barbara_romagnan
© michel-soudais
Pour vous, les 35 heures ont été la politique « la plus efficace et la moins coûteuse qui ait été conduite depuis les années 1970 ». Qui dit vrai ?
Je n’ai pas besoin d’avoir présidé une commission parlementaire pour avoir la certitude que les 35 heures ont été une bonne chose. Le travail, de fait, est déjà partagé et l’organiser sur un plan législatif relève du bon sens républicain face à un chômage de masse structurel. Ce qui m’étonne le plus, c’est d’avoir mené le travail le plus objectif possible et d’avoir essayé de repérer les points de vue contradictoires. Ils sont rares, dois-je avouer. Par exemple, nous avons auditionné beaucoup de directeur des ressources humaines. Aucun d’entre eux n’envisage de revenir en arrière. Les articles ou les commentaires fustigeant les 35 heures reposent sur des références plutôt indigentes. J’attends d’être contredite sur des éléments concrets.
Et, en effet, vous vous appuyez sur des références connues d’organismes indépendants.
Les lois Aubry ont créé 350 000 emplois et ont ainsi contribué à diminuer le chômage. Toutes les études le démontrent (Dares, OCDE, etc.). Ces deux lois ont permis qu’entre 1998 et 2001, l’économie française crée un nombre historique d’emplois, jamais égalé, sur le territoire, et plus d’emplois par point de croissance annuelle que dans les périodes précédentes et suivantes. Et l’État, contrairement à ce que l’on entend, n’a pas eu à creuser tant que ça son déficit puisque les 35 heures ont coûté 2 milliards d’euros aux entreprises et 2,5 milliards d’euros aux administrations publiques, soit 12 800 euros par emploi créé. Les spécialistes comprendront très vite que ce dispositif des 35 heures est moins coûteux pour les finances publiques que d’autres financements censés stimuler l’emploi, notamment ceux qui reposent sur des baisses de cotisations sociales sans condition. Dernier point : contrairement à une idée qui a la vie très dure, le temps de travail à la semaine est plus long en France (37,5 heures) qu’en Grande-Bretagne (36,3 heures) ou qu’en Allemagne (35 heures). La France ne doit donc pas faire profil bas sur les 35 heures.
Quels sont les autres effets des 35 heures ?
Pour rester sur le positif, les lois Aubry ont aussi favorisé l’égalité hommes-femmes, en réduisant le nombre de contrats à temps partiel qui touchent plus particulièrement les femmes. Sans oublier le rééquilibrage des tâches domestiques avec les pères permettant un meilleur partage des responsabilités familiales. Ces constats restent à la marge mais pour les femmes, elles ont une portée plus que symbolique. Il est en revanche évident que dans certains secteurs, le travail s’est intensifié, notamment dans la fonction publique hospitalière et au sein des entreprises de moins de vingt salariés.
« Les articles ou les commentaires fustigeant les 35 heures reposent sur des références plutôt indigentes. J’attends d’être contredite sur des éléments concrets. »
Vous iriez même jusqu’à proposer la mise en place des 32 heures par semaine ?
Je ne suis pas certaine qu’une telle proposition ait une bonne presse aujourd’hui et elle serait certainement jugée inopportune. Je suis personnellement convaincue que le rôle du gouvernement est de protéger la vie des salariés. Nous devons défendre une société de partage. En tant que sixième puissance économique du monde, nous avons donc les moyens de prendre en compte cette notion de solidarité.
Dans un autre registre, vous vous opposez à l’élargissement du nombre de dimanches travaillés.
Je doute en effet de la notion dévoyée de volontarisme dans le travail. N’est-ce pas créer une nouvelle échelle de valeurs entre les salariés, entre le bon salarié investi et celui qui ne pense qu’à être en famille le dimanche ? Je crains en effet des dérives en la matière, même si tous les garde-fous sont en place.
Vous n’avez pas voté la confiance à Manuel Valls. À quelle gauche appartenez-vous ?
J’essaie d’éviter d’employer des mots pièges, qui vous enferment. Je crois plus simplement qu’il est possible de mener une autre politique de gauche. Prenons la Grèce : tout le monde sait qu’elle ne pourra pas honorer sa dette. Le plus urgent est de réfléchir à ce qu’il est possible d’imaginer comme solution de sortie de crise et d’éviter ainsi des mois de surplace. Il ne faut jamais oublier les conditions de vie terribles que cette crise impose aux Grecs. Pourquoi ne pas s’inspirer de ce que l’on avait fait au lendemain de la Guerre mondiale pour la France et l’Allemagne, en supprimant une partie de la dette et en permettant ainsi aux Grecs de réinvestir dans leur propre économie.
Le mécontentement social fait le terreau du FN. Pourquoi séduit-il plus que la gauche de gouvernement et celle jugée plus radicale ?
Le Front national récupère en effet le mécontentement social. Je discute avec des socialistes, des écolos, des communistes. Ils en ont assez que les gens leur renvoient les échecs de la gauche. Nous nous sommes quand même engagés sur un programme présidentiel. Où est-il ? Pourquoi certaines mesures annoncées ne sont-elles pas mises en œuvre, comme le vote pour les élections locales des immigrés ? Nos électeurs ont de plus en plus de mal à suivre notre logique.
Emmanuel Macron, ce n’est plus la gauche ?
Il ne fait pas rêver les personnes qui m’entourent, en tout cas. Et il tient des propos qui ne correspondent pas à mon idéal de gauche, comme le fait d’encourager les jeunes à devenir milliardaires. En quoi cet objectif est-il si impératif ? Il est d’une démesure complètement folle ! Je n’ai rien contre la réussite et l’argent, mais ils n’incarnent pas forcément une idée du bonheur absolu.