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C’est un quartier au nord de Naples : Scampia est sorti de terre il y a 46 ans. Pour reloger des milliers de familles, la période de la « reconstruction » va engendrer de grands ensembles, comme l’a connu la France sur cette même période. Dans le quartier Scampia, ce complexe est constitué de sept bâtiments comprenant 6 453 pièces et 1 192 logements, pour 6 500 habitants environ.
Une icône des zones de non-droit
Les immeubles, avec leur allure de grand-voile (d’où leur nom, « les vele ») et leurs longues passerelles, sont devenus une icône des zones de non-droit italiennes : la série « Gomorra », tirée de l’enquête éponyme de Roberto Saviano sur le marché de la drogue, a choisi ce décor pour ses tournages. Pourtant, l’architecte Francesco Di Salvo avait imaginé ce quartier pour attirer la bourgeoisie napolitaine en mal de verdure.
L’ensemble était conçu pour permettre à la vie sociale de s’y déployer comme dans un quartier résidentiel.
Des parcs, des aires de jeux, une architecture innovante basée sur des passerelles reliant deux immeubles entre eux pour faciliter le contact entre les habitants. L’ensemble était conçu pour permettre à la vie sociale de s’y déployer comme dans un quartier résidentiel. Au pied des immeubles, dans les espaces verts de 700 mètres carrés, écoles, centres commerciaux ou culturels devaient être déployés. Espace, rencontres et modernité devaient faire le succès de Scampia.
Le tremblement de terre a tout changé
Mais le tremblement de terre de 1980 va bouleverser la destinée du site. Le bilan est lourd : près de 3 000 morts, plus de 8 000 blessés et 280 000 réfugiés. Une partie des habitants des quartiers historiques de la ville sont relogés rapidement à Scampia : un traumatisme pour ces gens qui ont tout perdu et surtout, n’ont pas choisi d’investir ce nouvel ensemble. Ils s’y installent alors même que les travaux ne sont pas achevés. Pour loger le plus de monde possible, on ajoute 23 % de logements en plus dans les bâtiments, en rognant sur les espaces communs et les lieux de service.
Pour loger le plus de monde possible, on ajoute 23 % de logements en plus dans les bâtiments.
Pour réduire les coûts, l’entreprise en charge de la construction modifie considérablement la structure : au lieu d’être transparentes pour laisser filtrer la lumière, les passerelles sont construites en béton. Et l’espace entre les deux immeubles reliés par les passerelles est réduit à 7,2 mètres, au lieu des 10 mètres initialement prévus. La lumière laisse place à un dédale lourd et sombre. Alors que les tours comptent seize étages, les ascenseurs ne seront jamais installés.
Pas de commerce au pied du domicile, des équipements restreints et seulement une caserne de gendarmerie construite à la hâte en lieu et place des écoles, églises, aires de jeux promises. Cette occupation précipitée par une population réticente et déboussolée, dans un lieu mal conçu, a fait basculer le projet initial. S’ensuivit une lente détérioration, des murs humides gangrenés par les moisissures faute de lumière, qui aboutit à la démolition de trois des bâtiments entre 1997 et 2003.
Bunkerisation
La configuration des lieux est similaire à celle d’une grande ruche : de nombreuses entrées et sorties s’entrecroisent, débouchant sur l’air libre et des rues immenses, larges et aérées. Le contraste donne le sentiment d’une bunkerisation : seuls ceux qui savent se repérer peuvent entrer dans la ruche. Les dédales, propices aux cachettes, ont permis le développement du trafic de drogue. En 1989, l’Observatoire de la camorra déclare que la zone nord de Naples a la proportion de dealers par nombre d’habitants la plus élevée d’Italie. Quinze ans plus tard, cette proportion est la plus élevée d’Europe et parmi les cinq plus importantes du monde.
Si l’urbanisme ne peut fonctionner sans projet politique, ces derniers doivent prendre garde à préserver le projet initial.
Alors quelle renaissance imaginer, alors que toute une génération est née dans les vele et n’a connu comme mode de vie familial que cette économie clandestine ? Dans cet échec, la désorganisation politique qui a suivi le tremblement de terre est certainement la première coupable. Réunir une population pauvre dans une si grande structure, sans aucune maintenance des lieux, ni activité ni service autre que la police, est la manière la plus sûre d’atteindre le chaos. Si l’urbanisme ne peut fonctionner sans projet politique, ces derniers doivent prendre garde à préserver le projet initial pour s’assurer de sa réussite.
Faut-il obligatoirement raser et tout reconstruire ?
Ces megastructures sont considérées par une large partie de la population comme étant l’origine principale du problème. La majorité souhaite leur destruction pour faire de Scampia un quartier plus vivable. Depuis 2003, après la destruction de trois des sept bâtiments principaux, plus rien n’a bougé. Le maire a le même souhait que les habitants : détruire les tours restantes. Le débat fait rage entre ceux qui vivent le lieu de l’intérieur et ceux – souvent architectes ou urbanistes – qui voient ces bâtiments comme un pan de l’histoire architecturale, représentant la période des années 1960-1970.
Pour que le projet aboutisse, l’idée est d’implanter des activités au sein même des bâtiments.
D’hypothétiques projets conservant la forme originelle des tours sont élaborés, imaginant des structures plus aériennes où les commerces s’implanteraient et les dealers disparaîtraient. Pour que le projet aboutisse, explique le collectif d’architectes qui répondait à un concours international de « revitalisation urbaine de logements de masse » (( http://www.masshousingcompetition.org/results/entry/607)), l’idée est d’implanter des activités au sein même des bâtiments. Un écoquartier vertical composé de logements, de commerces et d’une ferme urbaine verticale pour créer une macroéconomie capable de restructurer la vie des habitants autour d’autres habitudes. Mais faut-il remplacer un projet hors du commun par un autre projet tout aussi exceptionnel – et donc risqué – pour extirper les habitants de leur misère ?
Les initiatives viennent de l’intérieur
Cette situation a conduit les habitants à forger une communauté très soudée. Ils sont nombreux à s’investir dans des associations locales pour se soutenir et offrir un autre avenir aux jeunes générations. Associations de promotion sociale destinées aux exclus, de soutien aux personnes âgées, d’activités pour les jeunes souvent désœuvrés… Des ateliers pour enfants, adolescents, femmes et hommes sont organisés dans le but de contrer l’image négative de Scampia. Une caserne, auto-construite par les membres d’une association initialement destinée à la population Rom, a ainsi vu le jour : elle est devenue un espace public et culturel de la ville au sein duquel l’association lutte désormais plus largement contre la discrimination, les stéréotypes et encourage la participation active des habitants. Une compagnie théâtrale a également vu le jour en 2007 : elle présente différents spectacles et organise des ateliers avec les habitants, où se mêlent aussi des groupes musicaux du quartier. Certaines voix s’élèvent pourtant, arguant que jamais ces actions locales ne pourront supplanter l’image véhiculée par des séries telles que Gomorra ou les nombreux clips musicaux en quête d’une ambiance mafieuse, tant qu’elles prendront pour décor le quartier.