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Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et chercheur au Cevipof. Son travail porte principalement sur les transformations du secteur public en Europe et plus particulièrement sur les mutations de la fonction publique et la réforme de l’État. luc.rouban@sciencespo.fr
Pour quelles raisons les fonctionnaires sont-ils de plus en plus séduits par le FN ?
L’accentuation de cette implantation remonte à 2012. On peut l’expliquer par le fait que les enjeux autour de la fonction publique sont devenus des sujets d’actualité, avec la mise en place de la RGPP par Nicolas Sarkozy, puis la mise en œuvre d’un train de réformes structurelles par François Hollande. Et le débat se poursuit dans le cadre de l’actuelle campagne présidentielle, notamment autour des propositions de François Fillon. Sans oublier le débat sur les déficits budgétaires des fonctions publiques. La grande idée est d’aligner notre économie sur les standards de la mondialisation, qui font moins de place aux services publics tels que nous les concevons. L’autre raison concerne la fragmentation progressive de la société française. Si la France reste la sixième nation mondiale en termes de PIB, elle fait face, comme d’autres États occidentaux, à des inégalités croissantes. Dans ce contexte, la tendance à l’œuvre dans l’opinion est à la droitisation. La gauche, de plus exposée par le fait qu’elle est au pouvoir, perd clairement du terrain auprès des fonctionnaires.
C’est un changement de cap radical chez Marine Le Pen ?
Dans la perception, en tout cas. Reste à savoir si tous les fonctionnaires liront son programme, qui reste encore à préciser d’ailleurs. Le FN veut récupérer le malaise des agents d’exécution, des précaires et des pauvres. Sur le retour de l’autorité de l’État, policiers, pompiers, enseignants dans les zones d’éducation prioritaire font face à des injonctions contradictoires. Un discours politique ferme confronté à un concret où il faut parfois fermer les yeux sur les effets du communautarisme ou encore la difficulté à faire régner l’ordre dans certains quartiers.
Les fonctionnaires ressentent un déclin de leurs métiers. Nous sortons de deux quinquennats ratés pour la fonction publique.
Comment se traduit cette droitisation ?
François Fillon obtient 19 % d’opinions favorables auprès des cadres de la FPT. Emmanuel Macron, qui est perçu comme un centriste plutôt libéral, obtient un chiffre à peu près similaire. Plus surprenant, Marine Le Pen séduit 14,2 % des cadres de la FPT. Nous sommes dans le cadre d’adhésions qui ne sont plus déterminées par les conséquences sur le cadre professionnel mais sur des enjeux sociétaux qui ont pris le pas sur le fait de savoir comment les candidats de droite et d’extrême-droite géreront les collectivités locales.
Les enjeux sociétaux ont pris le pas sur le fait de savoir comment les candidats de droite et d’extrême-droite géreront les collectivités locales.
Le fil rouge de cette droitisation, c’est l’immigration, le retour de l’autorité, la lutte contre le terrorisme, etc. Les fonctionnaires ressentent un déclin de leurs métiers. Nous sortons de deux quinquennats ratés pour la fonction publique. Le rapport Silicani d’avril 2008 ouvrait des perspectives en matière de renouvellement des missions de service public. Il est resté lettre morte. Les réformes institutionnelles de François Hollande restent inachevées : les départements n’ont pas été supprimés, les métropoles s’empilent sur les régions. Nous sommes au cœur d’un émiettement de la ligne d’horizon. S’ajoute à ce phénomène une forme de déficit intellectuel de la haute fonction publique, qui nous fait regretter le temps de la planification. Je perçois dans les enquêtes une immense déception face à la décentralisation telle qu’elle est aujourd’hui. Nous sommes quasiment dans un système fédéral, mais sans les transferts financiers et avec un État qui veut garder la main. C’est une situation bancale.