Piétonnisation des voies automobiles : à Séoul, une idée vieille de 15 ans

Marjolaine Koch

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Piétonnisation des voies automobiles : à Séoul, une idée vieille de 15 ans

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© mnimage - adobestock

Traversée par de nombreuses autoroutes urbaines, souvent sur viaduc, Séoul a entrepris d’importants projets de reconversion. Rendues aux piétons, parfois même démontées, ces vastes infrastructures ont changé le visage et l’usage de la ville.

Au pays du Matin calme, la première initiative du genre remonte déjà à une quinzaine d’années. En plein cœur de ville, sur 6 kilomètres, une voie rapide surplombe. Elle est composée de quatre voies en viaduc et de huit voies en boulevard urbain.

Cette route recouvre la rivière Cheonggyecheon, transformée en égout lors de l’aménagement des voies, en 1970. Au début des années 2000, la métropole coréenne compte près de 10 millions d’habitants, la pression automobile est à son comble : 170 000 véhicules empruntent quotidiennement la voie rapide, un débit comparable au tronçon du périphérique sud parisien. Les bouchons se multiplient, les infrastructures vieillissent, se fragilisent.

La municipalité se trouve face à un choix : fermer cette voie durant trois ans et engager des travaux coûteux pour renforcer la structure, ou bien… la supprimer. En 2003, le choix est tranché : ce sera une fermeture pure et simple. L’autoroute est démolie, le boulevard urbain est réduit à deux fois deux voies, la rivière est découverte et des promenades piétonnes sont aménagées sur les rives.

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Contrairement aux prévisions de trafic, les problèmes de circulation sont moins sérieux que prévu. La fermeture n’a pas accentué les degrés de congestion dans les environs, un volume conséquent de trafic s’est évaporé et la fréquentation du métro a légèrement augmenté. Dans leur ensemble, les temps de parcours ont subi une hausse très modérée. Depuis, d’autres viaducs ont été supprimés à travers la ville, souvent à la demande des habitants qui prennent goût à cette amélioration de leur qualité de vie.

CE QU'IL FAUT FAIRE

Lutte contre la congestion automobile : plusieurs options
Comment rétablir l’équilibre entre l’offre viaire et la demande automobile ? Il existe plusieurs types de régulation :
1- Laisser les choses en l’état et considérer que la congestion est un rationnement naturel de l’offre.
2- Accroître le réseau en construisant des routes supplémentaires ou en redimensionnant l’existant.
3- Contrôler la demande automobile pour la réduire, en contraignant l’usage automobile ou bien en proposant des alternatives, comme le développement des transports en commun, la promotion du vélo, de la marche…
4- Utiliser l’outil de planification pour articuler transport et urbanisme, dans le but de contrôler, sur le long terme, l’offre et la demande.

Source : Les stratégies d’adaptation à la congestion automobile dans les grandes métropoles : analyse à partir des cas de Paris, São Paulo et Mumbail, thèse de Gaële Lesteven (2012, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) consultable à cette adresse : journals.openedition.org/confins/7653

Seoullo 7017 et sa « bibliothèque de plantes »

L’autre projet phare s’est achevé en 2017 : il s’agit de Seoullo 7017. Un chiffre qui correspond à l’année de construction de cette autoroute aérienne, 1970, et à celle où elle se mua en promenade plantée. Longue de 983 mètres, située à proximité de la gare centrale sur la rive nord du Han, cette voie surplombe la ville à 17 mètres de hauteur. Jusque-là, elle constituait un véritable barrage dans la ville. Désormais réaménagée et piétonnisée, elle a été agrémentée

de plusieurs tronçons à ses extrémités afin de faciliter les connexions avec les commerces et les grands axes urbains adjacents. Une dizaine de boutiques, cafés et restaurants ont été aménagés, et des passerelles ont également été conçues pour rejoindre certains commerces avoisinants financés par leurs soins. L’opération aura coûté 47,5 millions d’euros, au total. Les architectes et la ville ont choisi de conserver l’aspect minéral de la route, et de l’agrémenter d’une sorte d’immense « bibliothèque de plantes », agencée selon l’alphabet coréen. 24 000 plantes en pot de 228 espèces différentes, qui pourront être achetées lorsqu’elles atteignent la taille critique. L’objectif était d’offrir plus de verdure à la ville sans chercher non plus à imiter la nature en aménageant un parc hors-sol. Pour compléter l’aménagement, des scènes culturelles, des bains de pieds, des trampolines, des plateformes d’observation et un théâtre de marionnettes ont été aménagés. Et de nuit, la promenade s’éclaire d’une lumière bleue digne d’un film de science-fiction, un objectif recherché par les architectes en charge du projet, le cabinet hollandais MVRDV.

Supprimer des voies sans affecter la congestion, voici un exemple à relayer

Le projet fait parler : supprimer des voies sans affecter la congestion, voici un exemple à relayer. Cependant, Seoullo 7017 mérite d’être étudié avec un œil critique, car si louable soit l’intention, le projet lui, aurait pu aller plus loin. Premier fait surprenant : cette promenade, annoncée comme un projet écologique d’envergure, n’est pas autorisée aux vélos.

La piétonnisation de voies automobiles, pas vraiment une nouveauté...

- À Portland : l’autoroute Harbor Drive est l’une des premières à avoir été transformée en parc. Construite au cœur de la ville dans les années 1940, elle a été détruite en 1974 et remplacée par le parc Tom McCall.
- À San Francisco : l’Embarcadero, une double autoroute est ouverte en 1958 entre le centre de la ville et le front de mer. Endommagée par un séisme en 1989, elle est détruite et remplacée par un parc qui redonne un accès facile au front de mer, jusque-là barré par cette voie rapide.
- À Madrid : l’autoroute M-30, qui longeait historiquement les bords de la rivière Manzanares, devient souterraine dans les années 2000. L’espace occupé en surface devient un parc de 400 hectares.

Aucun accès n’a été prévu pour eux, ce qui n’était pas le cas du premier projet de la Cheonggyecheon river, qui s’était accompagnée d’une politique de mobilité (pistes cyclables, bus en site propre...). Les plantes, en pot, nécessitent un arrosage coûteux, d’autant que l’évaporation est accentuée par l’environnement de bitume.

Enfin, ces projets, qui améliorent le quotidien des habitants, génèrent quasi automatiquement une hausse du prix de l’immobilier et une gentrification des quartiers environnants. Un phénomène classique et difficile à résoudre, quelle que soit la ville concernée.

À SAVOIR

Londres, le contre-exemple
Partir de l’existant… ou échouer ? La question se pose, au regard de la tournure qu’a pris le projet « Garden Bridge » à Londres. En 2013, un projet de construction d’un pont-jardin sur la Tamise est envisagé. L’ex-maire de la capitale, Boris Johnson, donne son aval pour le lancement de ce pont qui devait abriter plus de 200 arbres, des fleurs et de la verdure, mais aussi des boutiques à l’une des deux extrémités. Ce pont uniquement piéton aurait été interdit à tout autre mode de déplacement, y compris le vélo, et aurait pu être privatisé à hauteur de 12 jours par an. Situé entre Waterloo et Temple, il devait être inauguré cette année.
Mais l’an passé, l’actuel maire travailliste, Sadiq Khan, a refusé d’apporter la garantie financière nécessaire à la construction du pont. Car le projet était d’envergure : d’un coût de près de 203 millions d’euros après révision du projet par Bouygues et Cimolai, qui devaient se partager le contrat, le pont aurait aussi demandé environ 3,3 millions d’euros d’entretien annuel. Une somme impensable pour le maire. Malgré les études d’ingénierie engagées, qui avaient déjà coûté à la ville 52,5 millions d’euros, ce dernier a donc préféré se retirer. Quelques mois plus tard, le trust à l’origine du projet jetait l’éponge.

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