Mulhouse mise sur la haute qualité citoyenne

Séverine Cattiaux

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Mulhouse mise sur la haute qualité citoyenne

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Partout, les collectivités testent des nouveaux outils de démocratie participative. Mulhouse a choisi la démarche de « Territoire hautement citoyen ». Un programme ambitieux, à peine naissant, mais qui, porté par les élus, promet. Qu’en pense la société civile ?

« En un an et demi, on a réussi à inoculer le virus de la participation citoyenne, mais on n’est pas encore sur un territoire où tout marche parfaitement bien… » prévient Armel Le Coz, le cofondateur du collectif « Démocratie ouverte », qui a inventé le concept de « Territoire hautement citoyen ». Depuis octobre 2014, Mulhouse s’est lancée dans cette démarche. Le concept ? « Moderniser les modes de gouvernance en concertation avec les habitants, afin de mettre au point un nouveau schéma de gouvernance permettant aux citoyens de s’impliquer davantage » explique le cofondateur.

Avec la création de conseils citoyens autonomes, les cartes de la participation citoyenne ont manifestement été rebattues.

Programme ambitieux… Le maire de Mulhouse (LR) a dit « banco ». « La volonté des élus est la clé de voûte de la réussite » se félicite Armel Le Coz, qui accompagne la ville au moins dans les premiers temps, et de manière très ponctuelle… Le coup d’envoi de la démarche a été donné, en grande pompe, à l’occasion d’un forum « Libération ». Deux jours de débats avec les pointures de la démocratie participative, en présence de 5 000 participants.

De nombreuses idées sont ressorties, dont certaines sont en cours de réalisation… Un an et demi plus tard, le THC qu’entend devenir Mulhouse est à peine naissant, mais les cartes de la participation citoyenne ont manifestement été rebattues : avec la création de conseils citoyens autonomes, une « agence de participation citoyenne » et la plateforme « Mulhouse, c’est vous »…

Rebrassage des forces vives participatives

« Le plus intéressant dans ce qu’a fait Mulhouse jusqu’ici est sa mise en œuvre des conseils citoyens » considère Armel Le Coz. Mulhouse n’y est pas allée avec le dos de la cuillère, additionnant les options audacieuses. La loi lui permettait de dissoudre les seize anciens conseils de quartiers existants. Elle l’a fait pour créer six conseils citoyens, dans une logique de lisibilité, plutôt que de superposer de nouvelles instances de participation sur les anciennes. Elle a aussi découpé la ville en six secteurs mixtes, intégrant un morceau de territoire « politique de la ville ».

Les services de la participation ont beaucoup communiqué pour régénérer les forces vives de la participation, réussissant à attirer 500 volontaires. Il ne restait plus qu’à en tirer au sort 6 fois 30 membres pour constituer les conseils.

Les nouveaux conseils citoyens sont présidés par des habitants, à la place d’élus.

Chaque conseil est savamment constitué, à parts égales, d’habitants de quartiers prioritaires, d’habitants des autres quartiers et d’acteurs associatifs. Autre acte fort pour relever le niveau de la démocratie participative : les nouveaux conseils citoyens sont présidés par des habitants, à la place d’élus. Les conseils sont en place depuis avril 2015, mais leur rodage n’est pas encore terminé.

« Les conseils commencent à entrer en mode opérationnel » déclare Joseph Schellenbaum, président d’un conseil citoyen sur un secteur de 13 500 habitants. Il faut que nous nous fassions connaître ». Petite déconvenue, ce président ne cache pas que « la mobilisation a déjà montré quelques signes de faiblesse : tous les conseils connaissent des départs de citoyens ! ».

Ces structures doivent infléchir les mentalités, permettre aux gens de faire par eux-mêmes, pas pour leurs intérêts particuliers mais pour l’intérêt collectif.

Florent Hastel, membre d’un autre conseil citoyen a son idée sur la cause de cette démobilisation : « On nous a dit : « venez comme vous êtes ! ». Mais cela ne suffit pas, les gens ont besoin d’un cadre pour agir ».

Surtout que l’ambition est grande, comme le rappelle Joël Texier, directeur du Centre Papin, et membre lui aussi d’un conseil citoyen : « Ces structures doivent infléchir les mentalités, permettre aux gens de faire par eux-mêmes, pas pour leurs intérêts particuliers mais pour l’intérêt collectif ». Bref, les formations prévues pour investir les conseillers de leurs missions ne seront pas du luxe…

Une régie pour garantir l’indépendance…

Pierre angulaire du dispositif THC, l’ « Agence de la participation citoyenne » créée en juin dernier, sous la forme d’une régie. « Je crois que c’est la seule en France » s’enthousiasme Armel Le Coz. Ce faisant, Mulhouse a ouvert son service « démocratie locale » à la société civile… Chargée de la mise en œuvre de tout ce qui relève du « programme de transition démocratique » de Mulhouse, la régie vient aussi en appui technique auprès des six conseils citoyens. L’agence dispose d’une autonomie financière, contrairement aux conseils citoyens.

Joseph Schellenbaum, de son côté, commente : « nous ne tenons pas de comptabilité, toutes nos dépenses sont gérées par l’agence… Notre budget annuel s’élève à environ 20 000 euros (incluant l’édition d’un journal de quartier) ».

Le conseil d’administration de l’agence est composé de quinze membres, soit huit élus municipaux et sept partenaires institutionnels, associatifs et des représentants des conseils citoyens. « Ce sont ces contre-pouvoirs qui garantissent une certaine marge de manœuvre pour l’agence » souligne Joël Texier, l’un des administrateurs. L’agence, animatrice de dynamique locale, est par ailleurs pilotée par une petite dizaine d’agents territoriaux de la ville.

« On sent qu’ils tâtonnent encore pour trouver leur rythme et se détacher tout à fait de la lourdeur bureaucratique » considère Chantal Mazaeff, administratrice de la nouvelle agence et directrice de l’Institut supérieur social de Mulhouse.

Lire aussi : Démocratie participative : éloge de la sincérité

Le numérique entre en scène…

Mulhouse a également lancé une plate-forme web « Mulhouse, c’est vous ! », proposant ainsi une autre manière de concerter, espérant toucher d’autres citoyens, des jeunes ou encore des habitants moins férus de réunions publiques. « La plate-forme est supervisée par le service Démocratie, en lien avec le cabinet » indique Armel Le Coz. Quatre consultations pour l’heure ont été proposées. 533 Mulhousiens ont participé à une consultation sur le vélo en ville ; 1182 à une consultation sur l’habillage d’un temple. En revanche, seulement, 56 citoyens ont voté ou commenté la proposition de créer le poste de « conciliateur » à Mulhouse… Enfin, avec sept participants, la consultation « Participez à la Commission extramunicipale des finances » a fait un flop.

Sur le versant « boîte à idées », la plate-forme a recueilli, en tout et pour tout, vingt-deux propositions seulement. Étant donné qu’il faut 250 « like » pour que la ville s’engage à étudier la faisabilité d’une proposition, une seule idée a dû être pour le moment examinée. La fréquentation du site est décevante, constatent plusieurs observateurs. Est-ce une question de temps ?

Florent Hastel, 26 ans, a testé la plate-forme. Pour lui : « L’offre ne crée par la demande […] le site est déjà obsolète et inintéressant pour les jeunes… Ce qui manque : c’est une connexion entre la plate-forme et tous les services de la ville ». Que ce jeune citoyen se rassure, la ville a bien en ligne de mire l’idée d’une carte citoyenne numérique

Sur le versant « boîte à idées », la plate-forme a recueilli, en tout et pour tout, 22 propositions seulement.

Mais la carte citoyenne numérique ne résoudra pas tout. Selon Joël Texier, directeur du Centre Papin, très impliqué à plus d’un titre dans la démocratie participative de Mulhouse, « il y a une quantité de gens qui subissent les choses, et on va avoir besoin de travailleurs sociaux, de médiateurs pour les convaincre que leur avis compte… ». Sans parler de la difficulté de communiquer, tout simplement… « Il y a 136 nationalités différentes à Mulhouse. Pour une réunion avec des anciens dans un quartier prioritaire, il faut faire appel à trois traducteurs » poursuit le directeur de centre social associatif.

Enfin dans les quartiers où le taux de chômage atteint 25 %, la coconstruction des politiques publiques n’est franchement pas la priorité. « Un maire n’y peut grand-chose, analyse Chantal Mazaeff. Il faudra pourtant lier le social, la participation avec le développement économique ».

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