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© Natasa Bojovic
Il faut reconnaître aux communicants du FN un sens félin de l’adaptabilité : alors que Jean-Marie Le Pen diabolisait clairement le statut, Marine Le Pen, notamment à travers son principal vecteur de normalisation, Florian Philippot, n’hésite pas à caresser dans le sens du poil les fonctionnaires. Certains communiqués (gel du point d’indice, défense des agents d’exécution, renforcement des aides aux étudiants, etc.) pourraient avoir été rédigés par le Front de Gauche !
« Les territoires en difficulté représentent donc des proies faciles pour les candidats FN. »
À deux reprises dans sa carrière de directeur, un cadre qui nous a parlé – il restera anonyme par éthique – a été mené à gérer de l’intérieur des administrations de collectivités dirigées par le FN. « J’avais constaté immédiatement que beaucoup d’agents s’étaient radicalisés à outrance, dans les deux sens. Certains n’avaient pas hésité à faire du militantisme frontiste, d’autres de la résistance. Les lignes de fracture n’avaient fait que s’accentuer dans le temps. La particularité de ces collectivités est d’avoir été isolées pendant le mandat : les partenaires habituels ont coupé les vivres, ce qui les a empêchées de mener à bien leurs projets. Ce qui est frappant, c’est qu’avant l’accession au pouvoir du FN, l’administration était déjà en crise. Les territoires en difficulté représentent donc des proies faciles pour les candidats FN ».
Stéphane Pintre, président du SNDGCT : « La grandeur du service public, c’est sa neutralité »
« Cette étude du Cevipof m’interpelle. Je ne veux pas la mésestimer mais je ne vois pas en quoi les fonctionnaires seraient moins insensibles que les Français, et je le regrette bien sûr, aux discours de Marine Le Pen. Les catégories C, les plus impliquées dans la gestion de proximité, sont à l’image de la population. Chez les salariés du privé au contact de la population, je suppose que cette sensibilité est la même face aux difficultés plus grandes pour rendre service aux usagers. Pour l’heure, je n’ai pas eu vent, auprès de mes collègues DGS, d’un dévoiement idéologique du service rendu au public. Bien sûr, si l’état de droit n’est pas respecté dans le cadre de nos missions, nous devrons être intraitables. La grandeur du service public restera toujours sa neutralité ».
Spectateurs et victimes du délitement de la société
L’arrivée du FN dans ces collectivités a entraîné le départ d’une grande partie du personnel encadrant. Les cadres ont d’abord quitté le navire pour des raisons évidentes de convictions ; d’autres, parfois habités par le désir de résister de l’intérieur, leur ont emboîté le pas « du fait tout simplement de la raréfaction du travail intéressant à mener. D’autres ont ressenti une dégradation du contenu du service public ». Lorsqu’il a été amené à reprendre les choses en main, il a fallu atténuer « l’hyperpolitisation de la situation héritée ». Le retour à la normale politique a permis de réinvestir le champ des partenariats, à des fins de rattrapage du temps perdu.
« C’est surtout à travers le financement des associations culturelles et sociales que le FN imprime sa marque. »
« Sur le service rendu au public, c’est essentiellement à travers le financement des associations culturelles et sociales que le FN imprime sa marque. Dans le quotidien, je ne veux pas verser dans l’idéologie facile : on me dit par exemple que les administrés de Fréjus sont plutôt contents ». Et de conclure, sur l’étude du Cevipof : « Nous intellectualisons notre regard sur la société. Les catégories C qui votent de plus en plus FN ne vont pas jusque-là. Ils ne se positionnent pas par rapport aux valeurs de la fonction publique, dont la culture en interne est d’ailleurs rarement entretenue. Mais les « C » comme les « A » constatent le même délitement de la société.
Cadres, êtes-vous « patriotes » ?
On laisse le soin à nos électeurs avisés de se faire leur opinion sur le FN made in fonction(s) publique(s). Une seule mesure présenterait un caractère savoureux si le FN n’était pas si puissant : l’obligation de recruter des cadres « patriotes ». Espérons que nous n’aurons pas ici à analyser un jour juridiquement les raisons pour lesquelles un cadre n’a pas été recruté pour défaut de patriotisme !
Nous en sommes les spectateurs et les victimes. Et les agents d’exécution sont plus confrontés que les cadres aux violences, venues de fous ou de non-éduqués, ce qui fait beaucoup. Ils ont donc une approche très pragmatique de la propre dégradation de leur cadre de vie professionnelle. Qui pourrait contester ce ressenti ? » Personne…
Johan Theuret, président de l’association des DRH de grandes collectivités, ADRHGCT : « Perte de sens de la mission des agents »
« La loi Déontologie vient de renforcer le principe des droits et des obligations des fonctionnaires. Le FN n’a donc pas à pénétrer plus que d’autres formations politiques le champ du service public. Ce qui est évident, c’est que nous sommes au cœur d’un bouleversement institutionnel très fort, avec des réorganisations à tous les étages et une étape « départementale » en 2020 qui interroge tous les agents . Où iront-ils ? L’incertitude est grande. Cet effet cumulatif active la perte de sens et de visibilité de la mission des agents. La fonction publique est à la croisée des chemins. On conteste à la fois sa légitimité et son statut et, dans le même temps, les agents les plus en contact avec le public constatent une dégradation de leur condition de travail ».
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