« Playing out », quand la rue devient une aire de jeux

Marjolaine Koch

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« Playing out », quand la rue devient une aire de jeux

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À Bristol en Grande-Bretagne, deux mères ont décidé de rendre la rue à leurs enfants quelques heures par semaine. À partir de cette initiative micro-locale, elles ont développé une véritable tendance de fond dans tout le pays, et même au-delà de la Manche.

Sud de Bristol, année 2007. Alice Ferguson et Amy Rose regrettent que leurs enfants soient obligés de rejoindre parc ou skate-park pour se défouler à leur guise, quand quelques jeux dans la rue leur suffiraient amplement.

Un nouveau sens de l’espace commun

Dans ce quartier anglais où les maisons sont mitoyennes et les jardins réduits à une portion congrue, les options sont rares. Elles décident, alors, de reprendre des droits sur la rue. Il leur faudra un certain temps de réflexion avant de trouver la solution pour organiser un temps de jeux devant chez elles mais enfin, en juin 2009, la première session est organisée. Deux adultes sont postés à l’entrée de la rue pour en interdire la circulation, pendant que deux autres adultes guident les véhicules des riverains souhaitant sortir ou bien se garer.

30 enfants de tous âges profitent de la première session… pendant que les parents discutent en partageant un thé sur le seuil de leurs maisons

Près de 30 enfants de tous âges profitent de la première session de « Playing out » : dessins à la craie sur la route, jeux d’eau, corde à sauter… pendant que les parents discutent en partageant un thé sur le seuil de leurs maisons. Un nouveau sens de l’espace commun était né.

Pour arriver à ce résultat, les deux mères ont longtemps cherché quel stratagème leur permettrait d’organiser ce créneau de jeu en toute légalité. Une seule solution s’offrait à elles : remplir une demande auprès de la mairie pour l’organisation d’une fête de quartier. Cette démarche, valable au maximum trois fois par an à Bristol, nécessite de remplir un dossier conséquent et impose de glisser un courrier dans la boîte aux lettres de chaque riverain. Il n’existait alors aucune périodicité possible.

Lire aussi : Espace public : quelle place pour les enfants dans la ville ?

La ville encline à développer l’initiative

Mais à la municipalité de Bristol, l’initiative intrigue suffisamment pour que Jon Rogers, l’élu à la santé, décide de passer une tête dans le quartier le jour où est organisé ce temps de jeux libres. Au moins aussi surpris que les habitants du nombre d’enfants descendus dans la rue pour l’occasion, il dresse le même constat : l’idée est à la fois simple et géniale. Jon Rogers résume : « c’est low-cost, mené par les résidents et c’est un moyen d’accroître l’activité des enfants ». La graine est plantée, un projet pilote allait voir le jour.

Les démarches sont facilitées par la ville, très encline à développer l’initiative

Soutenues par la ville, Alice Ferguson et Amy Rose lancent une campagne de communication pour que d’autres rues développent ce type de projet à leur tour. En 2010, cinq autres rues de Bristol embrayent le pas. Les démarches sont facilitées par la ville, très encline à développer l’initiative. Ce projet pilote est validé non sans quelques résistances d’usage au sein du conseil municipal, concernant l’impact sur le trafic automobile.

Nommé « Temporary play street order » (TPSO) ou, en français, « Permis temporaire de jouer dans la rue », il permet aux résidents de choisir la fréquence, mensuelle ou hebdomadaire, et la durée, d’un maximum de trois heures, de fermeture de la rue. La seule démarche consiste désormais à remplir un formulaire une fois par an.

Lire aussi : Penser le PLU avec des enfants

Le concept plaît, l’idée se répand comme une traînée de poudre bien au-delà de Bristol. Les deux mères découvrent chaque jour dans leur boîte mail de nouveaux messages de parents ou d’élus municipaux intéressés. Des organisations et des experts de la petite enfance les contactent également. Tim Gill, un consultant britannique renommé, spécialiste des questions de jeu et du temps libre chez l’enfant, estime même qu’il s’agit là de l’expérience « la plus excitante et visionnaire de cette dernière décennie ».

Les « 10 bonnes raisons » de développer le « Playing out »
1/ Les enfants ont besoin de jouer. C’est vital pour leur développement physique et émotionnel.
2/ Les rues sont comme une toile vierge pour les enfants : ils peuvent laisser libre-cours à leur imagination pour inventer de nouveaux jeux.
3/ Les enfants aiment jouer près de chez eux. Une enquête de 2007 révélait que 71 % des adultes avaient joué dans leur rue quotidiennement, alors qu’aujourd’hui seulement 21 % des enfants ont la possibilité de le faire.
4/ Les enfants ont besoin de plus d’espace pour se dépenser. Beaucoup de maisons n’ont pas de jardin et nombre d’enfants n’ont pas non plus l’occasion de se rendre souvent au parc.
5/ Jouer dans la rue augmente la cohésion entre voisins. Adultes comme enfants se sentent plus responsables de ce qu’il se passe dans la rue, augmentant mécaniquement la sécurité dans le voisinage.
6/ Ces temps de jeux sont autant d’opportunités pour socialiser, pour les enfants comme pour les adultes, qui peuvent ensuite s’entraider.
7/ Les enfants développent des compétences précieuses en jouant dehors, notamment en apprenant à inventer et à se débrouiller seuls ou en groupe devant une situation inhabituelle.
8/ Jouer dans la rue en bas de chez soi permet aux enfants d’être « semi-supervisés » : les parents peuvent faire des tours de garde en confiant la surveillance de leur progéniture à des voisins. Cette situation offre un sentiment supplémentaire de liberté aux enfants.
9/ La rue est « le point de départ de tous les voyages », déclarait le consultant en petite enfance Tim Gill. La capacité à jouer en toute indépendance dans la rue est un premier pas vers une plus grande indépendance, pour rendre visite à des amis ou se rendre seul à l’école.
10/ Les rues constituent la plus grande majorité des espaces publics de la ville. C’est dévaluer les rues que de considérer qu’elles sont uniquement destinées à la circulation des véhicules. Les rues devraient permettre aux habitants de se croiser, de s’asseoir et discuter, et même de jouer.

Un vecteur de progrès social reconnu…

Ce créneau réservé aux enfants s’installe dans les mœurs, d’autres rues entrent à leur tour dans le projet. En 2011, avec le soutien de The Funding Network, le concept est présenté à Oxford.

Ces sessions de jeux de rue développent significativement les temps de jeux d’extérieur des enfants, et donc leur niveau d’activité physique

Plusieurs médias nationaux relaient l’information et en quelques semaines, les membres de l’association Playing out reçoivent plus de 100 demandes de renseignements : le projet prend de l’envergure, les parents investis décident de faire de Playing out un groupement d’intérêt communautaire, un statut qui leur permettra notamment de rencontrer des membres du cabinet du ministère de la Santé pour discuter d’un soutien du gouvernement pour le mouvement « street play ». En 2012, l’université de Bristol remet les conclusions de son analyse menée sur le projet pilote : ces sessions de jeux de rue développent significativement les temps de jeux d’extérieur des enfants, et donc leur niveau d’activité physique. Alice Ferguson, elle, y voit aussi un vecteur de progrès social pour les membres du quartier, qui trouvent là l’occasion de se rencontrer et de nouer des liens plus forts avec leurs voisins. À cette date, dix-sept rues de Bristol ont déjà postulé pour un « TPSO », impliquant 500 enfants et 200 adultes. Devant le succès de l’opération, la municipalité décide de pérenniser ces permis.

Devant le succès de l’opération, la municipalité décide de pérenniser ces permis

… et repris bien au-delà des frontières

Dans la foulée, d’autres municipalités adoptent ce même modèle : le mouvement devient national.

Suite à sa rencontre avec le ministère de la Santé, Playing out a bénéficié d’une subvention lui permettant de développer le mouvement des jeux de rue. Ce soutien et l’engouement général ont abouti à la création de plus de 660 « rues-jeux » dans 67 villes du Royaume-Uni : des dizaines de milliers d’enfants bénéficient de ce projet.

Le concept, repris bien au-delà des frontières désormais, a fait de Bristol le « laboratoire » de cette expérience. Et les initiatrices comptent bien s’appuyer sur la municipalité pour développer le « Playing out » hors des rues résidentielles. Avec l’aide d’architectes et d’associations de quartiers, elles réfléchissent maintenant au moyen d’adapter ce concept de jeux d’extérieur à des zones plus complexes, comme les barres d’immeubles ou les grands ensembles.

Lire aussi : Et si on laissait les femmes changer la ville ?

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