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Terrorisme islamiste, conflits guerriers et déflagrations mondiales potentielles nourrissent l’actualité. Pourtant, le monde n’a jamais été aussi peu violent. Telle est la thèse, magistralement soutenue par un célèbre professeur de psychologie à Harvard, Steven Pinker, dans un livre de référence.
Pinker a publié, au début des années 2010, une analyse du déclin historique de la violence et de la cruauté. Il y a là une bonne nouvelle pour l’humanité, même si les résultats de la démonstration semblent parfois difficiles à croire.
Pacification des mœurs
Il retrace dans sa somme un processus millénaire de pacification des mœurs et des comportements. Sa thèse est facile à résumer : les gens n’ont jamais été aussi peu violents. Le nombre d’homicides s’est effondré. Ce sont aussi toutes les formes de violence qui ont décliné : la torture, l’esclavage, les abus domestiques, et même la cruauté envers les animaux. Notre époque est moins violente et moins cruelle que n’importe quelle autre au cours de l’histoire de l’humanité. Cette réduction de la violence concerne les guerres entre États, comme les conflits familiaux ou entre voisinages.
L’auteur s’intéresse davantage à la logique interne et aux bases neurobiologiques de l’agression qu’à la distribution (ou à la « construction ») sociale de la délinquance. Observant la montée du sens moral, il fait confiance au commerce, à la féminisation des sociétés, à la science et à la raison.
Avec ses guerres mondiales, ses génocides, son terrorisme, le XXe reste la période la moins violente qu’ait traversée l’humanité.
Mais pourquoi donc pouvons-nous avoir du mal à adhérer à ses conclusions ? Certains peuvent même estimer, en convoquant les SS, Pol Pot, les guerres civiles africaines, les attentats contemporains que l’auteur aurait des hallucinations ou un goût prononcé pour l’obscénité et la provocation. Pour autant, ses courbes et analyses sont tout à fait convaincantes. Si le XXe siècle est celui des guerres mondiales, des génocides et du terrorisme de masse, c’est, assurément, la période la moins violente qu’ait traversée l’humanité. Pinker multiplie les sources, les graphiques et les comparaisons pour signaler cet affaissement de la violence. Il estime qu’avec les taux de mortalité qui caractérisaient les conflits tribaux des périodes antiques, on n’aurait pas compté 100 millions de morts avec les deux guerres mondiales, mais deux milliards. La Seconde guerre mondiale, si l’on ajuste son nombre de victimes à la population humaine totale, serait « seulement » le neuvième événement, en termes de mortalité violente, sur un millénaire. Et Pinker d’exhumer aussi des estimations qui font frémir, comme ces 40 millions de morts causées par les conquêtes mongoles au XIIIe siècle…
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Peut-on croire Pinker ?
Trois explications à ce scepticisme sont possibles. Il y a certainement confusion possible entre des volumes et des proportions. Le nombre de morts, pendant les conflits mondiaux notamment, est particulièrement élevé. Mais le prélèvement total de ces déflagrations de violence sur l’ensemble de l’humanité est bien moins important que d’autres saignées, moins connues, dans le passé.
Deuxième explication : alors que nous sommes de moins en moins effectivement confrontés à la violence, nos esprits le sont toujours davantage, d’abord en images.
Troisième explication : si la violence baisse, la tolérance à son endroit diminue également. Plus le niveau de violence diminue, plus toute manifestation de violence devient intolérable.
Alors que nous sommes de moins en moins effectivement confrontés à la violence, nos esprits le sont toujours davantage, d’abord en images.
Sur un volet de politique contemporaine, il faut conclure que le constat de baisse historique de la violence n’invite absolument pas à baisser les bras face à ses manifestations actuelles. C’est parce que la barbarie des attentats islamistes est encore plus intolérable qu’il faut la combattre plus fortement encore.
Steven Pinker, The Better Angels of Our Nature. The Decline of Violence in History and its Causes, New York, Viking, 2011, 802 pages.
Extraits
« Quand le phénomène combattu et redouté décroît, la sensibilité à son endroit s’accroît. »
« Dans une société plus policée, devient violence ce qui est, dans un environnement plus brutal, considéré comme normal. »
« Si certaines périodes peuvent être caractérisées par des épisodes de décivilisation, l’humanité n’a jamais été aussi plaisante et bienveillante qu’aujourd’hui. »