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C’est presque devenu un marronnier. À chaque fin de trêve hivernale (31 mars 2017 pour 2016), certains maires, indignés par les expulsions locatives et les drames humains qu’elles engendrent, prennent des arrêtés pour interdire ces expulsions, si les locataires n’ont pas été relogés. Mais ces arrêtés n’ont aucune chance d’entrer en vigueur, ni même pris en compte et ne présentent ainsi qu’une valeur symbolique.
En 2017, onze villes de la banlieue parisienne ont pris des arrêtés pour interdire les expulsions locatives.
Cette année, Marie-France Beaufils, maire communiste de Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire), a décidé de s’opposer à la mise à la rue de locataires expulsés. Le conseil municipal a donc décidé « de prendre un arrêté municipal stipulant que lors de toute expulsion locative sur le territoire de la commune, il devra être fourni au maire la justification que le relogement de la personne expulsée et de sa famille aura été assuré dans un logement décent ». Une décision qui a de fortes chances de rester lettre morte (lire encadré), même si la mairie appuie sa démarche sur des textes du code civil et du code pénal ainsi que sur la Déclaration universelle des droits de l’Homme et des avis du Conseil constitutionnel. Marie-France Beaufils considère en effet qu’il « relève des pouvoirs du maire de prévenir le trouble grave à l’ordre public que serait l’expulsion d’une personne ou d’une famille qu’elle laisserait à la rue et sans logement ni domicile faute de relogement ».
Une augmentation de 24 % des expulsions locatives
En 2015, 168 775 procédures judiciaires ont été intentées en vue d’une expulsion locative et environ 127 000 ont abouti à une décision d’expulsion, selon le dernier bilan annuel de la Fondation Abbé Pierre. Les expulsions locatives avec le concours de la force publique — dernière étape, si aucune solution n’est trouvée — ont augmenté de 24 % en 2015, concernant ainsi 14 400 expulsions.
S’assurer que le relogement des familles aura été assuré par l’État
En 2017, onze autres villes de la banlieue parisienne lui avaient emboîté le pas. Elles souhaitent s’assurer que « lors de l’expulsion, le relogement des familles aura été assuré par l’État au regard de ses engagements internationaux et nationaux ». Dans le passé, certaines communes avaient ouvert la voie mais leurs arrêtés avaient tous été cassés par les tribunaux administratifs. Fin mars 2017, le groupe communiste au Sénat avait déposé une proposition de loi pour interdire les expulsions locatives sans relogement. Sans lendemain. « Le droit au logement, écrivaient les sénateurs, est un droit constitutionnellement reconnu, un droit fondamental dans notre pays. Il faut que l’État le garantisse enfin pour l’ensemble de nos concitoyens en faisant cesser ces pratiques et en mettant en place une véritable sécurité sociale du logement ».
Condamné plus de 32 000 fois depuis 2008, l’État français reste de marbre face à une pression juridique qui s’accentue.
Même les prioritaires Dalo sont expulsés
Les expulsions locatives sont difficiles à empêcher sur un plan juridique, malgré le Droit au logement opposable (Dalo), qui paraît bien inefficace en la matière. Condamné plus de 32 000 fois depuis 2008, l’État français reste de marbre face à une pression juridique qui s’accentue. Le 9 avril 2015, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France pour ne pas avoir exécuté un jugement attribuant un logement à une famille prioritaire, dans l’attente depuis cinq ans d’un relogement. Le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées espérait qu’une telle décision agirait comme un « effet levier » en matière jurisprudentielle. Espoir déçu.
En 2014, seuls 6 % des ménages menacés d’expulsion avaient été reconnus prioritaires.
D’autres chiffres mettent en évidence le manque de pugnacité « juridique » du Dalo : en 2014, la Fondation Abbé Pierre avait noté que seuls 3 586 ménages menacés d’expulsion avaient été reconnus prioritaires alors que, cette année-là, 59 357 d’entre eux auraient pu y prétendre, soit seulement 6 %. Bien sûr, pour être reconnu prioritaire, un requérant doit faire la démarche. Mais un tel décalage entre le chiffre global des expulsions et celui des prioritaires Dalo ne met-il pas en évidence une défaillance de l’accompagnement des bénéficiaires potentiels de ce droit ? Par ailleurs, comment tolérer le fait qu’un prioritaire Dalo puisse être expulsé ?
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« Excès de pouvoir »
Sur le site juritravail.com, l’avocat Jérôme Maudet confirme qu’un maire ne peut interdire les expulsions sur son territoire. « Soucieux de préserver la quiétude de ses administrés les plus démunis ayant fait l’objet d’une mesure d’expulsion, un maire (Ndlr, de Bobigny) a entrepris de faire usage de ses pouvoirs de police pour interdire les expulsions sur le territoire de sa commune tant qu’il n’aura pas été justifié que tout a été mis en œuvre pour éviter d’en arriver à une telle extrémité. Saisi de cette question sur déféré préfectoral, le juge des référés administratif, puis la cour administrative d’appel de Versailles ont censuré sans grande surprise cette mesure avant tout symbolique », écrivait-il en 2012. La cour d’appel de Versailles a considéré qu’il s’agissait d’« un excès de pouvoir (CAA Versailles, 16 décembre 2011, n° 11VE00433) ». Une jurisprudence qui revient comme la vague sur le rocher…
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