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© Frédérique Bertrand
Il y a 7 ans déjà que la démarche « écocité », initiée par l’État, a démarré. Marseille, Bordeaux, La Réunion, Metz Métropole, Strasbourg, Rouen Métropole, Toulouse, Grand Lyon, Saint-Nazaire/Nantes… 19 grandes villes aménagent une « écocité » (13 depuis 2009, 6 à partir de 2011). Depuis quelques semaines, suite au deuxième appel à projets, les écocités sont désormais 31 au total.
Rarement, dans les territoires, autant de matière grise n’a été mobilisée pour repenser la ville de fond en comble. Aménageurs, collectivités, architectes, universités, entreprises, opérateurs du BTP, de l’énergie et de la mobilité et de l’informatique sont assis autour d’une même table. Les premières avancées de ce bouillon de « génie urbain » donnent l’impression d’un vrai virage vers le « durable ». Un bémol toutefois, cette effervescence semble encore peu concerner les citoyens.
« Des stratégies à peu près calées »
Ici et là, les premiers habitants ne tarderont pas à emménager dans les écocités. À Grenoble, la moitié d’un premier grand quartier de l’Écocité (500 logements) sort de terre… Nice démarrera prochainement ses premières constructions. Des permis de construire ont été délivrés pour des logements confiés à l’architecte Jean Nouvel et pour un programme de bureaux, adaptés au climat méditerranéen, avec des performances énergétiques « RT 2012 -20 % ». Mais on est encore loin de voir la première écocité achevée.
« Les grandes stratégies sont à peu près calées » assure cependant Florent Hébert, auteur de « Villes en transition, l’expérience partagée des écocités ». La stratégie de l’écocité de Lille (2 500 hab.) repose ainsi sur l’idée de bâtir une « ville intense », c’est-à-dire de « construire là où les usages de la ville sont ou doivent être plus intenses : stations de transports collectifs, équipements publics » ((Citation extraite du livre « Villes en transition, l’expérience partagée des écocités »)).
Dans l’écocité ViaSilvia de Rennes, l’urbaniste Devillers construit des « macro-îlots » où tous les services quotidiens seront situés dans un rayon de 500 mètres.
À Marseille, une boucle Eau de mer devrait réduire la consommation énergétique des utilisateurs, de 40 % et leur consommation d’eau de 65 %.
À Marseille, ville frappée par la précarité, a été mise au point une approche « low cost/easy tech » pour développer une offre urbaine répondant certes aux impératifs environnement, mais accessible aux bourses des ménages… Quant aux projets à l’intérieur de chacune des écocités, ils en sont à des stades d’avancement variables. Florent Hébert note une constante : « Les orientations énergétiques dans les écocités sont claires et reposant sur les ressources locales ». À Marseille toujours, une boucle Eau de mer sera le deuxième projet de ce type en France, et pour la première fois à grande échelle. Elle alimentera, entre autres, le quartier « Smartseille » de l’écocité. Cette boucle devrait réduire la consommation énergétique des utilisateurs, de 40 % et leur consommation d’eau de 65 %.
La Caisse des dépôts qui gère le fonds ville durable soutient ce projet, au même titre que 145 autres. Leurs spécificités ? « Être des innovations technologiques dans tous les secteurs, mais également organisationnelles ou encore d’usage. À titre d’exemple, le système de collecte de déchets conçu à Rouen, CREA Collecte, en zone dense, est à la fois un système innovant sur le plan technique mais également pour l’accompagnement des habitants mis en place », résume Isabelle Moritz, responsable fonds ville de demain du ministère de l’Écologie.
TÉMOIGNAGE - Les citoyens sont-ils impliqués dans l’élaboration des écocités ?
Hélène Bisaga, chargée de développement de l’EPA Alzette-Belval : « La concertation est essentielle, mais doit être créative »
« D’ici 20 ans, la population du Pays-Haut Val d’Alzette aura quasi doublé. 8 600 logements, soit environ 20 000 habitants sont attendus sur un territoire de 210 ha (incluant l’écocité) — situé en Lorraine, à la frontière avec le Luxembourg. La concertation est donc essentielle. Mais il faut être créatif : visites guidées avec animation musicale en point d’orgue, projet avec les élèves de CM2… Sur le volet « services innovants », le fonds « Ville de demain » soutient une action « living lab » en partenariat avec l’Université de Lorraine. Le principe : mieux cerner avec des volontaires, les usages que pressentent entreprises et opérateurs, avant de les tester en grandeur nature, dans l’écocité. Et c’est, quoi qu’il en soit, sur le terrain et la durée, que les usages se confirmeront ou évolueront… »
Vision large, lointaine et… opérationnelle
À travers les projets « écocités », des nouveaux réflexes semblent désormais acquis comme : anticiper par étapes les services de proximité d’ici 20 ans ; intégrer dès la conception la possibilité d’adapter les équipements pour en faire autre chose ; ou encore utiliser les espaces assez vite, avant d’en avoir déterminé leurs vocations exactes… Ainsi, à l’endroit du futur parc Angéliques de l’écocité bordelaise, une piste cyclable a-t-elle été aménagée sur la rive droite de la Garonne, à la grande satisfaction des cyclistes. Ce même parc aura fonction de prévenir les crues et abritera diverses expérimentations autour de la biodiversité…
Dans l’écocité « de Montpellier à la mer », on anticipe la disparition des zones commerciales, le long de la Route de la mer, non pas en tuant ces commerces, qui souffrent déjà pour certains du e-commerce, mais par la négociation et la création d’un futur « hôtel commercial » – sorte de solution de repli, pour les enseignes qui seront amenées à quitter les lieux.
Dans l’écocité lilloise, l’abandon progressif de la voiture est prévu par palliers, en mutualisant les places de parking entre habitants et actifs, puis en rendant possible la mutation de parkings en logements, en bureaux.
À Nantes, La Poste est partenaire d’un projet de conciergerie de proximité, pour tester un nouveau modèle de distribution du courrier et de livraison des colis. À Bordeaux est expérimenté un service d’écopoint dans un parking mutualisé, où déposer ses encombrants.
Dans l’écocité lilloise, l’abandon progressif de la voiture est prévu par palliers : d’abord en mutualisant les places de parking entre habitants et actifs d’un même quartier, puis en rendant possible la mutation de parkings en logements, en bureaux. Parallèlement, des bouquets de solutions alternatives et innovantes fleurissent dans les écocités (autopartage, voitures électriques (alimentées par du photovoltaïque à Lyon), vélos, transports en commun). Mais leur utilisation n’est garantie – autre prise de conscience partagée dans les écocités – qu’à la condition de trouver des systèmes d’accès facile (type pass mobilité à Grenoble ou Strasbourg).
TÉMOIGNAGE - Les citoyens sont-ils impliqués dans l’élaboration des écocités ?
Florent Hébert, auteur de « Villes en transition, l’expérience partagée des Ecocités » : « Travailler sur l’acceptabilité sociale »
« Les financements du fonds « Ville de demain » ne se sont pas penchés sur ce thème. La prise en compte de la concertation des habitants dépend de la collectivité, de ses habitudes, de l’existence d’un agenda 21, etc. On est sur des acquis. En revanche, une inflexion a été donnée pour la deuxième tranche des appels à projets. Le travail sur l’acceptabilité sociale est un des principaux critères retenus pour la sélection des candidats de la deuxième tranche. Certains projets impliquent en effet les associations par exemple… »
Ville durable « sur écoute »
Une tendance lourde et nouvelle s’affirme aussi dans les projets écocités : l’utilisation des technologies de l’information, à travers Internet, tablettes, téléphones portables, compteurs communicants et smartgrids qui collecteront des données tous azimuts… Les écocités seront truffées de capteurs.
Une tendance lourde et nouvelle s’affirme aussi dans les projets écocités : l’utilisation des technologies de l’information qui collecteront des données tous azimuts…
« L’étude des smartgrids est terminée… et le monitoring urbain et environnemental vient de débuter dans l’écocité niçoise » annonce Christian Tordo, adjoint à l’Économie, à l’Emploi et à l’Industrie à Nice et président de l’EPA Plaine du Var. « Monitoring urbain » ? L’idée est de mettre en place un réseau de capteurs interactifs dans les bâtiments, les infrastructures… pour recueillir des données et tester des services (dont certains seront facturés à l’usager) : calculateur/optimisateur de mobilité, suivis de consommation, gestion des risques et alertes, gestion de l’eau, des déchets…
Le « démonstrateur » niçois est copiloté par un consortium d’industriels constitué de Veolia, IBM, M2O, Orange et la Métropole Nice Côte d’Azur. Il coûte 4 millions d’euros, cofinancé à parts égales entre la collectivité et les entreprises privées, la Caisse des dépôts abonde à hauteur de 600 000 euros.
Dans la même veine : le projet de compteurs multifluides de « Vivacité » piloté par GEG et Atos, dans l’écocité grenobloise ; ou celui de la « Cité intelligence » de l’écocité de Montpellier. Les capteurs sont également installés dans l’ancien. Le quartier existant Sainte-Blandine près de la gare (l’un des secteurs de l’écocité lyonnaise de 3 000 ha) fera l’objet d’une écorénovation. Des compteurs intelligents permettront aux familles de suivre leur consommation d’énergie et de les guider dans le choix des travaux à entreprendre…
TÉMOIGNAGE - Les citoyens sont-ils impliqués dans l’élaboration des écocités ?
Vincent Fristot, adjoint Urbanisme, Logement, Habitat et Transition énergétique à Grenoble : « Être en phase avec les attentes des futurs habitants »
« Effectivement, il est important de pouvoir être bien en phase avec les attentes des futurs habitants. Dans l’écocité de la Presqu’île, les habitants ne sont pas encore arrivés… les livraisons sont imminentes. C’est dans les mois qui viennent qu’il sera essentiel de confronter les propositions qui sont faites, avec les instances citoyennes et les collectifs d’usagers, pour répondre au mieux aux aspirations des nouveaux quartiers. Par ailleurs, il sera opportun que les nouveaux habitants soient accompagnés dans leurs nouveaux usages… »
« Turbines sociales »
« La démarche écocité a permis de concrétiser des projets qui, sans le financement de l’État, n’auraient pas eu lieu, car le retour sur investissement n’est pas garanti » ne cache pas Christian Tordo, adjoint à l’Économie, à l’Emploi et à l’Industrie à Nice et président de l’EPA Plaine du Var. Les financements de l’État ont eu un effet levier…
Selon le Cerema, missionné pour évaluer les innovations des écocités, « l’investissement global est estimé à 1,5 milliard pour un accompagnement financier de l’État de 294 millions d’euros ». Sachant que le fonds Ville de demain dédié aux écocités n’est pas épuisé, puisqu’il s’élève à 750 millions d’euros… À Nice, les programmes écocité auraient déjà contribué à préserver ou créer 2 000 à 3 000 emplois. Partout, les écocités apparaissent comme le terreau fertile aux nouvelles filières de la croissance verte… À Lille, l’espoir est que les quartiers de l’écocité fonctionnent comme des « turbines sociales », qui tirent vers le haut les quartiers voisins, grâce à de nouveaux emplois et des logements de meilleure qualité.