Loi Notre : des questions à la pelle

Nicolas Braemer
Loi Notre : des questions à la pelle

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© AMATHIEU

Le gouvernement voulait faire de la réforme territoriale un acte de clarification de l’action des collectivités. Encore raté ! Avec ses 136 articles (pour 37 prévus dans le texte initial), la loi "Notre" a tout d’une usine à gaz. Même la fin de la clause générale de compétence pose plus de questions qu’elle ne résout de problèmes. Petit inventaire des casse-têtes en cours de recensement.

Publié le 9 octobre 2015

À discuter avec les territoriaux, DGS, juristes, financiers, qui, depuis sa promulgation, se « coltinent » la mise en application concrète de la loi Notre, on se rend compte de l’ampleur des questions que soulève ce texte. À croire que les heures de discussions au Parlement n’ont pas réussi à lever l’obstacle de sa mise en cohérence.

Une loi aux compromis illisibles

Premier constat, la loi Notre ne comporte que peu d’éléments prescriptifs, peu de mesures directes, peu de dispositions claires. « Ce n’est pas une loi qui se comprend en la lisant, dit ainsi le directeur juridique d’un conseil départemental. À force de compromis, elle a n’a pas vraiment d’esprit ». Pas très étonnant, pour un texte qui comportait 37 articles dans sa version initiale, et qui est sortie du Parlement avec 136 articles. C’est donc « dans les interstices », selon les mots d’un de nos interlocuteurs, que va se jouer l’application de la loi.

Difficulté majeure pour les territoriaux : le flou du texte rend très difficile la production d’éléments juridiques « stables ».

Or, sur le terrain, ça ne va pas être aussi facile. Il y a, bien sûr, les élus qui, profitant des flous du texte, disent déjà qu’ils n’appliqueront la loi Notre que dans la mesure où elle les arrange. Il y a aussi ceux qui veulent avant tout défendre les intérêts de leur collectivité : c’est particulièrement vrai en ce qui concerne les compétences qu’ils pourront, ou pas, continuer à exercer (pour les départements ou les régions), ou en ce qui concerne les subvention ou aides dont ils pourront encore bénéficier après la suppression de la clause de compétence générale. Partis de là, les élus attendent donc de leurs services qu’ils leur donnent des éléments à même de les aider à revendiquer ou à décider. Or, dans un certain nombre de domaines, le flou du texte rend très difficile la production d’éléments juridiques « stables ». Difficulté majeure pour les territoriaux. Où sont les éléments de flou ? En voilà une liste, non exhaustive évidemment.

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La DGCL aux abonnés absents dans la loi Notre

« On n’a pas l’habitude d’être si peu sûrs des conditions d’application d’un texte, remarque la directrice juridique d’une grande collectivité. Nous sommes en attente d’éclaircissements sur de nombreux points et la DGCL est aux abonnés absents. Du coup, cela laisse un grand espace au pouvoir réglementaire des collectivités concernées". Et les exemples sont nombreux.

Tel département possède et gère deux centres de vacances pour la jeunesse, l’un à la montagne, l’autre à la mer. Dans une période où on recherche les économies, la question se pose évidemment de leur suppression, et la fin de la clause générale de compétence offre un bon prétexte pour y parvenir. Mais voilà, la collectivité peut tout aussi bien décider que ces centres de vacances sont un élément important de sa politique en faveur de la jeunesse, sous réserve qu’elle adopte une délibération qui va dans ce sens. Juridiquement, les deux se tiennent. La parole sera donc dans un premier temps aux politiques, sous réserve que leurs services les aient convenablement éclairés, puis peut-être au contrôle de légalité. À moins que, sur ce sujet comme sur de nombreux autres, la DGCL décide d’intervenir à coup de circulaires.

Il faudra passer les politiques au crible pour décider si l’on continue ou pas à payer pour des actions qui ne relèvent plus de la collectivité.

Dans d’autres cas, il s’agira de demander à l’État de prendre ses responsabilités financières. Après la suppression de la clause générale de compétence, il s’agira donc de passer au crible les dépenses et les politiques afin de décider si l’on continue ou pas à payer pour des actions qui ne relèvent désormais plus de la collectivité. Les laboratoires départementaux sont ainsi dans l’œil du cyclone. Ils sont encore 75 en France, coûtant fort cher aux départements. Certains verront donc là l’occasion de s’en débarrasser, ou au moins de ne plus payer seuls. Ces laboratoires contribuent en effet de manière évidente, notamment à travers les analyses sur différents paramètres environnementaux ou à travers celles qu’ils effectuent pour le compte des agriculteurs, à la politique de l’environnement dans un cas, à celle de l’agriculture dans l’autre. Ces deux politique ne faisant plus partie de ces compétences départementales, on pourra légitimement, comme certains départements l’ont déjà fait, saisir les services des différents ministères concernés pour les informer de cette nouvelle position, et des conséquences à en tirer.

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Autre exemple qui va dans le même sens : celui de ce département qui contribue aux frais de fonctionnement de deux centres d’information et d’orientation. Location des locaux, chauffage, nettoyage… il y en a, bon an mal an, pour près de 200 000 € par an. Le conseil départemental, estimant que désormais cette participation n’entre plus dans le cadre de ses compétences « resserrées », a saisi le rectorat, pour lui demander dans quelles conditions le transfert de ces frais de fonctionnement pouvait avoir lieu. Sans réponse pour le moment...

Un nouvel univers de compétences

Car avec la suppression de la clause générale de compétence, la période des compétences obligatoires et des compétences facultatives est révolue, remplacée par un univers de compétences exclusives et de compétences partagées, notamment pour ces dernières, entre le département et les régions.

Pour tenter de clarifier un peu les choses, la DGCL a produit au mois de septembre un "tableau de répartition des compétences", qu’elle a mis en ligne sur son site internet. Politique par politique, les compétences sont ainsi détaillées et « attribuées » aux communes et EPCI, aux départements, aux régions et à l’État. Le problème, c’est que ne figurent pas les références des textes en vertu desquels cette répartition a été faite. Or, la loi Notre dit bien que régions et départements exercent désormais leurs compétences « dans les domaines de compétence que la loi [leur] attribue ». Or, si l’on reprend l’exemple des CIO, le texte qui autorise le département à s’en occuper est un… décret de 1958. Pas une loi donc, et ainsi pas de compétence départementale en la matière désormais. Il est donc bien nécessaire de connaître, compétence par compétence, la loi qui les attribue à la région ou au département pour être sûr qu’elle reste bien dans son giron. Force est de constater que la loi Notre n’y aide pas.

Dans quelle mesure, par exemple, les actions de lutte contre l’illettrisme menées par un département doivent-elle êtres poursuivies ?

Mais dans certains cas, on se trouvera quand même face à des situations bien difficiles à trancher. Dans quelle mesure, par exemple, les actions de lutte contre l’illettrisme menées par un département doivent-elle êtres poursuivies ? On pourra estimer qu’elles entrent pleinement dans la politique d’insertion menée en accompagnement du RSA, car il n’y a aucun sens à espérer que des personnes illettrées pourront être remises durablement sur la voie de la réinsertion sociale et dans l’emploi. On pourra tout aussi légitimement penser que, la formation étant définitivement une compétence exclusive des régions, ces actions devront lui être transférées à ce titre. Juridiquement, les deux positions se tiennent. Au politique, donc, de trancher par délibération. À moins, là encore, que la DGCL ne le fasse.

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« Périmètrer », vite !

Que faire dès lors ? Un DGS conseille d’adopter une démarche de sécurité juridique : délibérer au plus tôt sur les compétences qu’on entend continuer à exercer, afin de « périmètrer » le plus précisément possible les politiques de la collectivité. « Mais, dit notre DGS, il va falloir convaincre les élus qui n’ont pas l’habitude de cette démarche et qui ont plus l’habitude d’intervenir au coup par coup ». Quelques exemples permettront de mieux comprendre cette nécessité de « périmétrage ». Que fait-on des subventions que nombre de départements accordaient aux associations locales des maires ? Illégales désormais, diront sans doute les préfets. Mais les supprimer est politiquement compliqué pour bien des exécutifs départementaux, qui pourront, peut-être, même si c’est juridiquement un peu « tordu », les justifier au titre de leur compétence de solidarité territoriale.

Certains conseillent de délibérer au plus vite pour mettre les préfets devant le fait accompli.

Autre sujet éminemment délicat, qui préoccupe fortement les juristes : la composition des divers syndicats. Au nom de leurs diverses politiques, les départements sont présents dans nombre de ces syndicats : électricité, développement du haut débit, syndicats de pays… la liste est longue. Beaucoup de départements, qui craignent que la fin de la clause générale de compétence ne signe le début du déclin de leur influence, souhaiteront rester dans ces syndicats. Mais dans bien des cas, la loi Notre est muette sur les conditions dans lesquelles ils pourront le faire. Certains conseillent donc de délibérer au plus vite pour fixer les choses, afin de mettre les préfets devant un fait accompli et rendre plus difficile une éventuelle « expulsion ».

Régions/départements, un grand champ d’incertitude

Enfin, un grand champ d’incertitudes s’ouvre dans les rapports entre départements et régions sur les compétences transférées de uns aux autres. Un exemple ? Les transports scolaires. La loi Notre dit que la compétence est transférées aux régions qui pourront, si les départements sont d’accord, la leur déléguer en retour. Mais ce principe soulève de nombreuses question : que déléguera-t-on dans ce cadre ? L’intégralité de la compétence, et donc la définition totale de la politique de transports scolaires (tarifs, gratuité, itinéraires desservis…) ? Et dans ce cas, qu’en sera-t-il de l’égalité devant le service public entre des départements d’une même région qui n’offriront certainement pas le même niveau de service ? Et si l’intégralité de la politique n’est pas déléguée, imagine-t-on un département se contenter d’avoir à procéder à la simple mise en œuvre de décisions qu’il n’aura pas prises ?

Sur le même sujet : Réforme territoriale, un bus scolaire nommé désir

Qu’en sera-t-il de l’égalité devant le service public entre des départements d’une même région qui n’offriront certainement pas le même niveau de service ?

Rarement une loi aura ouvert autant d’incertitudes dans sa mise en œuvre. Les choses se décanteront donc au fur et à mesure, mais on peut quand même conclure sur une interrogation. Les partisans du cumul des mandats expliquent à qui veut l’entendre la nécessité d’un Parlement où les élus locaux doivent être présents en nombre, comme une garantie contre les usines à gaz éloignées des préoccupations et des contraintes du terrain. On voit ce qu’il en est, et ce qu’ont pu produire une Assemblée nationale et un Sénat encore composés à 76 et 81 % de parlementaires détenteurs d’un mandat local.

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