Que ce soit l'arrivée d'une nouvelle équipe d'élus qui donne l'occasion d'un diagnostic culturel du territoire, ou bien le besoin d'une étude préalable sur les musiques actuelles avant la création éventuelle d'un équipement (dans le but d'éviter des dysfonctionnements futurs), ou bien encore la nécessité d'une étude sur le mode de gestion ou le fonctionnement d'un équipement qui doit évoluer... ce sont autant d'occasions, pour une direction des affaires culturelles, de faire appel à un prestataire spécialisé... surtout quand on a un peu « le nez dans le guidon ».
Un récent débat à Avignon, organisé par l'adDACra (Association des DAC de rhône-alpes), a permis de mesurer l'intérêt et les difficultés générés par le recours à une expertise extérieure.
La culture, a d'abord rappelé Jean-Pierre Saez, directeur de l'Observatoire des politiques culturelles, c'est la confrontation de points de vue. En ce sens, on pourrait dire que « nous sommes tous experts »... mais pas de la même façon car nous ne sommes pas équivalents ! jean-Pierre Saez a rappelé que la connaissance était une prise de risque et que l'expertise pouvait faire peur, soit par crainte d'une connaissance univoque, soit par crainte de découvrir des choses inattendues.
Il faut par ailleurs se méfier de commandes pouvant être insidieuses (par exemple on n'a pas au départ les clés d'une configuration éventuellement conflictuelle) ou de l'interprétation des chiffres (parfois peu exploitables), chiffres qui sont « des innocents qui avouent n'importe quoi sous la torture comme le disait Alfred Sauvy ! L'accumulation de chiffres constituée par une batterie d'indicateurs trop complexe, ce n'est pas la connaissance...
Pour autant, la question du partage du savoir est à l'ordre du jour, elle ne se pose plus dans les mêmes termes aujourd'hui dans une période où l'exigence démocratique grandit et où internet recompose les légitimités et démocratise la connaissance. Il est donc nécessaire d'inventer des démarches pour que tous les points de vue soient entendus.
Il a été souligné l'importance de la qualité de l'échange entre le maitre d'ouvrage et le consultant. Elle se joue déjà dans la compréhension de la commande (quelle est en fait la vraie nature de la demande qui est faite au consultant ?). La formalisation de la procédure des marchés publics limite le dialogue et les échanges préalables avec les candidats (alors qu'ils permettraient par exemple de resserrer un périmètre d'étude parfois illusoire). Au cours de l'étude, le cabinet peut rencontrer un certain nombre de difficultés, face à des élus dont l'accès est difficile, ou encore face à une direction qui a déjà un a priori pour la défense d'un type de projet avant même que l'étude ne soit réalisée.
La question du temps est toujours complexe, car on vit dans le culte de l'urgence ! On sait que le temps de maturation de la réflexion est important, et que la compréhension des enjeux prend du temps ... hélas ils s'opposent souvent à la réalité de calendriers souvent très courts, parfois insoutenables, voire contreproductifs. Le temps des élus est souvent un temps court... quant au DAC, ne pas croire que la passation d'une étude le déchargera beaucoup... car il lui faudra se mobiliser pour collecter les informations et les contacts que lui demandera le Cabinet d'études. La mise au point du planning de l'étude, y compris au niveau des modalités de son rendu, est donc une question-clé.
Le fait de fractionner de grosses études en multipliant les expertises (étude d'impact, de faisabilité etc.) ou le fait que différents niveaux d'administration lancent parfois chacun une étude de son côté, pose des questions concernant l'échange des informations (qui ne se fait pas toujours), ou la possible lassitude d'acteurs interrogés plusieurs fois.
Le tissu économique des cabinets spécialisés est très étroit dans le secteur culturel. Beaucoup de consultants travaillent seuls ou embauchent au gré des études, avec des difficultés dans la régulation de l'offre et de la demande. C'est pourquoi le maitre d'ouvrage doit s'assurer de l'identité de la ou des personnes qui vont réellement mener l'étude au sein du cabinet pressenti. Il semblerait important que les associations de professionnels, notamment les associations de DAC et leur fédération, puissent disposer d'une meilleure connaissance du paysage des cabinets et de leur contexte (cabinets privés montés par d'anciens professionnels, agences dépendant de l'Etat ou de collectivités, structures issues du mouvement associatif tels que la Fédurock ou le Couac à Toulouse, etc.), en étant vigilant sur la « neutralité » supposée des structures d'expertise. C'est pour tenter d'être le plus indépendant possible que l'Observatoire des politiques culturelles essaye par exemple de travailler avec des chercheurs venus d'horizons différents.
Si certains estiment que les études laissent peu de place à l'innovation en raison de la procédure des marchés publics (la réponse étant parfois déjà dans la demande), des exemples ont montré au contraire qu'elles avaient pu donner un certain élan aux politiques culturelles. Quelques exemples : les études préalables aux premières salles de musiques actuelles à Agen et Annecy ; l'étude sur l'intercommunalité culturelle des agglos qui a donné envie aux élus culture concernés de constituer un Club au sein de l'AdCF ; les études/ concertations de la Région Rhône-Alpes sur le spectacle vivant, les arts plastiques, le numérique...
Il est noté que les acteurs interrogés se confient en général plus facilement quand c'est un cabinet extérieur qui les interroge que quand c'est l'institution elle-même... et que les préconisations d'un cabinet sont parfois mieux entendus par l'Exécutif de la collectivité que les mêmes préconisations énoncées en interne, parfois depuis longtemps, par les services...
En conclusion, je dirai qu'il n'existe pas une seule « bonne » solution. Certaines directions dans les grosses collectivités ont pu mobiliser les moyens humains nécessaires pour réaliser des études en interne, voire mettre en oeuvre un observatoire, et elles voient leur expertise reconnue. Mais cela reste très rare dans le domaine culturel. L'appel à des cabinets d'étude, de façon ponctuelle, est beaucoup plus répandu. Cela exige une vigilance à tous les stades, de la rédaction de la commande au mode de restitution, afin que la problématique soit bien comprise, bien partagée (un travail de concertation bien capitalisé), et que la synthèse soit la plus objective possible et permette de disposer de scénarii ouverts et innovants constituant une vraie aide à la décision.
François Deschamps