la Biennale du spectacle (BIS) de Nantes en janvier dernier, la ministre de la Culture a cherché à rassurer : « La culture doit être « la » compétence partagée mais, tous ministères compris, le poids de l’État est vital en matière culturelle. Si la culture n’est pas exclue des nouvelles « délégations de compétences » prévues par la loi MAPAM, nous continuerons à travailler en confiance avec les collectivités, et les Drac ne seront pas démembrées ; au contraire je poursuivrai la déconcentration des moyens vers les Drac, qui ont été très affaiblies par la RGPP ».

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