BILBAO
© D.DESCOUENS
Article publié le 29 janvier 2014
Le visage de Bilbao aurait changé du tout au tout le jour où son musée a ouvert ses portes, attirant massivement les foules séduites par une architecture exceptionnelle. C’est ce que tend à faire croire l’expression « effet Bilbao », utilisée à toutes les sauces. Pourtant, le fameux effet ne s’est pas construit en un jour… et à vrai dire, il a même surpris l’équipe municipale à l’origine du projet de musée. Car un véritable travail de fond a été réalisé pour offrir un nouveau visage à Bilbao, ancienne ville riche de son industrie, son port et son université réputée au début du xxe siècle, tombée en déshérence dans les années 1970. La fin des mines de fer, de la sidérurgie, des chantiers navals sonnèrent le glas de l’une des villes les plus opulentes d’Espagne.
D’abord, repenser la ville
Avant que ne soit construit le musée Guggenheim en 1997, un vaste chantier de réhabilitation intégrant la ville et ses environs fut mis en place. Il allait bien au-delà de la simple idée d’attirer les touristes en nombre. Avant cela, il fallait repenser l’urbanisme, déplacer ce port situé en plein cœur de Bilbao, puis gommer du paysage les nombreuses friches industrielles. Dix ans avant l’ouverture du musée Guggenheim, la municipalité entreprenait de repenser sa ville. C’est dans les années 1980 que déjà, elle décidait de soutenir la culture matérielle et immatérielle locale : l’architecture unique du Vieux Bilbao, l’art de vivre, la gastronomie…
Dix ans avant l’ouverture du musée Guggenheim, la municipalité entreprenait de repenser sa ville
Évelyne Lehalle, retraitée du ministère de la Culture et spécialiste du tourisme culturel, travaille souvent avec Bilbao pour son agence Nouveau tourisme culturel. Au départ, dit-elle, « je ne comprenais pas comment ils pensaient ! ». À mille lieues des habitudes françaises, où la spécialité est le cloisonnement des compétences, les équipes de Bilbao étaient priées de travailler ensemble.
Quel que soit le projet, il était envisagé comme un élément du développement de la ville.
« Les équipes, extrêmement compétentes, très dynamiques et très jeunes, ont intégré depuis longtemps qu’il fallait avoir une vision globale. » Quel que soit le projet, il était envisagé comme un élément du développement de la ville. Au milieu de ceux-là se trouvait le musée Guggenheim… Guggenheim, une marque internationale qui a sans conteste décuplé l’effet attendu. Mais si, par la suite, Bilbao a vu son attraction touristique grandir, c’est bien grâce au travail de fond réalisé sur la ville, ses infrastructures et son accueil.
Pas de stratégie touristique
En France, d’après Évelyne Lehalle, le Louvre-Lens et le centre Pompidou de Metz n’ont pas élaboré une stratégie touristique poussée. Le nombre de visites est très encourageant. Cependant, explique-t-elle, « on ne sait pas encore penser comme cela ». Tout n’est pas fait dans le même ordre, mais Lens, cité ouvrière en quête de renouveau, trace un sillon assez proche de celui de Bilbao – toutes proportions gardées. Dès l’annonce en 2004, la région a tenté de rassembler les acteurs locaux autour du projet du Louvre. La démarche a pris du temps, certains ne croyant pas vraiment au projet, mais l’association Euralens est finalement créée en 2009. La démarche permet de mieux intégrer le musée au paysage, en créant des ponts avec l’ancienne cité minière.
Le tourisme culturel et industriel est envisagé dans son ensemble, élargissant le projet aux dizaines de musées qui peuplent la région.
Le tourisme culturel et industriel est envisagé dans son ensemble, élargissant le projet aux dizaines de musées qui peuplent la région. Enfin, l’offre hôtelière est peu à peu enrichie et les collectivités travaillent sur l’accessibilité. Ces démarches interviennent en léger décalage avec l’ouverture du Louvre-Lens, là où Bilbao avait préparé le terrain bien en amont. Mais, comme le note Évelyne Lehalle, « il n’existe pas un seul modèle, on peut en inventer d’autres ».
Évelyne Lehalle, fondatrice de l’agence Nouveau tourisme culturel
« En France, culture et tourisme restent difficiles à lier »
« Les expertises sur la faisabilité des politiques culturelles et touristiques sont quasiment inexistantes en France. Les maires ont spontanément tendance à consacrer les actions de leurs musées et monuments au public de proximité. Pourtant, environ 60 % des visiteurs des musées sont des touristes. Tant que le rapprochement culture et tourisme ne sera pas dans les missions du ministère, il y aura un problème.
En France, une trentaine de musées et monuments, tous situés en Ile-de-France, attirent la majorité des visiteurs. Les quelque 3 000 autres sites se partagent les miettes du gâteau. Pourtant, nous sommes le premier pays touristique, sans même jouer la carte de la culture !
La ville de Bilbao est devenue attractive pour les touristes grâce à la vision globale des équipes en charge du tourisme culturel. En France, je dirais que seules les villes de Paris, Lyon et Nantes travaillent en mêlant la culture, l’urbanisme, le transport… Il existe aussi une vraie porosité entre les formes d’art, associant le numérique, la création pour l’art contemporain, en ouvrant des laboratoires de création. C’est une vision encore trop peu répandue en France.
L’effet capitale culturelle européenne perdure dans le temps grâce à l’effet de communication. Marseille a pu profiter de cet éclairage pile au moment où son image se détériorait. Cette notoriété est durable et il suffit de peu pour l’entretenir. Par exemple, Liverpool bénéficie encore de cette aura depuis 2008. »