Luc Rouban : « L’arrivée des contractuels n’est pas une bonne nouvelle pour les cadres »

Stéphane Menu

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Luc Rouban : « L’arrivée des contractuels n’est pas une bonne nouvelle pour les cadres »

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Pour Luc Rouban, l’un des meilleurs observateurs de la fonction publique et de ses évolutions, la loi Dussopt opère une rupture. L’alignement sur le droit privé marque un glissement vers une « privatisation de la fonction publique ». Il pose une question : à quoi servira-t-il de faire une grande école, type ENA ou Inet avec l’arrivée des contractuels ?

Quel regard portez-vous sur la loi de transformation de la fonction publique ?

Deux phénomènes se détachent. D’abord une simplification de la gouvernance, avec une gestion plus hiérarchisée des CAP, des comités techniques, du CHSCT. C’est la fin d’un véritable paritarisme. C’est une nouvelle donne très inspirée du droit privé. Il est clair que, de François Hollande à Emmanuel Macron, nous assistons à l’affaiblissement des syndicats et au renforcement de la ligne hiérarchique. Le deuxième phénomène concerne la malléabilité croissante de la fonction publique avec le recours aux contractuels pour des emplois de direction mais aussi pour les catégories B et C avec la possibilité d’une rupture contractuelle sur laquelle je m’étonne que le Conseil d’État n’ait pas tiqué au regard du statut des fonctionnaires, qui en prend donc un coup. Par ailleurs, lorsque des compétences seront transférées du public vers le privé, ce sont les dispositions de droit privé qui prévaudront. C’est une forme rampante mais réelle de privatisation de la fonction publique, comme l’a fait la Grande-Bretagne dans les années quatre-vingt. Une façon de contourner le statut et de pouvoir transformer, comme à France Télécom, certains pans du service public. Cette loi s’inspire d’une logique néolibérale.

« C’est la fin d’un véritable paritarisme, une nouvelle donne très inspirée du droit privé »

On perçoit une dissociation forte entre les syndicats, qui forment un front du refus, et les associations de fonctionnaires, qui sont plus compréhensives…

La crise du dialogue social est bel et bien là. Le gouvernement est confronté à une équation difficilement soluble : comment favoriser la mobilité dans la fonction publique ? La mobilité ne concerne pas les jeunes cadres mais plutôt les seniors. L’arrivée des contractuels n’est pas une bonne nouvelle pour les cadres et pose une question simple : à quoi sert-il de faire une grande école, type ENA ou Inet si les élus vont recourir plus facilement aux contractuels ? Comment faire carrière dans un tel contexte ? Maintenant, il ne faut pas se leurrer. Des hordes de cadres ne vont pas débouler dans les emplois de la fonction publique. Parce que cette dernière sera de moins en moins apte à offrir un plan de carrière, ce que fait beaucoup mieux le privé.

La fonction publique sera de moins en moins apte à offrir un plan de carrière, ce que fait beaucoup mieux le privé

C’est-à-dire ?

L’objectif est de s’inspirer du modèle britannique ou allemand. Une Haute fonction publique traitant les missions régaliennes et le reste en phase de privatisation ou presque. En Allemagne, les trois quarts des fonctionnaires relèvent du droit privé. Dans les années quatre-vingt, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, est né le pantouflage avec des allers-retours entre public et privé. La Haute fonction publique s’est détachée des autres cadres, son sens du service public est très imprégné désormais d’une vision mondialisée du poids de l’État. C’est en contradiction avec ce que la population attend. Je viens de finir une étude pour l’AMF sur les maires ruraux. Contrairement à ce que l’on croit, les Français ne veulent pas vivre dans les grandes métropoles, ils y sont contraints. Il y a une très forte demande de ruralité, de villes moyennes, pour vivre dans un cadre moins stressant. Il faudra donc des collectivités territoriales à la hauteur de ces attentes.

Luc Rouban est directeur de recherche au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

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