« Pour les bourgeois, une ville riche est une ville ou l’on se retrouve entre soi »

« Pour les bourgeois, une ville riche est une ville ou l’on se retrouve entre soi »

Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon à Montpellier, mai 2019

© Anthony Morel

Pour Monique Pinçon-Charlot, la politique de la ville ou politique de la mixité sociale et du bien vivre ensemble, se fait à la faveur des classes moyennes

Monique Pinçon-Charlot est sociologue, ancienne directrice de recherche au CNRS, auteur de La Violence des riches avec Michel Pinçon, paru dans la collection Zones aux Éditions de la Découverte.

Comment définiriez-vous une ville riche ?

C’est une ville où il y a une certaine qualité de vie à partir d’indicateurs objectifs : une densité raisonnable, une aération avec des espaces verts, des espaces publics attrayants, des services publics, des commerces et où la circulation est relativement fluide. Il y a aussi des indicateurs subjectifs qui sont le bien vivre ensemble, un aspect très relatif. Pour les grands bourgeois, une ville riche est une ville où l’on se retrouve entre soi ; c’est prouvé statistiquement par nos travaux de 1989. L’être humain préfère être avec des gens qui lui ressemblent, je pense que c’est valable pour toutes les catégories sociales.

Est-ce pour cela que vous êtes plutôt critique sur les projets de mixité sociale ?
L’évaluation que je fais avec Michel Pinçon depuis trente ans est très mitigée, dans la mesure où l’on se rend compte que toute cette politique anti-ségrégative, dite politique de la ville ou politique de la mixité sociale et du bien vivre ensemble, se fait plutôt à la faveur des classes moyennes. Dans des espaces ségrégués, elles se trouvent en position dominante par rapport aux autres catégories sociales et cette domination rajoute encore de la violence symbolique.

Dès qu’il s’agit des gens modestes tous les problèmes s’accumulent

Par exemple, Michel Pinçon a été conduit à faire une évaluation au Sillon de Bretagne de Saint-Herblain, ce grand ensemble de 900 logements avec 3 600 habitants. Dix ans après sa construction, la ségrégation sociale a repris ses droits. Les cadres moyens et cadres supérieurs se sont finalement regroupés dans les logements les plus agréables de cet ensemble d’un seul tenant. Les ailes donnent directement sur les grandes pelouses, c’est plus agréable pour les enfants ; en revanche, la grande tour avec des ascenseurs toujours en panne, avec une concentration beaucoup plus forte, n’héberge que des travailleurs immigrés ou des familles extrêmement modestes.

Vous abordez aussi le problème des logements sociaux coincés dans des endroits improbables comme à Marne-la-Coquette…
C’est incroyablement violent. Je vous invite à faire la petite promenade, on marche depuis le parc de Saint-Cloud, c’est une ville très agréable et quand on finit avec ces petites maisons au-dessus de l’autoroute et collées à la voie ferrée on se dit que c’est quand même un mépris de classe incroyable…

Les élus répondent qu’il y a des raisons financières : le prix du foncier, la disponibilité des terrains…
Dès qu’il s’agit des gens modestes tous les problèmes s’accumulent, alors que, par ailleurs, il n’y a aucun problème pour recouvrir l’avenue Charles de Gaulle à Neuilly, on se bat pour ça. Nanterre ne sera pas concernée : ce sont des immigrés, des gens qui habitent des logements sociaux, on ne va quand même pas dépenser de l’argent pour « ça » !

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