Matthieu Chassignet HD web
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La sortie du confinement a été l’occasion de voir apparaître de nombreuses pistes cyclables temporaires, comment voyez-vous cette période ?
À court terme, c’est un formidable accélérateur. La plupart de ces projets étaient dans des cartons et auraient mis plusieurs années à émerger. À moyen terme, cela pourrait changer le dialogue entre les citoyens et les élus : traditionnellement, l’aménagement de l’espace public en France est très technocratique, on demande rarement l’avis aux citoyens. Les projets sont décidés sur le papier et ensuite mis en œuvre, en espérant que le citoyen sera content. Là, on a renversé la chose : le politique devait prendre des décisions rapidement et les services les mettre en place tout aussi rapidement. Il fallait assumer le fait que ces pistes cyclables ne soient pas parfaites du premier coup. Ce qu’on demande, c’est qu’ils tiennent compte des retours et des commentaires des usagers. Si quelque chose a été fait de manière imparfaite, il faut que la collectivité soit suffisamment réactive pour revoir sa copie.
« Ce qu’on demande, c’est qu’ils tiennent compte des retours et des commentaires des usagers »
Les intercommunalités et les départements développent-ils des stratégies vélo ?
Le dernier baromètre vélo de la FUB montre des scores assez décevants pour les villes entre 50 000 et 100 000 habitants. Pourtant le vélo serait pertinent, les distances étant relativement faibles. Il existe malheureusement très peu de contraintes sur la voiture et très peu d’aménagements cyclables. La pratique du vélo reste faible tant que l’usager ne se sent pas en sécurité. Un bon plan vélo doit contenir quelques mesures anti-voiture sinon ça ne marche pas. Il faut remettre en cause l’hégémonie de la voiture pour que le vélo trouve sa place.
Quant aux départements, on a besoin d’eux pour ce qui est à la frontière entre le vélo touristique et le vélo du quotidien, sur ces tracés qui font un réseau structurant sur lequel peuvent ensuite s’appuyer les collectivités.
« Il existe malheureusement très peu d’aménagements cyclables dans les villes entre 50 000 et 100 000 habitants »
Quand une collectivité met en place un plan vélo fort, est-ce que ça fait tache d’huile ?
L’exemple le plus emblématique est Paris, qui influence indirectement la politique des autres grandes villes de France. Mais à ce jour, dans les métropoles, le vélo est cantonné aux zones-centre, il est temps qu’il diffuse. La nouvelle tendance est au Réseau express vélo, le « REV », pour irriguer la périphérie. Les précurseurs sont Strasbourg et Grenoble qui aménagent un réseau continu, de qualité, rapide, qui montre qu’on peut aller très vite.
En offrant des infrastructures à haut niveau de service et la priorité sur certaines intersections, on permet d’augmenter la vitesse et l’efficacité de ce mode de transport. Dix kilomètres dans ces conditions, cela peut prendre une demi-heure.
« Ce jour, dans les métropoles le vélo est cantonné aux zones centre, il est temps qu’il diffuse »
Quels sont les leviers qui permettent de faire progresser l’usage du vélo ?
La question des services est importante. Mettre à disposition des vélos en location, c’est très peu coûteux pour une collectivité et cela crée un choc de demande. À Paris, le Velib a multiplié l’usage du vélo par deux sans toucher à l’infrastructure cyclable. Pour les villes moyennes, la location longue durée remplit très bien ce rôle : Saint-Nazaire va bientôt dépasser les 1 500 VAE et 100 personnes sont sur liste d’attente.
L’indemnité kilométrique vélo est un autre levier qui fonctionne bien. Cette incitation financière a déjà montré qu’elle pouvait multiplier par deux l’utilisation du vélo.
« On a tendance à être frileux, mais il ne faut pas avoir peur de tester les aménagements »
Quels conseils donneriez-vous à un agent de collectivité en charge de la question vélo ?
On a tendance à être frileux, mais il ne faut pas avoir peur de tester les aménagements. Aux États-Unis, certaines villes n’hésitent pas à expérimenter, à peindre des pistes cyclables pour tester les couleurs qui offrent le plus de lisibilité et de sécurité aux cyclistes, à tester des textures… Il est aussi possible de créer des aménagements temporaires très sommaires à l’aide de cônes ou de barrières amovibles, la période que nous vivons en est désormais la preuve. Faisons de l’urbanisme tactique, testons des choses légères, simples et démontables, après on ajuste, on rectifie… En caricaturant, je dirais qu’en France, on peut étudier des aménagements pendant des mois avant de se lancer, et obtenir un résultat mitigé. u
Mathieu Chassignet est ingénieur mobilité, qualité de l’air, transition numérique à l’Ademe.