Peut-on encore être pour la métropole ?

Nicolas Braemer

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Peut-on encore être pour la métropole ?

Vue aÈrienne d'Aurillac

© B. Piccoli - Fotolia

A l'heure de la décision, les critiques se font de plus en plus vives sur le projet de loi "métropoles". Pourtant, plus que jamais, il est nécessaire de bouger pour relever les enjeux des territoires franciliens et marseillais.
La loi a été votée en première lecture le 14 décembre à l’Assemblée nationale, mais le débat fait encore rage. La colère monte : pour certains maires et présidents d’agglo d’Ile-de-France contre le dispositif concocté par l’exécutif et certains députés pour bâtir des structures intercommunales à la hauteur des enjeux métropolitains de Marseille et de Paris, la métropole, c’est le diable. Du coup, peut-être à cause des imperfections dudit dispositif, peut-être à cause de l’apparente totale absence de pilotage politique sur ce dossier, on semble ici et là un peu gêné pour monter au créneau et défendre le principe métropolitain. Pourtant, les enjeux d’une gouvernance améliorée (ou d’une gouvernance tout court) sur les questions de transports, de logement, de développement économique… justifient largement le fait qu’on structure enfin une intercommunalité à grande échelle.

Peut-on encore y croire ?

L’annonce lyonnaise du rapprochement du Grand Lyon avec le département a surpris beaucoup de territoriaux mais paraissait dans « l’évolution logique des choses ». Les « bisbilles » marseillaises sont souvent ressenties, par les mêmes, comme la conséquence normale d’un manque d’envie politique de la ville centre (datant de Defferre) de constituer une agglomération forte. Pour Paris, en retard de quelques décennies sur l’intercommunalité, le rattrapage semblait en bonne voie avec la Constitution quand des parlementaires, abandonnant la progression consensuelle, ont frappé… au risque de « tout détruire » sur le passage et surtout de dégoûter à jamais les pionniers de l’intercommunalité parisienne. L’Assemblée nationale aura donc voté la création du Grand Paris nouvelle formule avec un empressement digne de celui d’une loi des finances. Après la séance du 12 décembre, la commission mixte paritaire (Sénat + Assemblée) a été convoquée en urgence le 17 décembre. Ainsi, après l’échec de cette « conciliation » cela permettait à l’assemblée nationale d’adopter en dernier ressort ce texte dont la parution expresse permettra qu’il soit en oeuvre pour les prochaines élections municipales.

Pourquoi tant d’urgence ?

L’incompréhension est palpable chez nombre de « grands élus » de la région centre dont certains ne décolèrent pas… en privé. Fallait-il donner une « annonce forte avant les municipales » sur la fin du « millefeuille » français comme le disent quelques députés parisiens très motivés par ce texte. D’autres pensent qu’en traitant le Grand Paris de cette façon, le gouvernement pouvait régler de manière identique le « cas Marseille ». Toujours est-il que les dégâts sont palpables dans nombre d’intercommunalités qui voient s’effondrer des années d’efforts et de compromis qui ont permis de bâtir des structures fortes.

Comment va marcher ce nouveau « machin » ?

Une étude menée par l’Institut d’urbanisme de Paris sur trois EPCI de l’est parisien a conclu que 3 % des dépenses et personnels de ces EPCI relèveraient demain de la métropole et que 97 % deviendraient une compétence orpheline parmi lesquelles on trouverait : la propreté, la voirie, les espaces verts, les médiathèques…. Les services « réputés relevé » de la métropole (nouveau concept juridique qui ne manquera pas d’interpeller les juristes) seront remis à disposition d’un conseil de territoires ne disposant d’aucune personnalité juridique. Face à cette « difficulté », les auteurs de la loi n’hésitent pas à préconiser que les communes qui avaient mutualisé ces activités se reconstituent en ententes voire en Sivom pour gérer la proximité (les statisticiens de la DGCL qui suivent avec attention la baisse du nombre de syndicats en France vont en prendre un coup). Une solution est cependant envisagée par certains hauts fonctionnaires d’une grande ville de la future métropole : doubler voire tripler le nombre d’arrondissements de la ville de paris afin de trouver un cadre juridique pertinent pour « gérer la proximité » !

Pour une mise en place non garantie

La saisine du Conseil constitutionnel sera la première étape à franchir et le président du CG 92 a déjà recensé de son côté douze articles qu’il juge inconstitutionnels. Comme la réponse du conseil pourrait être formulée avant les élections municipales (en fonction de la date de saisine) l’effet politique n’en sera que plus mesurable. Cette bouée passée, une mission de préfiguration sera mise en place afin qu’au 1er janvier 2016 toutes les difficultés soient aplanies pour la mise en place de cette grande métropole. Autant dire que le feuilleton ne manquera pas de sujets pour de nouveaux épisodes à succès comme celui de France 3 qui s’épanouit dans son cadre marseillais : « plus belle la vie ! ».

Une impérieuse nécessité marseillaise ! Il y a un décalage monstrueux entre les données socioéconomiques de l’aire métropolitaine Aix-Marseille et l’organisation institutionnelle de ce territoire. Le premier constat du rapport est flatteur : « L’agglomération a enregistré la deuxième plus forte croissance de l’emploi des métropoles européennes entre 2000 et 2012 », dit le rapport. L’agglomération marseillaise se situe ainsi en 40e position du classement mondial des villes les plus innovantes sur 445, devant Milan, Barcelone ou Rotterdam ! Cependant, de nombreuses difficultés d’organisation (notamment dans les transports, les intercommunalités, les liens de la façade maritime avec l’hinterland) ont ralenti le décollage de ce territoire. « La métropole Aix-Marseille Provence est l’une des plus inégalitaires de France en matière de revenus et de chômage », constate l’OCDE. Plus de 60 000 emplois manquent – notamment chez les jeunes (20,8 % des moins de 30 ans sont au chômage) – pour atteindre le niveau économique des métropoles comparables en France. Enfin, l’OCDE va plus loin en prenant fait et cause pour la métropole : « Le problème d’Aix-Marseille Provence est lié à la superposition de quatre niveaux de collectivités territoriales disposant d’un pouvoir fiscal, auxquels s’ajoutent de nombreux établissements publics et de puissants leviers d’intervention de l’État sur le territoire, comme le Grand port maritime ou l’OIN Euroméditerranée », martèle le rapport. Rapport flatteur ou pas, la problématique de la gouvernance est l’os sur lequel Aix-Marseille Provence se casse les dents. Mais sur cette aire, contrairement au Grand Paris, l’état de fragmentation du pouvoir institutionnel est tel qu’il se paie cash en pertes d’emplois, en embouteillages et autres impasses dans lesquelles les politiques publiques s’engouffrent et se perdent souvent.Aux élus d’éviter de faire de la future gouvernance une usine à gaz, en profitant de cet élargissement pour simplifier la mise en oeuvre des nombreux projets structurants nécessaires au décollage définitif du Grand Marseille. Avec Gaston Defferre, Marseille a laissé passer sa chance une première fois, assistant impuissamment à l’affirmation métropolitaine de Lyon. Une deuxième chance lui est offerte. Il n’y en aura pas une troisième. Stéphane Menu

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