Pierre Sallenave : "La politique de la ville est d'une difficulté extrême"

Stéphane Menu

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Dans son livre, Pierre Sallenave, ex-directeur général de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), dévoile sa passion amoureuse pour la ville et ses quartiers relégués dont les habitants sont les premiers défenseurs. Sans porter de jugement sur le débat actuel sur une rénovation urbaine à… rénover, il affirme qu’elle forme le point de départ indispensable à leur redressement.

Pierre Sallenave est diplômé de l’École polytechnique, ingénieur au corps des Ponts et Chaussées et Docteur en mathématiques. Il fut notamment le directeur général de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) entre 2008 et 2014.
À lire : « La ville se rêve en marchant ». Pierre Sallenave. Édition de l’Aube. 19 euros

Comment est née l’envie d’écrire ce livre ?

Je n’avais jamais eu l’intention réelle d’écrire un livre. Je ne suis pas urbaniste de formation. Je suis un ingénieur qui a fait de l’urbanisme. Mais, sans généraliser, les néophytes ont souvent du mal à saisir les idées que les urbanistes défendent. Mes amis Erik Orsenna et Serge Moati m’ont encouragé à décrire ma vision de la ville, parce qu’ils la trouvaient claire, au contraire des traités d’urbanisme, souvent rébarbatifs. Je me suis alors mis à raconter des histoires dont le décor était la ville, des rencontres qui, sans cet arrière-fond urbain, n’auraient pas eu la même saveur. En 2016, ma carrière professionnelle a pris une nouvelle direction. L’instant était propice, mais je ne pouvais imaginer en arriver à ce résultat. Attention, je ne voudrais pas qu’il y ait méprise. J’ai rencontré des urbanistes passionnants, comme Alexandre Chemetov, dont le récit est fascinant. Il faut l’accompagner dans un quartier qu’il a conçu et écouter ses commentaires. Les experts hors site sont moins intéressants. Je crois aux gens, aux émotions qu’ils portent, à la manière dont ils incarnent la ville. C’est dans cette direction que j’ai cheminé.

Le visage des quartiers a changé positivement dans de nombreux endroits

Vous avez été aux manettes de l’Anru pendant de longues années. Partagez-vous le courroux de Jean-Louis Borloo qui tire à boulets rouges sur la technocratisation rampante de cette structure, sans doute après votre départ, dans son dernier rapport mort-né ?

Je n’ai pas envie de m’exprimer sur ce sujet. Ce serait tellement facile de porter des jugements de l’extérieur. La seule chose que je peux dire, c’est que le discours de Jean-Louis Borloo ne m’a pas surpris : c’est un homme fait pour soulever des montagnes. Mais je ne dirai pas si je partage ou pas son point de vue. Mettre en œuvre la Politique de la ville est d’une difficulté extrême car les élus sont confrontés tous les jours à des surprises et rarement des bonnes. Certes, l’Anru s’est sans doute technocratisée au fil du temps, mais elle a réalisé un travail essentiel et a permis à de nombreux quartiers de retrouver le chemin de l’espérance. L’agence a toujours été portée par une immense ambition. L’ennui, en France, c’est que les processus de décision s’alourdissent toujours au fil du temps. J’ai passé six ans à me battre contre cette bureaucratisation néfaste. Je n’ai pas toujours eu gain de cause… Mais un immense travail de fond a été mené à bien. Le visage des quartiers a changé positivement dans de nombreux endroits.

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Sur un plan financier, les objectifs ont été atteints…

Le temps de lancer la machine entre 2004 et 2008, l’agence avait dépensé à peine un milliard d’euros. Puis les dépenses de l’Anru ont oscillé entre 1 milliard et 1 milliard et demi d’euros chaque année. Et, sans avoir les chiffres en tête, je suis convaincu que les chiffres de 2015 et 2016 ont avoisiné le milliard et demi d’euros, ce qui correspond à presque cinq milliards d’euros d’investissement. Une fois les chantiers lancés, il faut pouvoir les mener à bien. Entre la fin du premier programme et le début du deuxième, il y a eu un ralentissement, ce qui est en grande partie inévitable.

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On a souvent reproché à l’Anru de se focaliser uniquement sur le bâti et pas assez sur le social. Était-ce votre rôle ?

Les enjeux sociaux étaient et restent énormes. A-t-on fait assez en parallèle ? Sur l’éducation, par exemple, nous n’avons pas été assez bons, je crois. Pourtant, nous avons cherché en permanence à impacter sur l’école, mais nous n’y sommes peut-être pas parvenus. La rénovation urbaine a été conçue pour rendre possible l’enclenchement d’autres dynamiques vertueuses en partant du principe que le travail sur le bâti formait la pierre angulaire du reste. Je me souviens de la confidence d’un principal de collège à Antony, dans les Hauts-de-Seine, qui m’assurait que l’intervention de l’Anru avait changé l’image du quartier, qu’il le ressentait clairement et de façon mesurable jusque dans les résultats de ses élèves au Brevet des collèges. Peut-être aussi peut-on se demander si les autres ministères régaliens ont profité de ce contexte favorable pour avancer leurs pions et changer les choses dans leur secteur…

La rénovation urbaine a été conçue pour rendre possible l’enclenchement d’autres dynamiques vertueuses en partant du principe que le travail sur le bâti formait la pierre angulaire du reste

C’est ce que l’on ressent tout au long de votre livre, le potentiel de renouveau des politiques publiques qu’a toujours permis la rénovation urbaine…

L’ambition première de la rénovation urbaine est, au travers de la remise à niveau du cadre de vie et d’un message fort de considération, adressé aux habitants, de créer les possibilités d’un changement de l’image du quartier à partir des réussites, celles qui permettent toujours d’aller de l’avant. Il appartient aux maires, qui jouent un rôle de vigie capital, de sentir ces possibilités, de les potentialiser. L’État ne peut pas tout… Une des raisons d’être de l’Anru, c’est de passer le flambeau aux maires, d’être à leurs côtés pour qu’ils puissent capitaliser la rénovation urbaine. Reste à savoir si l’État leur en donne les moyens.

Les Yvelines accélèrent
Chanteloup-les-Vignes est la première commune des Yvelines à bénéficier du plan d’amorce pour la rénovation urbaine mis en place par le conseil départemental en partenariat avec la communauté urbaine Grand Paris Seine & Oise. Alors que l’État n’a pas encore dévoilé le contenu et les moyens financiers pour les banlieues, le conseil départemental a décidé d’anticiper en mobilisant une enveloppe de 30 M€ pour lancer les travaux. L’objectif est « d’enclencher les grandes opérations urbaines » prévues dans le département « sans attendre les financements de l’Anru ». Cette décision a été votée par les élus lors de la séance de décembre dernier. Chanteloup-les-Vignes est l’une des villes les plus pauvres du département. Des aides vont donc être accordées pour soutenir des projets de la cité de la Noé, quartier où vit plus de la moitié de la population. Catherine Arenou (LR), la maire, également vice-présidente du conseil départemental, estime qu’il s’agit « de redonner de l’espoir », l’action du département devant agir comme « un effet levier ». La ville a déjà bénéficié en dix ans de 106 M€ dans le cadre des premiers dispositifs de rénovation urbaine. Catherine Arenou considère cependant qu’il reste « beaucoup à faire ».

Que faites-vous aujourd’hui ?

Je suis consultant indépendant. J’ai gardé un pied dans l’urbain, en France comme à l’étranger. Je travaille aussi dans le secteur des transports maritimes et des énergies renouvelables. La ville m’a passionné. Mon passage à l’Anru n’a pas toujours été facile, mais il reste ce que j’ai vécu de plus fort comme expérience humaine au cours de ma carrière. Avec mon ami Jacques Bangou, maire de Pointe-à-Pitre, j’ai le souvenir de promenades instructives dans les quartiers où j’ai rencontré des gens magnifiques. Les forces vives de ces quartiers, ce sont les habitants. Sans eux, rien ne se fait.

Après toutes ces années et avec le recul de trois ans depuis votre départ de l’Anru, quel regard portez-vous aujourd’hui sur les quartiers ?

Un regard amoureux…

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