Mesures de la pauvreté, mesures contre la pauvreté

Julien Damon

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Mesures de la pauvreté, mesures contre la pauvreté

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La pauvreté absolue, mesurée à l’échelle internationale, recule, tandis que la pauvreté relative (dérivant des inégalités nationales) progresse. Une fascinante lecture de l’histoire de la pauvreté, des techniques pour l’évaluer, des politiques menées pour la réduire.

Martin Ravallion, The Economics of Poverty. History, Measurement, and Policy, Cornell University Press, 2016, 736 pages.

 L’économiste Martin Ravallion a exercé un quart de siècle à la Banque mondiale, dont la mission est d’« œuvrer pour un monde sans pauvreté ». Il y a contribué de façon décisive à la création des seuils de pauvreté internationaux. Le plus connu, sous le nom de « seuil à 1 dollar par jour », se situe maintenant à 1,9 dollar en parité de pouvoir d’achat. Est pauvre une personne qui ne peut consommer plus que ce que quelqu’un aux États-Unis peut acheter avec 1,9 dollar. La communauté internationale fait de l’élimination de l’extrême pauvreté, à ce seuil, son premier objectif.

Baisse absolue, montée relative

Les progrès sont spectaculaires. Si environ 1 milliard d’individus vivent aujourd’hui dans cette extrême pauvreté, on estime, rétrospectivement, qu’à peu près le même nombre de personnes était dans cette situation il y a deux siècles. Les succès contre la pauvreté absolue, nourris récemment par la dynamique économique asiatique, contrastent avec l’augmentation de la pauvreté relative (celle-ci étant fonction de l’évolution des niveaux de vie). En gros, la pauvreté globale s’effondre, mais les inégalités nationales augmentent.

Ce sont, au total, plus de 2,5 milliards d’individus qui vivent sous le seuil international de pauvreté.

Martin Ravallion jongle didactiquement avec les chiffres. Décortiquant les dimensions relativement absolues (le dénuement total) et absolument relatives (les niveaux de vie se comparent dans le temps et dans l’espace) de la pauvreté, il souligne que ce sont, au total, plus de 2,5 milliards d’individus qui vivent sous ce seuil international ou sous un seuil national caractéristique du pays dans lequel ils se trouvent.

Priorité de l’intervention publique

Deux périodes se singularisent dans l’histoire de la pauvreté, la fin du 18e siècle et les années 1960 et 1970. Google permet d’ailleurs de repérer deux pics dans les occurrences du terme « pauvreté » dans tous les livres publiés depuis 1700. Justifiée comme naturelle, avant les Lumières, la pauvreté, n’était un thème d’action publique que pour contrôler les pauvres. Elle se conçoit ensuite comme légitimement traitable et potentiellement éliminable. Rappelons-nous de la « déclaration de guerre inconditionnelle contre la pauvreté » du président Johnson en 1964. La pauvreté n’a pas été vaincue, mais elle n’est plus vue comme une nécessité du développement. Son éradication est érigée en ambition du développement.

La pauvreté n’a pas été vaincue, mais elle n’est plus vue comme une nécessité du développement.

Il faut souhaiter que les remous provoqués par ce très gros pavé (700 pages, en petits caractères) dans l’océan de la pauvreté touchent bien des rives. L’expert ne repose pas uniquement sur les équations et l’analyse des données, mais aussi sur une très vaste connaissance de l’ensemble des travaux sur la pauvreté. Si le texte, rédigé pour accompagner un cours à Georgetown University, ne se dévore pas comme un roman, il n’en demeure pas moins captivant. Et l’auteur invite ses lecteurs à picorer, en fonction de leurs intérêts et niveaux de spécialisation, dans les 10 chapitres et 127 encadrés de cette somme sur la pauvreté, qui peut aussi se lire comme un traité de science économique appliquée. Sur les limites et défaillances respectives du marché et de la charité, sur l’intérêt de ne pas raisonner uniquement en termes d’utilités mais aussi de capacités.

Extraits
« Fitzgerald aurait dit ‘les riches sont différents de vous et moi’. Hemingway lui aurait rétorqué ‘oui, ils ont plus d’argent’.»
« 97 % de la population des pays en développement vivaient en 1990 sous le seuil de pauvreté américain (à environ 13 dollars par jour). C’était le cas de 93 % en 2010. »
« Le revenu de base affecte ex ante la redistribution. L’impôt négatif l’affecte ex post. »

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