Plages : après le grand ménage, une nouvelle cacophonie ?

Patrick Martin-Genier

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Plages : après le grand ménage, une nouvelle cacophonie ?

Sandcastle on the sea in summertime

© candy1812 - adobestock

Les maires qui ont remis en ordre les constructions sur les plages se sont lancés dans un nouveau programme de renouvellement des concessions. Mais un phénomène étrange apparaît : de nouvelles constructions, majoritairement sur pieux. Elles sont massives, inesthétiques et ont entraîné de nouvelles nuisances encore plus visibles. Des associations s’élèvent contre ces nouvelles pratiques.

Depuis deux ou trois ans, les communes balnéaires ont entrepris de mettre de l’ordre dans le développement anarchique de structures de toutes sortes sur les plages. Il s’agissait de restaurants, de structures de sport, d’installations de concessions privées qui, au fil de longues années, avaient fini par s’incruster pour ainsi dire définitivement dans le domaine public de littoral que l’État a concédé aux communes.

Des concessions de plage ont fini par être durablement installées financièrement et physiquement

C’est ainsi que des concessions de plage, attribuées parfois depuis plus d’un quart de siècle, même si des renouvellements intervenaient formellement, ont fini par être durablement installées dans les deux sens du terme : financièrement et physiquement par des installations implantées dans le domaine public en méconnaissance de la loi littoral et du code de l’urbanisme. Cette situation scandaleuse s’est perpétuée jusqu’au jour où les maires, mis en demeure par l’État de régulariser ce grand capharnaüm des plages, ont été dans l’obligation de mettre en demeure les concessionnaires de déménager purement et simplement et de remettre en état les plages.

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La remise en état : une obligation légale

Ils ont été d’autant plus incités à cette remise en ordre que le fameux décret plage n° 2006-608, revu en 2011, les y oblige. Si le concessionnaire est autorisé à occuper une partie de l’espace concédé, cela doit répondre aux besoins du « service public balnéaire ».

Le décret rappelle aussi que les concessions doivent être compatibles avec le maintien de l’usage libre et gratuit des plages, ce qui au fil des ans était devenu de plus en plus difficile dans certaines stations balnéaires particulièrement favorisées et recevant une clientèle aisée. La règle veut que plus une commune balnéaire est réputée, plus les concessions privées sont développées. Ailleurs, dans les communes plus pauvres, on ne se bouscule pas au portillon…

Plus une commune balnéaire est réputée, plus les concessions privées sont développées

Le point le plus sensible était la violation de règles élémentaires interdisant tout équipement ou installation non démontable, c’est-à-dire ancré dans le domaine public, alors que ceux-ci devaient rester démontables.

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Un renforcement du contrôle du juge

Mais les derniers mois ont montré que les choses se passaient d’une façon à laquelle on ne s’attendait pas. Beaucoup de communes ont eu à se défendre devant les tribunaux administratifs contre des contentieux intentés par les anciens concessionnaires délogés. Les communes ont obtenu gain de cause pour la simple raison qu’il en allait du respect des règles posées par le décret plage et le code de l’urbanisme. Des concessionnaires ont donc tenté leur chance ailleurs pour se voir attribuer d’autres concessions de plage, souvent dans les communes limitrophes. La concurrence étant rude, les tribunaux administratifs ont vu arriver de nouveaux des contentieux relatifs à la passation des nouvelles concessions de plage.

Les collectivités doivent désormais fixer des règles précises dans les cahiers des charges de concessions

Il en est allé ainsi de la concession accordée par la commune de Cannes sur certaines plages en 2018. Ce contentieux a montré que les collectivités doivent être désormais précises en ce qui concerne les règles posées par le cahier des charges de concessions et le juge s’assure du caractère suffisamment objectif et précis des critères. Il en va ainsi sur la qualité et la diversité des services rendus aux usagers (service balnéaire, service de surveillance du plan d’eau et de la plage, service de restauration), et les services supplémentaires offerts aux usagers.

Sur la durée de la concession, la Haute juridiction s’appuie sur l’article 34 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concessions, ainsi que sur l’article 6 du décret du 1er février 2016 portant sur le choix relatif à la durée d’un contrat de concession. Le délai doit être justifié sur le plan économique.

Mais ce qui est intéressant dans certains contentieux introduits à l’occasion de l’attribution des concessions de plage est l’allusion faite aux exigences architecturales et au code général de la propriété des personnes publiques.

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Un détournement de l’esprit de la loi et du règlement ?

À l’occasion d’un de ces contentieux, on apprend ainsi qu’un candidat a remporté une concession malgré des installations reposant sur un système de toile tendue sur micropieux qui n’était pas démontable quotidiennement et était ancré durablement au sol. Dans cette affaire, le Conseil d’État a botté en touche en estimant que le dispositif d’ombrage et de protection au vent que la société proposait ne comportait pas de « structure permanente ou semi-permanente » illégale. Nous sommes là en plein dans la polémique qui agite aujourd’hui les habitants des communes concernées et les riverains des plages.

Seule différence : ces structures sont montées sur pieux et évitent l’illégalité d’un ancrage dans le sol

Dans une commune de Bretagne, le cahier des charges a imposé certains types de construction par exemple en bois avec des toitures harmonisées ainsi que la mise en place de filtres performants pour éviter les odeurs de friture. Toutefois, il s’est avéré que la création des nouvelles structures démontables intervenait sur des sols rehaussés induisant de nouvelles nuisances visuelles évidentes.

Un autre phénomène architectural est apparu. Certains concessionnaires ont monté des constructions surélevées d’un à deux mètres, des structures posées sur pieux, mais qui sont massives et immenses. La seule différence avec des structures implantées sur le sol est que ces structures sont montées sur pieux et évitent par suite l’illégalité d’un ancrage dans le sol. Si elles sont destinées à rester plus d’une certaine période définie dans le cahier des charges de la concession, il est fort à parier que ces structures au final resteront des années en place, telles quelles, sans bouger.

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De véritables immeubles

Elles n’en constituent pas moins de véritables immeubles, surélevés au niveau de la rue. Certains d’entre eux ont pour conséquence de cacher la vue de la mer non seulement aux riverains qui ne voient plus l’horizon, mais aussi le cas échéant aux habitants d’immeubles du rivage qui habitent au premier étage. Ces riverains se sont ainsi, face à ces immeubles, privés de la vue qu’ils avaient avant.

La question est clairement de savoir si, tout en respectant formellement la loi, on n’arrive pas au final à détourner l’objectif final qui est de respecter l’environnement, ce qui est bien plus large que le simple respect des règles d’urbanisme !

Malgré les enquêtes publiques, les habitants semblent avoir été tenus à l’écart d’une vaste négociation

Le plus gênant dans cette affaire et que, malgré la présence d’enquêtes publiques, les habitants semblent avoir été tenus à l’écart d’une vaste négociation. Il semble qu’au nom du respect de la loi littoral, les responsables aient sacrifié certaines règles qui faisaient le charme des bords de mer ! Il n’est pas trop tard pour réagir.

Si cette nouvelle forme d’anarchie sur le littoral devait se confirmer, il appartiendra sans doute au législateur d’imposer de nouvelles règles.

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