Neige en montagne : la lutte contre le réchauffement climatique attendra

Séverine Cattiaux
Neige en montagne : la lutte contre le réchauffement climatique attendra

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La région Auvergne-Rhône Alpes a lancé un plan « Neige-stations » qui fait la part belle à la neige artificielle et aux canons à neige. De quoi faire pousser des cris d’orfraie aux défenseurs de l’environnement. Décryptage d’une stratégique politique et surtout économique, où l’on dit vouloir rattraper le retard pris sur la concurrence des pays voisins.

Article publié le 15 mars 2017

Cinquante-quatre nouveaux canons à neige vont équiper les stations de ski de Rhône-Alpes d’ici l’hiver 2018. La région Auvergne - Rhône-Alpes a en effet lancé un plan « Neige-stations » pour s’aligner sur la concurrence : « Notre objectif est de rattraper le retard par rapport aux pays voisins. Nos stations sont équipées à 30 % en enneigeurs contre 70 % en Autriche, Suisse et en Italie » rappelle Gilles Chabert, délégué régional et conseiller « Montagne » de Laurent Wauquiez, président (LR) de la région.

Avec les canons à neige, les retenues collinaires sont également subventionnées (car il faut de l’eau pour fabriquer la neige artificielle), le tout à hauteur de 50 millions d’euros d’ici 2021, un budget abondé par les départements à la même hauteur, les communes compléteront. Soit un plan d’investissement dédié à fabriquer de la neige, qui se montera ainsi à 200 millions d’euros. Et aussi un virage à 180 degrés par rapport à la politique de diversification des activités économiques des stations de moyenne montagne, développée par l’ancienne majorité régionale.

Des enjeux économiques très forts

« D’ici 80 à 100 ans, il n’y aura plus de neige dans les moyennes montagnes. Mais que fait-on d’ici là ? Est-ce qu’on arrête tout de suite ? » fait mine de s’interroger Gilles Chabert. Le conseiller spécial a tranché : c’est niet. Et ils sont très nombreux, les maires de stations de montagne à saluer les choix de la région et des départements qui la suivent. « Bien sûr qu’il faut avoir de la neige de culture, déclare ainsi Hubert Arnaud, maire de la commune nouvelle Autrans-Méaudre dans le Vercors. Cela nous permet quand il y a du froid, même à 1 000 mètres, de fabriquer de la neige. Les enfants sont contents, les télésièges tournent… ».

« D’ici 80 à 100 ans, il n’y aura plus de neige dans les moyennes montagnes. Mais que fait-on d’ici là ? Est-ce qu’on arrête tout de suite ? »

Même les spécialistes de la montagne, enclins à anticiper la transition écologique, tel Philippe Bourdeau, enseignant-chercheur à l’Institut de géographie alpine de l’Université Grenoble-Alpes-Savoie ne leur jettent pas la pierre : « Les élus sont pieds et poings liés avec les enjeux d’emplois ». De même ce chercheur de l’Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture), très au fait du réchauffement climatique, peut comprendre le plan de la région : « Ce sont des choix politiques. On ne peut ignorer qu’il y a énormément d’acteurs économiques dans ce secteur, et la technologie se modernise et peut aider l’enneigement ».

Enfin, la région projette de faire de son territoire une vitrine afin d’exporter son savoir-faire en Chine. D’où le déplacement fin février en Chine du président et de son conseiller Montagne à Shanghai, en compagnie d’une cinquantaine d’entreprises dont des poids lourds de l’économie de la montagne (MND, Poma, CDA). Objectif : offrir de nouveaux leviers de croissance à ces acteurs et à tout l’écosystème régional, dans la perspective des Jeux olympiques de Pékin 2022.

Lire aussi : La loi Notre favorise-t-elle l'économie de proximité ?

Intérêts d’un secteur vs intérêt collectif ?

Revers de la médaille, quand les intérêts économiques de quelques-uns sont très enchevêtrés avec les décisions politiques, l’intérêt collectif risque d’être mis à mal… C’est ce que redoute, à la région, Corinne Morel-Darleux conseillère régionale Auvergne Rhône-Alpes de l’opposition (Parti de Gauche) et membre de la commission Montagne. Elle s’interroge, entre autres, sur la manière dont est sanctuarisé le plan neige, sorti d’une politique globale « montagne ». Elle dénonce aussi le manque de transparence sur le vote des décisions d’octroi des subventions. « Nous n’avons aucun élément sur le contenu des dossiers déposés, donc aucune vision sur la santé économique des stations de montagne à qui la région attribue les aides ». Son groupe s’est donc abstenu quand il a fallu voter, « même si nous n’avons pas d’opposition de principe contre la neige de culture ».

On questionne la manière dont est sanctuarisé le plan neige, sorti d’une politique globale « montagne ».

Enfin, les soupçons de prises illégales d’intérêt pèsent, désormais, sur le conseiller « Montagne » Gilles Chabert, du fait de ses multiples casquettes. Il est notamment président de la Fédération nationale des moniteurs de ski français. Il était administrateur de la Compagnie des Alpes (jusqu’en janvier dernier), laquelle a reçu des aides dans le cadre du plan neige. « J’ai une compétence, et on est venu me chercher, se défend-il. Est-ce que j’ai un intérêt ? Oui, autant que le coiffeur, que le boulanger des stations qui vont voir venir plus de monde ». Toujours est-il que le procureur de la République a été saisi le 15 février dernier, par Corinne Morel-Darleux, au titre de l’article 40 du code de procédure pénale ((Imposant à tout fonctionnaire et autorité constituée ayant connaissance d’un délit d’en aviser sans délai les autorités judiciaires.)).

Et l’anticipation sur l’après-neige ?

Pour les écologistes de l’association nationale de protection de la montagne Mountain Wilderness, le plan neige-stations est une insulte à l’avenir. « Les stations de moyenne montagne vont s’engouffrer dans cet effet d’opportunité et s’endetter durablement. Cette politique stoppe nette les réflexions autour de l’avenir de la diversification » déplore Claude Comet, ancienne conseillère déléguée écologiste au Tourisme et à la Montagne à la région Rhône-Alpes. Durant son mandat, Claude Comet n’a eu de cesse de sensibiliser les stations au rééquilibrage des deniers investis dans la neige, par rapport aux autres activités de la montagne.

L’ancien pouvoir régional n’a eu de cesse de sensibiliser les stations au rééquilibrage des deniers investis dans la neige, par rapport aux autres activités de la montagne.

« Pour contourner ce point de blocage, on avait demandé aux territoires de se projeter loin avec le travail prospectif montagne 2040 » rappelle-t-elle. Si le plan neige est une hérésie, pourquoi si peu d’opposition dans les rangs des élus ? « Parce que c’est plus facile de continuer dans le tout-ski, que de penser la reconversion… » déclare-t-elle, lasse. Reste aux citoyens engagés de mener la fronde… Mais sans relais politique ni financier, les forces du collectif Hauteville/Valromey, en lutte contre l’installation de canons à neige sur le site de Terre Ronde à Hauteville-Lompnes, sont en train de s’étioler…

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La diversification, en marche

Il ne faudrait pas tomber dans la caricature. La transition écologique est inéluctable. Les propos d’Hubert Arnaud, maire d’Autrans-Méaudre reflètent assez bien l’état d’esprit de nombreux élus de montagne : « J’entends partout des critiques : « Les élus : vous n’anticipez pas, vous n’avez pas de vision ! ». C’est faux ! On est dans une démarche d’essayer de faire autre chose que du tout-ski… Petit à petit, on habitue les gens à faire autre chose. On soutient l’aménagement d’activités qui peuvent se déroulent toute l’année : raquette, ski nordique, la via Vercors, on va créer une structure spéléo quatre saisons ».

Imperceptiblement, l’agriculture, l’élevage, le maraîchage, les circuits courts (re) gagnent du terrain…

Ne pouvant certes pas investir dans tous les domaines, les stations comptent sur le secteur privé. La station de ski de Méaudre a accueilli cet hiver, une luge quatre saisons, installée par un investisseur qui a mis 2 millions d’euros de sa poche. « La diversification dans les stations de moyenne montagne passera par d’autres types d’activités que celle des loisirs. Et elle est à l’œuvre » affirme le chercheur Philippe Bourdeau. Imperceptiblement, l’agriculture, l’élevage, le maraîchage, les circuits courts (re)gagnent du terrain… Les stations de ski à proximité des villes importantes s’inscrivent d’ores et déjà dans des trajectoires de conversion résidentielle. « Villard-de-Lans vit déjà plus de l’économie résidentielle que du ski ». La station de Chamrousse ambitionne la création d’un téléphérique dans l’idée de renforcer ses liens avec la métropole grenobloise…

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