Remplacements non assurés, rentrée à 30 par classe en ZEP, parents obligés de garder leurs enfants: plus que les autres années, la Seine-Saint-Denis, département le plus jeune de France, est touchée par la pénurie d'instituteurs.
Hier matin, le recteur de l'académie de Créteil recevait les syndicats du primaire afin d'évoquer les mesures pour "assurer dans les meilleures conditions possibles le remplacement des professeurs des écoles" en Seine-Saint-Denis.
En effet, malgré des "mesures d'urgence" déjà prises en juin, à savoir la création de 80 postes supplémentaires dans le primaire, "des points de tension persistent, qui nécessitent de nouveaux recrutements", a admis le ministère de l'Education dans un communiqué.
Fait rarissime, des inspecteurs d'académie sont sortis de leur silence le 18 septembre en écrivant une lettre alarmiste à leur ministre Vincent Peillon. Ils lui demandaient "des mesures d'urgence" pour faire face à une "situation extrêmement préoccupante".
La démographie très dynamique du département, dont le taux de fécondité est le plus élevé de France (2,4 en 2009 contre 2 en métropole), et la surreprésentation d'institutrices plutôt jeunes, ce qui entraîne statistiquement plus de congés maternité et donc de remplacements, expliquent en partie cette pénurie.
Pour y faire face, les inspecteurs demandaient le recrutement de 250 professeurs stagiaires alors que le département compte près de 10.000 instituteurs.
A Saint-Denis, l'école maternelle Robert-Doisneau, pourtant flambant neuve avec ses 12 classes pour 490 élèves, fonctionne ainsi sans directrice depuis mai.
Excédés, des parents d'élèves occupent depuis vendredi le bureau vacant de la responsable. Parmi eux Touhami Seghir, qui répondait mardi après-midi au téléphone à sa place, notant scrupuleusement les demandes administratives ou de gestion.
Epée de Damoclès
"On fait suivre les demandes des certificats de scolarité, pour la Caf ou l'employeur. Hier l'inspectrice est passée, elle en a signé plusieurs", explique ce manager technique, qui a pris des congés pour participer à l'action.
Depuis juin, toutes les sorties de classe sont suspendues, fulmine-t-il: "On a décidé d'occuper le bureau jusqu'à ce qu'on ait obtenu gain de cause, c'est-à-dire une directrice!".
A l'école maternelle Charlie-Chaplin de La Courneuve, un congé maladie n'est pas remplacé, et une enseignante, passée en temps partiel, non plus. Résultat: chaque jeudi, ce sont deux classes qu'il faut répartir sur les cinq restantes.
"Il nous est arrivé d'avoir 30 élèves par classe, avec tous les âges mélangés, alors qu'on est en ZEP (ndlr: zone d'éducation prioritaire). Ce sont des conditions vraiment compliquées et nous, on a l'impression de ne pas faire correctement notre travail", décrit la directrice Martine Vincileoni, déléguée Snuipp. "A ce point là, je n'avais jamais vu ça", souffle-t-elle.
A Aubervilliers, cinq classes n'avaient pas d'instituteur à la rentrée, selon des parents d'élèves contactés par l'AFP. Christine Pancrassin a préféré garder sa fille à la maison "pour ne pas surcharger les autres classes" de l'école Stendhal.
"Comme je suis en recherche d'emploi, ça a contrarié certaines démarches", pointe-t-elle. Un remplaçant a été trouvé, mais "le risque existe qu'il reparte. On est toujours un peu avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête".
L'intersyndicale reçue mercredi matin par le recteur demande "le recrutement immédiat d'enseignants à la hauteur des besoins", mais aussi "le doublement des postes au concours 2013", jugeant qu'"au moins 1.000 postes sont nécessaires pour le 93".