Quand les villes pensent aux adolescent(e)s

Marjolaine Koch

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Quand les villes pensent aux adolescent(e)s

Swing Time, installation de Yoon Architecture, Boston

© John Horner Höweler plus Yoon Architecture.jpg

Dans la ville, où sont les adolescents ? Trop grands, trop bruyants pour les aires de jeux, trop fauchés pour squatter les terrasses de café, cantonnés à des skateparks… Rares sont les initiatives destinées à leur offrir, notamment aux filles, des espaces au milieu des autres générations, mais il en existe.

C’est une prise de conscience tardive, et beaucoup n’en sont pas encore là. Mais à Boston aux États-Unis, lorsque la mairie a aménagé l’aire de jeux baptisée « Swing Time », les jeunes filles ont trouvé pour la première fois un point de rencontre agréable et surtout, qui leur était destiné. Vingt larges anneaux blancs suspendus, à petite distance les uns des autres, qui s’illuminent de nuit. Très vite, cet aménagement est devenu le point de rencontre des adolescentes. Et en réalité, cet aménagement relève du hasard : créé par Höweler + Yoon Architecture dans le cadre d’une exposition temporaire, il s’est révélé correspondre parfaitement aux attentes d’une génération oubliée voire exclue de l’espace public.

Chassés, cantonnés à des skateparks ou des city stades, seule une partie de ces jeunes va trouver sa place dans une telle configuration

Cette découverte a permis de souligner le manque d’infrastructures dédiées à cette tranche d’âge : où se retrouver en petit groupe, entre amis ou entre amies, lorsque l’on a 15 ans ? Les bancs, alignés, ne répondent pas à cette envie de former un cercle. L’aspect ludique des anneaux suspendus et leur proximité ont finalement parfaitement répondu à leurs attentes. Car les adolescents aiment aussi être en mouvement. Dans les parcs, s’il existe bien des balançoires, elles sont généralement réservées aux plus petits et leur appropriation par de jeunes filles serait vue comme une invasion.

Les jeunes, trop bruyants et encombrants

C’est d’ailleurs la perception qui revient dans les discours : une invasion de grands enfants bruyants, trop âgés pour les parcs et trop encombrants dans l’espace public. Certaines villes sont même allées jusqu’à produire des arrêtés antiregroupement sur certaines places. Chassés, cantonnés à des skateparks ou des city stades, seule une partie de ces jeunes va trouver sa place dans une telle configuration. Cette petite portion satisfaite de l’offre est souvent constituée de jeunes garçons sportifs et bien dans leur peau. Mais quid des autres, ceux qui recherchent des espaces pour « se poser » et discuter, pour partager un moment de liberté hors les murs de la maison ? Les jeunes filles, sujettes au risque de violences ou de harcèlement dans des lieux tels que les skateparks ou les city stades, souvent à l’écart pour éviter les nuisances sonores, arrêtent de sortir si aucun autre espace ne leur est dédié.

À Vienne en Autriche, depuis l’instauration du budget genré, chaque parc est pensé en prenant en compte les besoins des jeunes filles

Que recherchent les adolescentes ? Selon les études menées sur le sujet, elles sont en quête de « spots » pour discuter à l’écart des adultes – sans forcément être coupées d’eux –, des tables rondes, des jeux artistiques comme des tableaux d’extérieur, des jeux qui favorisent l’interaction plutôt que la compétition. Elles attendent des aires de patinage, elles veulent pouvoir écouter de la musique tranquillement… Elles recherchent donc à la fois des lieux pour discuter, pour s’exprimer et se mouvoir pour le jeu.

Penser autrement qu’à travers le prisme du sport

En Grande-Bretagne, deux femmes, Susannah Walker et Imogen Clark, ont monté l’association Make Space for Girls (Faites de la place aux filles). Elles accompagnent les collectivités souhaitant réfléchir à des aménagements dédiés aux jeunes filles, et recensent études et cas concrets sur leur site. Ainsi, l’on découvre comment certaines villes à travers le monde ont imaginé des conceptions spécifiques. À Vienne en Autriche, depuis l’instauration du budget genré, chaque parc est pensé en prenant en compte les besoins des jeunes filles. Des hamacs, mais aussi des plateformes sur lesquelles elles peuvent s’installer en cercle ou bien s’allonger, ont été installés dans les parcs à des endroits stratégiques, à proximité du chemin qu’elles empruntent pour se rendre au collège ou au lycée. Pour les rassurer, ces emplacements ont été choisis en fonction de la visibilité qu’ils offrent sur les environs, et dans des lieux suffisamment éclairés. Lorsque cela a été nécessaire, des éclairages supplémentaires ont été ajoutés.

Les aménagements du parc ont été pensés de telle sorte qu’aucun groupe ne puisse le dominer

Les aires de sport ont également été repensées de manière à ce que les garçons s’en sentent moins les seuls maîtres à bord. En premier lieu, plusieurs entrées ont été ajoutées, pour que personne ne s’y sente pris au piège. Les aires ont également été divisées au moyen de petits préaux surélevés, qui peuvent à la fois servir à s’asseoir entre amis, ou comme élément pour des jeux. L’espace, scindé en plusieurs zones, permet aussi à plusieurs groupes de pouvoir organiser simultanément des jeux distincts. Enfin, les aménageurs ont noté qu’une partie des grandes sœurs étaient chargées de surveiller leurs cadets dans les aires de jeux réservées aux enfants. À leur destination, ils ont installé des tables avec deux bancs pour s’installer à plusieurs, tout en ayant leurs frères et sœurs à portée du regard.

Impliquer les jeunes filles dans la conception

Du côté de Barcelone en Espagne, c’est le nouveau parc situé Plaça d’en Baro qui a été conçu par une « agence d’architecture féministe », Equal Saree. C’est en consultant les jeunes filles du quartier que les architectes ont imaginé ces aménagements qui, comme à Vienne, consistent en de grandes plateformes pour se retrouver, à proximité des aires de jeux destinées pour les plus petits et à la jonction de plusieurs aires, pour se mêler aux autres générations tout en disposant de son propre espace.

La ville de Malmö a constaté que les sites étaient fréquentés à 80 % par des garçons

Enfin, la ville de Malmö en Suède, qui depuis des années aménageait des recoins de la ville en espaces dédiés au skate, au graffiti et à l’escalade, a modifié ses habitudes lorsqu’elle a constaté que ces sites étaient fréquentés à 80 % par des garçons. L’aménagement entier d’un parc a donc été pensé en coordination avec un groupe de filles âgées de 16 à 24 ans. Le résultat diffère de Vienne et Barcelone : c’est à la fois un parc d’activités sportives, avec un mur d’escalade, une sorte de scène légèrement surélevée pour des performances, des barres de gymnastique, et un site qu’il est possible d’investir en petit groupe. Les aménagements ont effectivement été pensés de telle sorte qu’aucun groupe ne puisse le dominer, une répartition naturelle s’opère. Cette expérience, porteuse pour les jeunes filles, leur a donné l’envie de poursuivre cette implication dans l’aménagement de la ville en créant une association militante destinée à aider les jeunes filles et les femmes à trouver leur place dans l’espace public.

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