ACTU_ITW_Michel-Buisson
Une telle démarche est plutôt rare de la part d’un élu local, souvent confronté à des difficultés quotidiennes plus terre à terre. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous livrer à un tel exercice ?
Tous les jours, je rencontre des acteurs de la société civile, des chefs d’entreprise, des responsables associatifs, des habitants, engagés ou pas. Et j’ai pris conscience du niveau élevé de défiance de notre société. Il y a un tel décalage entre l’élu qui, bon an mal an, tente de faire pour le mieux et ce que les citoyens en perçoivent. C’est effrayant. Je ne pense pas que ce défaitisme ne soit lié qu’à la puissance destructrice de la crise économique dans laquelle nous vivotons depuis tant d’années.
Il y a un tel décalage entre l’élu qui, bon an mal an, tente de faire pour le mieux et ce que les citoyens en perçoivent. C’est effrayant.
Quelles sont donc les racines du malaise dans notre société ?
Je crois que nous manquons de lucidité, de recul. Tout va trop vite, les chaînes d’information en continu nous empêchent de digérer les faits, de les analyser. Les élus sont en permanence sous la pression de l’immédiateté. Au plus haut niveau de l’État, qu’ils réagissent ou pas, ils sont accusés de sur-réagir à l’émotion ou au contraire de manquer d’autorité. Dans un contexte d’exposition au terrorisme, François Hollande doit gérer des catastrophes tous les deux jours et il ne parvient pas à produire le récit de ce qu’il fait. Nicolas Sarkozy était, lui, en surtension permanente. Au final, les Français se détournent de la politique parce qu’ils ne savent plus à quel saint, se vouer…
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Quelle est la destinée de ce document ?
Ce n’est qu’un fichier Word ! Je le fais tourner auprès de mes collègues. J’essaie humblement de nourrir une réflexion… Un élu doit faire régulièrement ce travail d’élévation.
L’intérêt de votre propos est de montrer que les choses ne vont pas aussi mal que les gens aiment le dire. Serions-nous masos ?
Notre société a besoin de sens pour sentir qu’elle existe. Quand elle est menacée par le terrorisme, le rempart citoyen qu’elle oppose est d’une grande puissance de résistance. Ces ressources-là, un élu doit pouvoir les exploiter. Par exemple, je propose de soutenir plus particulièrement les entreprises patrimoniales et familiales parce qu’elles portent en elles des valeurs, au-delà de la simple rentabilité nécessaire pour assurer la survie de l’outil de production. Une société heureuse et pleinement épanouie repose sur des êtres humains dont l’investissement personnel est valorisé. Chacun doit se sentir concerné par ce qui se passe autour de lui.
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C’est une question de méthode, de manière de faire de la politique ?
Oui. Prenons l’exemple de la loi sur l’interdiction du tabac dans les lieux publics. Inconsciemment, parce qu’ils ont été informés des dangers du tabagisme passif, les Français ont accepté cette loi. Pourquoi ne pas faire preuve de la même pédagogie sur la réforme du collège ou sur la loi travail… Nous avons construit un système politique autour de l’image tutélaire du père, le président. Ça culpabilise tout le monde, ça raidit les corporatismes. On ne débat plus, on se recroqueville sur ses acquis. Si la société se transforme rapidement, nous ne devons pas en subir les effets. Nous devons les devancer, sans crainte.
Nous avons construit un système politique autour de l’image tutélaire du père, le président. Ça culpabilise tout le monde, ça raidit les corporatismes.
Un professeur qui fait son métier de la même manière depuis quarante ans ne doit pas être montré du doigt comme quelqu’un de rétrograde, mais il faut lui permettre de passer la tête par la fenêtre, de regarder le monde tel qu’il est, tel qu’il résiste, tel qu’il surmonte les nouveaux défis qui se posent à lui. Je le répète : il y a un décalage réel entre la bonne volonté de faire que je perçois chez de très nombreuses personnes et la manière dont cette envie individuelle est prise en charge collectivement.
Et le politique ne parvient plus à capter cette énergie citoyenne…
Oui, mais ce n’est pas le plus grave. Le politique régisseur du tout, c’est fini. Il est une brique dans l’ensemblier. Point. Il ne doit pas empêcher, c’est tout, il doit permettre le possible. C’est pour cette raison que je parle de territoire apprenant. Le monde s’apprend, c’est un fait. Il faut multiplier les aires d’apprentissage du monde, dans les clubs sportifs, associatifs, avec les Nuits debout. Il faut apprendre aux gens à profiter du meilleur du numérique et de mieux se protéger de sa face obscure.
À Lieusaint (Ndlr, Seine-et-Marne), la ville dont je suis maire, les citoyens s’organisent, changent le monde à leur manière. Il existe un micro-lycée dont la raison d’être est de redonner de la confiance aux décrocheurs scolaires. Le travail qui y est réalisé est formidable, on n’en parle pas assez. Toujours dans ma commune, nous avons réussi à intégrer les Roms dans des logements sédentarisés, à faire aller leurs enfants à l’école, etc. Vous pouvez imaginer qu’un tel projet ne s’est pas réalisé sur un claquement de doigts et que les résistances étaient nombreuses. Pour y arriver, nous n’avons pas gagné contre ceux qui s’y opposaient. Nous avons écouté leurs doléances, souvent justifiées. Et la réussite du projet n’a été possible qu’en conciliant de supposés inconciliables.
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On en revient toujours à la culture, heureusement d’ailleurs. L’ignorance formera toujours le terreau des extrémismes.
Oui, la culture, mais pas celle qui s’adresse aux élites. La formation tout au long de la vie, pour garder l’envie de progresser individuellement. Nous avons sur nos territoires toutes ces énergies, elles demandent à être optimisées. Les Français ne comprennent plus le monde dans lequel ils vivent. J’en veux un peu aux journalistes, qui sont les complices de cet état de fait, qui entretiennent ce brouillage. Bien sûr qu’il existe des journaux sérieux. Mais cette manière de faire doit concerner les journaux grand public, qui doivent contribuer à mieux éclairer la population. Sans démagogie. J’ai écrit ce document aussi parce que cela relève de ma délégation au sein de Grand Paris Sud. Nous ouvrons une nouvelle page institutionnelle. Nous ne pouvons pas avancer sans grand projet.
Michel Bisson exerce les fonctions de président délégué et de premier vice-président en charge du développement économique, du projet de territoire, de la modernisation de l’action publique et du pôle métropolitain, au sein de la nouvelle intercommunalité Grand Paris Sud.