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La crise, toujours la crise… Depuis dix ans, on peut compter les rares moments où les collectivités n'ont pas été confrontées à des situations de contraintes extrêmes. Faut-il s'y habituer au point de les considérer comme la norme ? Mieux, nous pourrions en tirer des bénéfices.
Et si la gestion de crise devenait le lot commun de notre fonctionnement de manager territorial, voire de nos organisations ?
L’effacement des frontières organisationnelles
En avril 2020, le centre de sociologie des organisations de Sciences-Po Paris publie un article intitulé « Qu’est-ce qu’une crise ? » . Il y est notamment rappelé à juste titre que le terme vient du grec (krisis), comme étant « un moment de rupture imprévisible et spectaculaire ». L’article complète l’analyse en indiquant que « tous les repères se dérobent et le monde ne fait plus sens ». Et surtout, l’auteur nous enseigne sur la crise que si ce « moment peut être bref ou prolongé, […] il nécessite une adaptation des acteurs en présence pour comprendre la situation ». Cette compréhension de la situation, l’autrice Malka Older la matérialise par la construction « d’organisations éphémères : en rétablissant des formes familières (une hiérarchie, une division des tâches, des principes de coordination…), les acteurs peuvent ensuite faire sens de l’incertitude et agir ». Le sociologue Michel Dobry affirme quant à lui que la crise concourt à « l’effacement des frontières organisationnelles ». L’article est édifiant pour nos pratiques managériales puisqu’il met en lumière que la déstabilisation de l’ordre existant participe d’une nouvelle génération de procédures, improvisées au sein de cellules de crise ad hoc.
Sans emboiter le pas de la théorie d’une crise engendrant un effondrement organisationnel, il est évident que la crise s’est installée dans le quotidien du management public.
Les managers territoriaux sont ancrés dans la crise, mais y sommes-ils réellement préparés ?
2008 et la nuée d’emprunts structurés dits « toxiques », 2014 et le gel des dotations aux collectivités, 2017 et les contrats de Cahors, 2020 et la longue « crise » de la pandémie mondiale, 2022 et la crise liée au conflit russo-ukrainien, dont on ne mesure encore pas l’ampleur des répercussions. Autant d’évènements qui sont venus percuter l’organisation et le management territoriaux. Et s’y ajoutent des « crises » au plan local, qu’elles relèvent de la sphère naturelle (événements climatiques par exemple) ou d’autres domaines inhérents à la vie de nos collectivités. Sans parler des crises qui s’ajoutent à la crise (la gestion des masques puis des centres de vaccination…), ni évidemment de notre faculté à ériger des évènements en crises… pour en favoriser la gestion !
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Que nous disent les crises sur notre appétence managériale ?
Les managers territoriaux sont ancrés dans la crise, mais y sont-ils réellement préparés ? La cellule de crise, organisation éphémère par excellence, devient l’organe nucléaire quasi-permanent et éprouve les modèles de management auxquels nous sommes formés, auxquels nous pensions être rompus, mais qui ne sont plus que des espaces théoriques voire virtuels. L’improvisation de nouveaux modèles de pilotage est à l’œuvre.
Que nous disent les crises sur notre appétence managériale ? Quand l’urgence est là, le management directif voire autocratique devient-il une norme irréductible, instaurée sur l’autel de l’efficacité ? Les modèles de management assis sur des approches plus collégiales ou innovantes sont-ils condamnés à se dissoudre dans la crise ? Il est factuel de constater que l’organisation en mode projet devient plus délicate à manier et les modes hiérarchiques se déconnectent dans la crainte de ne pas pouvoir faire face.
Nous devons donc nous adapter, et accepter que la crise soit le modèle dominant dans lequel nous évoluerons désormais.