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Avner Offer, Gabriel Söderberg, The Nobel Factor. The Prize in Economics, Social Democracy, and the Market Turn, Princeton University Press, 2016, 323 pages.
Créé en 1969, bien après les prix de médecine ou de physique créés en 1901, le « Prix de la Banque centrale de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel » résulte de la volonté de célébrer le tricentenaire de la Banque centrale de Suède. Il s’agit alors d’un programme militant, soutenu par des économistes et hauts-fonctionnaires suédois, visant à assurer la scientificité de l’économie et à limiter l’extension de la social-démocratie.
Un Prix Nobel original et paradoxal
Le paradoxe est d’avoir vu naître ce prix en Suède, au pays de la social-démocratie. Avner Offer et Gabriel Söderberg, deux historiens de l’économie, opposent deux doctrines. L’une est celle de l’économie qui, se piquant de scientificité, traite des préférences des individus et de l’efficacité des marchés. L’autre est celle de la social-démocratie, qui se préoccupe des groupes et problèmes sociaux. Dans le premier domaine, mathématiques et modèles règnent, souvent détachés de la réalité. Dans le second, objectifs et décisions de politique publique sont l’objet de débats, d’évaluations et d’ambitions.
Parmi les Nobel d’économie, les socio-démocrates sont très rares. Offer et Söderberg ne recensent que Gunnar Myrdal, récompensé en 1974, en même temps que Friedrich Hayek. Dans tous les autres cas, pour conservateurs ou progressistes que soient les Nobel, ils privilégient toujours le marché, certes avec des correctifs et des critiques. Pour Offer et Söderberg, l’établissement du Prix Nobel d’économie a accompagné, dans les années 1970, ce qu’ils baptisent le « tournant du marché », qui a été appelé, en France, le « tournant néolibéral ».
Le Prix Nobel, avec ses variations depuis 1969, signe la prédominance des néoclassiques sur les socio-démocrates.
Ouvrage savant, « The Nobel Factor » nous en apprend beaucoup sur la genèse de ce Nobel, sur les intérêts idéologiques et financiers en jeu. Il nous en apprend sur la magie de ce prix. Il analyse ce qu’une telle création peut avoir comme conséquences en termes d’inflexion doctrinale. Selon nos auteurs, le Prix Nobel, avec ses variations depuis 1969, signe la prédominance des néoclassiques sur les socio-démocrates. Dans la polémique française actuelle sur les orthodoxes et les hétérodoxes, certains des premiers accusent de négationnisme certains des seconds. Ceux-ci pourront piocher dans cet ouvrage très détaillé des arguments pour accuser les premiers d’autoritarisme.
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Une critique dure
Au-delà des spécialistes, chacun trouvera des précisions sur nombre des sommités célébrées à Stockholm, parfois vilipendées par leurs adversaires. La chronique des détails a son importance. Le point fondamental de l’analyse tient d’une critique assez féroce : comment croire qu’il y a vraiment science quand le prix le plus prestigieux vient récompenser des personnalités aux conclusions et prémices si différentes, parfois si divergentes ? Et ce, dans un cadre déjà relativement strict, où le marché domine. En un mot, le Prix Nobel d’économie, malgré les mathématiques, ressemblerait plus à celui de littérature qu’à celui de médecine.
Comment croire qu’il y a vraiment science quand le prix le plus prestigieux vient récompenser des personnalités aux conclusions et prémices si différentes, parfois si divergentes ?
Relevons, pour finir, que les auteurs cherchent à illustrer la supériorité de la social-démocratie, notamment en rappelant que les États-Unis ont régulièrement élu des conservateurs, sans jamais qu’ils réussissent à vraiment diminuer la protection sociale. On va voir ce que l’avenir et le Président Trump réservent à une telle conviction.
Extraits
« Alfred Nobel lui-même détestait les affaires, s’affiliant même à la social-démocratie. »
« Les économistes considèrent que l’intérêt personnel est la première motivation, mais, curieusement, ils ne mettent pas en avant cette donnée en ce qui les concerne eux-mêmes »
« La science économique n’est généralement pas facile à comprendre, mais toujours aisée à croire. »