Manifeste pour une démocratie positive : comment rendre le pouvoir au peuple ?

Bruno Cohen-Bacrie

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Manifeste pour une démocratie positive : comment rendre le pouvoir au peuple ?

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Sociologue et directeur du cabinet d’études et de conseil Francoscopie, Gérard Mermet vient de publier « Réinventer la France », un ouvrage dont le sous-titre « Manifeste pour une démocratie positive » résume sans doute mieux la « thèse ».
Quel constat ce fin connaisseur de l’opinion fait-il ? Depuis le milieu des années 1960, la France est bousculée dans ses fondements ; elle a accumulé les factures économiques et laissé se développer des fractures sociales. Les citoyens ont perdu espoir en l’avenir et confiance en l’État. Le « modèle républicain » est en panne et fait le lit du communautarisme. La mondialisation, les difficultés de l’Europe et la « crise » récente n’ont fait qu’exacerber les inégalités, les tensions et les risques. Fort de ce constat, il suggère que l’État ne peut plus agir seul. Il faut redéfinir son rôle et restaurer sa relation avec la Nation. Pour cela, il faut créer les conditions d’une mobilisation générale, organiser de nouveaux modes de consultation et de collaboration, mettre en œuvre une intelligence collective.

Des Français demandeurs ?

La sortie de l’ouvrage a été précédée d’une enquête (Enquête Harris Interactive réalisée en ligne du 10 au 12 décembre 2013. Échantillon de 983 individus représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus. Méthode des quotas et redressement appliqués aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle et région de l’interviewé(e).). Objectif : identifier la perception qu’ont les Français de la démocratie aujourd’hui en France. Les trois valeurs de la devise républicaine, « Liberté, Égalité, Fraternité » sont-elles bien appliquées dans notre société actuellement ? À qui les Français souhaiteraient-ils donner plus de pouvoir afin d’améliorer le fonctionnement de la démocratie ? Par quels moyens et dans quelle mesure aimeraient-ils participer à l’élaboration des politiques publiques ? Selon une majorité de Français (56 %), la liberté est bien appliquée en France, contrairement à la fraternité et à l’égalité. En effet, seuls environ deux Français sur dix estiment que ces deux valeurs sont bien appliquées (respectivement 23 % et 19 %) dans la société actuelle dont 3 % « très bien appliquées». Plus de huit Français sur dix (83 %) estiment également qu’il faudrait donner plus de pouvoir aux citoyens pour améliorer le fonctionnement de la démocratie. Une majorité (56 %) pense qu’il faudrait donner plus de pouvoir aux experts et un peu plus d’un tiers (38 %) aux organisations syndicales de salariés. D’une manière générale, les Français se déclarent disposés à participer davantage aux processus d’élaboration de politiques publiques.
Une cénocratie, gouvernement en commun, « s’inscrira logiquement dans l’ère collaborative dont nous n’avons pas su encore tirer profit collectivement.»

Un GPS pour mieux savoir vers où aller

« Ma conviction est qu’il faut d’abord refonder la démocratie, qui est à la base de tout » indique l’auteur, qui propose la création d’une démocratie positive, ou d’une cénocratie, gouvernement en commun. « Un système qui s’inscrira logiquement dans l’ère collaborative dans laquelle nous sommes entrés et dont nous n’avons pas su encore tirer profit collectivement». Ce système pourrait, selon lui, faire sortir la France de la spirale du déclin, en prenant appui sur notre intelligence collective potentielle. Le projet s’inscrira dans un projet plus global, baptisé grand pacte social (GPS), en référence à la possibilité de savoir où se situer et où aller. S’il arrive à ses conclusions – un modèle républicain qui ne tient plus ses promesses et fondation d’une nouvelle forme de démocratie – Gérard Mermet tient la responsabilité pour collective… ». Nos nombreuses singularités et « exceptions » nationales (irréalisme, amoralisme, myopie, hédonisme, « pétisme », « polémisme ») nous ont empêchés de nous adapter au monde nouveau, contrairement à de nombreux autres pays développés »  analyse-t-il.

Des pistes concrètes

La réinvention de la France – le titre de son ouvrage – passe par l’instauration d’une démocratie positive, c’est-à-dire active, collaborative, empathique et permanente. En liaison avec un État animateur-modérateur, les citoyens y exerceront en commun un pouvoir de proposition, délibération, décision, expérimentation, contrôle. Ils accepteront d’autant mieux les réformes et innovations nécessaires qu’ils en seront les instigateurs. Naturellement, l’auteur indique que les « solutions aux difficultés actuelles ne sauraient être exclusivement de gauche ou de droite » et que « leur recherche nécessite de mettre de côté, au moins provisoirement, les certitudes et les rivalités pour travailler ensemble, sans prisme idéologique déformant». Et de défendre, par exemple, le concept des formes de concertation et de consultation, telles que le débat public, les conférences de citoyens, les jurys citoyens ou les votations pratiquées en Suisse. L’auteur n’en donne pas moins par avance les objections possibles à son « projet » : « certains lecteurs le trouveront naïf, angélique, irréaliste, utopique : ils affirmeront comme par réflexe que « ça ne marchera jamais » ». L’idéalisme serait une qualité nécessaire pour « se fixer des objectifs ambitieux »… Dont acte.LE DEBAT Pour « Aujourd’hui, nous devons passer de la démocratie participative, que nous avons engagée dès 2001 avec les conseils de quartier et les comptes rendus de mandat, à la démocratie collaborative. Si je suis maire de Paris, je reviendrai régulièrement devant les Parisiens pour prendre leurs avis et les intégrer à mes décisions. Je proposerai que le budget municipal soit présenté en amont. Les comptes rendus de mandats et les réunions citoyennes seront intégrés au printemps dans le calendrier de l’élaboration du budget de la ville. Les citoyens ont raison de donner leur avis : il y a un appétit pour se mêler de tout que je veux encourager. » Anne Hidalgo, première adjointe au maire de Paris • « À ceux qui reprochent à la démocratie participative ou délibérative de favoriser le consensus, il est possible d’opposer un constat issu de l’observation, en particulier des expériences de psychologie sociale : dans de nombreux cas, la discussion contribue à polariser plutôt qu’à rapprocher les points de vue. Elle conflictualise plutôt qu’elle n’apaise. L’accord est l’exception, le maintien des désaccords la règle. » Loïc Blondiaux

Contre • « Certains regrettent ainsi que la démocratie participative « ne soit pas une composante standardisée du fonctionnement démocratique ». J’ai envie de dire : heureusement ! On a vu, en effet, ce que cela donnait avec la démocratie représentative, devenue de plus en plus formelle (comme l’avait prévu Marx) au fur et à mesure de son institutionnalisation. Et la « décentralisation » n’a rien arrangé, renforçant la mainmise du maire, du conseiller général ou régional et de leurs affidés sur l’espace politique local, convertis en fiefs régis par le clientélisme de caciques se réclamant de l’onction du suffrage universel. » Jean-Pierre Garnier Texte paru dans le hors-série du Monde Libertaire 15 juillet-8 septembre 2010, n° 39.

A LIRELoïc Blondiaux Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative Seuil, Paris, 2008.manifeste_pour_une_democratie_positive   Réinventer la France Manifeste pour une démocratie positive L’Archipel, 2013SUR LE WEB• Les volontaires sont invités à apporter leurs contributions à « l’intelligence collective » sur : démocratiepositive@free.fr• Pour télécharger les premières pages du livre : http://groupe-archipel.typepad.fr• Pour consulter l’étude dans ses grandes lignes : www.harrisinteractive.fr/news/2014/15012014.asp• Cercle Condorcet de Bordeaux(Démocratie représentative et démocratie participative) : http://adonnart.free.fr/doc/democrdp.htm• Le monde-diplomatique (Démocratie participative à Porto Alegre) : http://www.monde-diplomatique.fr/1998/08/cassen/10841.html

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