Pouria Amirshahi : « Les partis politiques sont fatigués et fatigants… »

Stéphane Menu

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Pouria Amirshahi : « Les partis politiques sont fatigués et fatigants… »

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Député frondeur, il n’a pas voté la prolongation de l’état d’urgence. Mais avant ça, en novembre, Pouria Amirshahi avait lancé le Mouvement commun, qui se veut hors parti, pour fédérer les initiatives de terrain qui font sens en France, mais entend bien garder les pieds à l’intérieur du PS. Montrer ces vitalités concrètes permettra de construire d’autres cheminements politiques.

Vous êtes le seul député socialiste à ne pas avoir voté en faveur de la prolongation de l’état d’urgence de trois mois. Pourquoi ?

Parce que l’on a confondu précipitation et urgence, parce qu’il fallait montrer le visage de la sérénité dans cette période trouble. Le discours anxiogène à la tête de l’État installe l’idée de menaces permanentes sur la société française. Tout le monde sait qu’elles existaient déjà, pourquoi les marteler tout le temps ? Cette période de trois mois est trop longue.

De plus, durant cette période, une révision constitutionnelle est envisagée, ce qui paraît tout de même assez inouï. L’état d’urgence instaure la possibilité de traquer des activités suspectes, ce qui paraît légitime, mais aussi des comportements qui le seraient tout autant. Cette notion de comportement suspect me paraît vague. Je fais confiance personnellement au travail des forces de l’ordre. Les policiers sont fatigués. Ils ont vécu la politique du chiffre sous Nicolas Sarkozy. N’élevons pas un seuil d’exigence professionnelle dont ils ont conscience… Cet état d’urgence a déjà donné naissance à des abus. Depuis, 10 % des interpellations seulement, sur le sol français, sont liées au terrorisme.

Vous laissez entendre que l’état d’urgence n’apporte rien de plus au travail des enquêteurs.

Il suffit de voir de quelle manière les forces de l’ordre sont intervenues à Saint-Denis. Tout s’est fait dans le cadre d’une instruction pénale. On laisse supposer que les modalités administratives sont trop lourdes. Mais la législation répond pourtant aux situations d’urgence et à tous les cas de figure. Il y a eu onze lois sécuritaires en cinq ans ; pourtant, certains attentats n’ont malheureusement pas pu être déjoués.

D’autres métiers ne doivent-ils pas être créés, notamment dans les collectivités territoriales, pour remettre du lien social dans les quartiers ?

Peut-être doit-on se poser la question de savoir si d’autres métiers ne doivent pas être créés, notamment dans les collectivités territoriales, pour remettre du lien social dans les quartiers. Peut-être que le retour de l’éducation populaire, le renforcement des éducateurs de terrain apporteraient des résultats tout aussi qualitatifs, mais d’une autre manière que le renforcement des forces de sécurité. Je ne sais pas, je m’interroge.

On se rend compte de plus en plus que la lutte antiterroriste présente des failles en France.

Oui, le travail en amont est réalisé puisque les individus dangereux sont fichés. Puis, on arrête de les suivre. Il y a un problème de constance dans le suivi des enquêtes. Le repérage des risques, face à cette menace polymorphe, ne concerne pas qu’un travail de police. Au plus près, dans les quartiers, à l’école, les éducateurs, les enseignants peuvent repérer les premiers signes d’une dérive radicale. Sont-ils formés à ce repérage ? J’en doute.

Le repérage des risques, face à cette menace polymorphe, ne concerne pas qu’un travail de police.

C’est un long travail de formation qui commence. Je suis favorable au principe du « un pour un ». La création d’un poste de policier doit entraîner celle d’un enseignant et d’un éducateur. La seule voie sécuritaire ne suffira pas, tout le monde le comprend dans son for intérieur. Il faut éviter que le discours « séducteur » de Daech puisse prendre sur une jeunesse confrontée au racisme ordinaire et à la relégation sociale.

Vous avez lancé il y a quelques semaines le Mouvement commun. En quoi ne s’agit-il pas d’une nouvelle formation politique ?

Le Mouvement commun fait le constat d’une impuissance manifeste du politique face aux désordres du monde. Nous devons donc transgresser l’ordre établi, dès lors que les bonnes volontés sont tournées vers la réalisation du bien commun.

Nous devons transgresser l’ordre établi, dès lors que les bonnes volontés sont tournées vers la réalisation du bien commun.

Pour reconquérir la souveraineté démocratique, il faut s’inspirer de ce qui se fait en dehors des partis, qui sont à la fois fatigués et fatigants. Pour repenser le sens politique, il va falloir prendre du temps, arrêter d’être systématiquement dans la contestation. Sur le terrain, loin des déplorations médiatiques, des projets concrets émergent, comme l’habitat coopératif à Montreuil ou encore, du côté de Marseille, la coopérative de Fralib. Je pense aussi à l’expérience intégrale de démocratie participative à la mairie de Saillans, dans la Drôme. Nous engageons ce mouvement dans l’humilité, en acceptant de nous dédire, de construire un projet dans la lutte et l’innovation.

3 000 « communeurs »
C’est ainsi que s’appellent les « membres » de mouvement naissant. À la fin du mois de novembre, environ 3 000 d’entre eux s’étaient inscrits. On peut supposer que la claque électorale reçue depuis avec la montée en puissance du FN a poussé de nouveaux adeptes vers la nécessité d’essayer de faire de la politique autrement.

Serez-vous dans l’obligation, à un moment donné, de tester la pertinence de cette démarche dans les urnes ?

Ce serait une erreur. Je reste au PS, je veux le transformer de l’intérieur. Mais le Mouvement commun, c’est autre chose, doit apparaître comme un laboratoire de nouvelles pratiques politiques. Quelle politique étrangère pour la France demain ? Comment étendre le champ de la délibération politique ? Pour changer de pratique politique, il ne faut pas prendre le risque de proposer des resucées aux électeurs.

Podemos a tout de suite souhaité s’inscrire dans la radicalité politique démocratique. Mais nous pouvons aussi nous inspirer de ce que Barak Obama a réussi à faire au cours de sa campagne de 2008.

On compare ce mouvement à Podemos, en Espagne…

Podemos a tout de suite souhaité s’inscrire dans la radicalité politique démocratique. Mais nous pouvons aussi nous inspirer de ce que Barak Obama a réussi à faire au cours de sa campagne de 2008. Nous ne sommes pas dans la compétition politique, nous ne sommes pas dans une écurie quelconque. Les membres du Mouvement commun auront la possibilité de s’exprimer sur la web-TV que nous mettons en place sur le site du mouvement. Notre volonté est de créer les conditions d’une contre-culture. De sortir des référentiels qui ont démontré leur inefficience et notre démarche est d’autant plus structurée qu’elle s’arrime au concret, à ce qui marche, à ce qui fait sens.

Pouria Amirshahi
Né en 1972 à Shemran, en Iran, Pouria Amirshahi est arrivé en France en 1976, dans les bagages de sa mère qui fuyait alors le régime du Shah dont elle est une opposante de gauche. Éducateur spécialisé, il est depuis 2012 député de la 9e circonscription des Français établis hors de France.

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