Populisme contre populisme : l’échec de la gauche radicale

Stéphane Menu

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Au-delà d’un livre récent sur l’impuissance du Front de gauche face au Front national, se pose la question de la neutralité de la fonction publique territoriale face au « marinisme » municipal. Comment le socle républicain est-il traversé par des formations qualifiées d’extrémistes ?
C’est un constat « douloureux » pour la gauche radicale, comme l’écrit Aurélien Bernier. Alors qu’elle dispose potentiellement d’un boulevard électoral ouvert par une crise économique et sociale sévère ; alors que l’on pourrait imaginer que la réinvention d’un modèle économique s’impose avec la même urgence qu’au sortir des années trente , c’est plutôt le Front national et la cohorte des partis populistes européens qui thésaurisent sur la période.Ancien dirigeant d’Attac, proche du Front de gauche, collaborateur régulier au Monde diplomatique, Aurélien Bernier ne cherche pas à cacher ses origines politiques. Ce qui rend son témoignage plus implacable encore en direction du Front de gauche dont il est proche. Pour lui, proximité ne signifie pas cécité.D’après l’auteur, trois contradictions bouchent l’avenir d’un regroupement vampirisé par Jean-Luc Mélenchon. Paralysé à l’idée de dire « la même chose que Le Pen », le Front de gauche a du mal à tenir un discours sur la Nation, vécue pourtant comme le seul espace possible de construction d’un renouveau républicain. Il ne cesse d’en référer à une « autre Europe » dont les contours restent flous, reculant devant la nécessaire rupture face à l’ordre juridique et monétaire actuellement en vigueur sur le Vieux continent. Son anticapitalisme ne prend pas racine dans le protectionnisme, mais dans un libre-échangisme auquel il confie le soin de briser toutes les résistances pendant que le FN vante l’illusion d’un repliement au sein de nos frontières. De ce fait, ces hésitations donnent l’illusion d’un Front national mieux à même de relayer les sourdes inquiétudes du « peuple ».
L’émergence du Front national est si terrible qu’on assiste à un abandon de toute solution nationale dans les discours de la gauche radicale.

Gauche tétanisée

Pour Aurélien Bernier, le déclin du Parti communiste a provoqué une rupture idéologique à l’intérieur de la gauche radicale, donnant libre court aux courants trotskistes, altermondialistes, écologistes. Cet ensemble composite s’est effrité et supporte mal l’épreuve du temps. L’analyse décrypte, étape après étape, les renoncements du PCF. Elle manque cependant de recul sur le parcours erratique du Front national, auquel il est en permanence opposé, dynamisé qu’il fut entre 1983 et 1984 par la radicalisation croissante de l’anticommunisme de l’électorat de droite. La défense de la souveraineté nationale, menacée par le « système » économique extérieur et le mythe de l’immigration incontrôlée, ne servira au FN qu’à pousser son avantage.Ainsi donc, la lepénisation des esprits, figure menaçante de la politique, menacerait jusqu’à ses plus ardents adversaires. Le résultat est là, cruel : d’un côté, les 17,90 % des voix obtenues lors du premier tour de l’élection de 2012 par le Front national, qui n’a pas d’états d’âme à enfourcher les thèmes sensibles face auxquels la gauche semble se statufier ; de l’autre, les 11,10 % – honorables mais insuffisants – d’un Front de gauche qui n’a rien voulu renier. « Le traumatisme que provoque l’émergence du Front national est si terrible qu’on assiste à un abandon de toute solution nationale dans les discours des partis ou des intellectuels de la gauche radicale », écrit Aurélien Bernier.

Les ouvriers, d’un Front à l’autre

Ce livre tonique interpelle directement la gauche radicale et aurait pu tout aussi bien avoir pour intitulé : « Comment répliquer à Marine Le Pen ? ». La tyrannie de l’immédiateté oblige les adversaires de Marine Le Pen à des efforts permanents d’ajustement, de correction face à la parole proférée à partir de données souvent erronées ou partiellement vraies. Le seul objectif est bien sûr d’impacter directement sur l’opinion publique, en agitant des peurs, en « bouc-émissairisant » les immigrés qui seraient à l’origine des précarités croissantes dans le pays.Le populisme est la locomotive de ce TGV idéologique qui traverse de nombreux pays sans que l’on devine encore si la gare terminale sera celle du chaos. Le FN profite de cet état de flottement. Il a récupéré la puissance de feu de l’ouvriérisme français, faisant même de cette catégorie sociale son premier contributeur électoral.
 Le populisme cherche toujours un bouc émissaire. Souvent, il s’agit de l’immigré, maintenant, c’est l’euro.

L’exemple de l’euro

La sortie de l’euro, agitée par le FN comme une solution au mal français, ne fait pas l’objet de contre-offensives suffisamment étayées. « On se contente d’écrire que l’idée est stupide », nous confie l’économiste Alan Kirman, professeur émérite à Aix-Marseille Université, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et membre de l’Institut universitaire de France. « Les plus jeunes d’entre nous oublient la violence des attaques spéculatives que subissaient la lire ou le franc avant l’euro. Une monnaie peut très vite devenir le maillon faible de l’économie d’un pays malade. En revanche, il est hallucinant que la création de l’euro n’ait pas débouché sur la mise en œuvre d’une gouvernance économique de l’Europe. Le populisme cherche toujours un bouc émissaire. Souvent, il s’agit de l’immigré, maintenant, c’est l’euro. Cette crise doit nous apprendre à être plus clairs. Les économistes doivent réformer leurs pratiques pour être plus dans le concret de la vie des gens. Les populismes peuvent naître aussi de la lassitude, du sentiment de ne pas comprendre le monde environnant. Aujourd’hui, une analyse économique qui ne prendrait pas en compte cet aspect psychosociologique serait à côté de la plaque ».

La fonction publique territoriale en situation d’alerte Dans ces conditions, le FN est aux portes des mairies, comme il le fut il y a 20 ans. Les fonctionnaires territoriaux pourront-ils travailler pour « eux » ? Jean (N.D.L.R., le prénom a été changé) a travaillé pour une mairie gérée par le Front national. « Travailler pour des formations jugées extrêmes place la fonction publique territoriale en situation d’alerte. Un fonctionnaire n’est pas là pour contester le choix démocratique, puisque le FN est une formation politique non interdite en France. Il doit en revanche redoubler de vigilance face à la tentation politique de piétiner le Code républicain. Mais l’expérience a démontré, à Vitrolles notamment sur la préférence nationale, que le programme du FN était incompatible avec les règles républicaines », conclut-il. « La neutralité de la fonction publique touche là sa limite », assure-t-il. « Et en même temps, cette neutralité reste le garant de la continuité républicaine. Il serait malhonnête de dire que le maire FN en question a jeté par-dessus bord des politiques menées, notamment sur le secteur sensible de l’action sociale. On sent que la culture, en revanche, est directement menacée, parce qu’elle est porteuse de symboles. Certaines associations ont vu aussi leurs subventions réduites parce que leur cœur d’action concernait des thèmes considérés comme secondaires, voire gauchistes par le FN », assure notre témoin anonyme.

populisme « La gauche radicale et ses tabous », Aurélien Bernier Pourquoi le Front de gauche échoue face au Front national, 17 euros, Aurélien Bernier est aussi l’auteur de : Le climat, otage de la finance (2008), Désobéissons à l’Union européenne (2011), Comment la mondialisation a tué l’écologie (2012) aux éditions Mille et Une Nuits.

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