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Article publié le 21 février 2020
Depuis plusieurs années, les recherches scientifiques, relayées par les médias, mettent en garde contre la toxicité possible pour la santé et l’environnement des pelouses synthétiques à base de pneus recyclés. Un problème qui ne peut laisser indifférent les élus et les services des communes…
Des billes noires partout
Le territoire compte plusieurs milliers de terrains sportifs synthétiques en plein air ou indoor, contenant des HAP, hydrocarbures aromatiques polycycliques. De très nombreuses aires de jeux d’enfants sont également fabriquées à base de pneus recyclés ((L’Union des entreprises de la filière du sport, des loisirs, du cycle et de la mobilité active indique : « concernant les aires de jeux, il est souligné que les enfants ne sont pas en contact avec le granulat de pneumatique recyclé puisque celui-ci est recouvert d’une couche de revêtement ».)).
Aux États-Unis, une entraîneuse de football observe une augmentation des cancers chez ses joueurs s’entraînant intensivement sur des pelouses synthétiques. En cause ? La quantité de granulats noirs qui parsèment les pelouses et contiennent les substances cancérigènes que sont les HAP. Certains enfants finissent, dans le feu de l’action, par en ingérer. En outre ces billes noires très légères s’introduisent facilement dans les chaussures, se collent sur la peau, les plaies éventuelles des sportifs en short la plupart du temps.
Les études sont lacunaires sur le sujet, admet l’Anses
En 2018, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) rend son rapport, loin d’être rassurant… Elle pointe des « risques potentiels » pour l’environnement, n’exclut pas des « irritations oculaires et respiratoires thermiques » pour les pratiquants de ces terrains quand ils sont indoors, du fait de l’émanation de composés organiques volatiles (COV). Les études sur le sujet sont lacunaires, admet aussi l’Anses. L’agence recommande donc aux fabricants de baisser drastiquement le taux des HAP à 20 mg/kg, alors que la norme Reach ((enRegistrement, Évaluation et Autorisation des produits CHimiques.)) autorise un seuil jusqu’à 6 200 mg/kg. Quid de l’innocuité des anciens terrains ? Aux gestionnaires d’agir en conséquence…
La stratégie « anticipatrice » de Saint-Nazaire
Sans certitudes sur l’innocuité des pelouses synthétiques, de nombreuses collectivités ont pris des moratoires, en attendant les résultats de l’Anses. Dans le Bas-Rhin, en Isère, certaines ont fait une croix sur les terrains synthétiques et opté pour des solutions alternatives, par exemple, utilisant des fibres végétales de coco et liège. Mais le coût est plus élevé et l’entretien demeurerait, aux dires de certains, plus délicat lors de fortes pluies…
Anticipant la nouvelle norme, la commune exige des constructeurs un taux d’HAP très en deçà des normes européennes
Saint-Nazaire doit construire un nouveau terrain de sport et en rénover deux autres. La ville pèse le pour et le contre des différentes formules. Revenir aux solutions anciennes, comme le terrain stabilisé ou la pelouse en herbe ? Il n’en est pas question, visiblement. Le premier n’offre pas du tout le même confort que le synthétique. Comparé à la pelouse, le synthétique permet une utilisation plus intensive : 40 heures par semaine, contre 11 heures maximum. Le synthétique permettrait aussi de réaliser une substantielle économie de foncier, d’eau et d’entretien, d’après Mickaël Frocq, le directeur des sports de la commune.
À l’issue de leur brainstorming, les élus de Saint-Nazaire décident de continuer à installer des pelouses synthétiques en pneus recyclés… non sans durcir le cahier des charges de leurs appels d’offres. Anticipant la nouvelle norme, la commune exige des constructeurs un taux d’HAP très en deçà des normes européennes et impose aux entreprises une traçabilité rigoureuse de la provenance des éléments recyclés. Pour déterminer ce taux, la collectivité se tourne vers l’agence qui a poussé les recherches le plus loin dans le domaine. Elle est néerlandaise et préconise un taux maximal de 17 mg/kg.
Transparence, information, et contrôle systématique
Vis-à-vis du public, du monde sportif, des utilisateurs, des parents d’élèves, Saint-Nazaire veut jouer la transparence. Après la diffusion d’un reportage à la télé, la collectivité prend les devants : « on a fourni des clés de lecture et de langage pour objectiver auprès des dirigeants de façon à ce que soit diffusée une information la plus compréhensible de tous ». Cela rassure immédiatement les parents et les clubs… Mickael Frocq s’en réjouit : « on n’a eu aucun tollé dans la population ».
La ville évite que l’inquiétude tourne à la psychose en faisant contrôler tous ses terrains par un cabinet indépendant et référencé. Les analyses sont rassurantes, les taux sont en dessous de 20 mg/kg, quelle que soit l’ancienneté du remplissable, affirme le directeur des sports. La collectivité n’est guère étonnée, elle a toujours fait appel à des fournisseurs français proposant des produits de qualité. Ce qui n’est pas une généralité. Nombre de sociétés proposent des pelouses synthétiques à moindre coût faisant inévitablement appel à des sous-traitants peu regardants sur la traçabilité des produits.
La région de l’Ile-de-France rend obligatoire un test de toxicité mesurant l’impact des métaux lourds et des HAP sur l’homme
Depuis 2019, les fabricants ont plutôt intérêt à se conformer à la nouvelle recommandation de l’Anses. Faut-il pour autant les croire sur parole ? Dans un climat de suspicion généralisée, Saint-Nazaire préfère évacuer le doute, en faisant désormais systématiquement contrôler les nouveaux produits qu’elle commande, avant de les installer sur les terrains. La région Ile-de-France va plus loin en « rendant obligatoire un test de toxicité mesurant l’impact des métaux lourds et des HAP sur l’homme, lors du lancement et à période régulière, qui peut être mis en œuvre pour un coût financier raisonnable et qui sera affiché pour les licenciés ».
Produits recyclés ou non : le risque zéro n’existe pas
Cette affaire des terrains synthétiques aura au moins conduit l’Anses à redoubler de vigilance, à l’égard des produits issus de recyclage. « L’enjeu d’une économie plus sobre en ressources pose la question de l’identification des externalités négatives (parmi lesquelles les risques pour l’homme et l’environnement) à intégrer dans le développement de l’économie circulaire » écrit-elle ainsi dans un communiqué. De leurs côtés, les services des collectivités sont plus que jamais sur leurs gardes. « On n’est pas arrivé au bout des questions des normes sanitaires, commente Mickaël Frocq. Il faut rester vigilant de manière générale, comme pour l’alimentation, les jouets, il y a toujours des normes qui peuvent être plus draconiennes que d’autres pour mieux préserver la santé des uns et des autres ».
« Il ne faudrait pas penser qu’une matière recyclée présente intrinsèquement davantage de risques qu’une matière vierge »
Le mot de la fin revient à l’Institut de l’économie circulaire. Adrian Deboutière, responsable études et territoires, se montre soucieux de faire comprendre : « il ne faudrait pas penser qu’une matière recyclée présente intrinsèquement davantage de risques qu’une matière vierge ». Il est vrai que l’amiante, à l’origine d’un scandale sanitaire, avéré celui-là, n’est pas un produit recyclé. Et ce sont des matières non recyclées, en l’occurrence plastiques, qui sont responsables des perturbateurs endocriniens, particulièrement délétères pour la santé. « L’industrie du recyclage joue sa crédibilité, concède néanmoins Adrian Deboutière. Elle ne pourra fonctionner que si elle observe des niveaux de qualité technique et environnementale qui soient similaires à ceux des matières vierges ».