Quand une CRC se penche sur l’intérêt communautaire

Denis Courtois
Quand une CRC se penche sur l’intérêt communautaire

Tax inspector investigating financial documents through magnifying glass

© AdobeStock

Un rapport de chambre régionale des comptes, ça permet de comprendre comment les magistrats voient certains aspects de la gestion et de l’organisation des collectivités. Ces dernières sont particulièrement sensibles à la réalité des transferts de compétence. La preuve en Pays de la Loire.

Un récent rapport sur la métropole d’Angers (disponible sur le site de la chambre régionale des comptes (CRC) Pays de Loire avec la réponse fort détaillée du président d’Angers Loire Métropole) permet de porter un regard renouvelé sur l’organisation métropolitaine, mais aussi d’autres collectivités, sous au moins trois aspects intéressants à détailler.

Quand l’exercice des compétences est-il considéré comme effectif par la CRC ?

Durant la période sous contrôle, Angers Loire Métropole (ALM) a accru son périmètre géographique et augmenté significativement son champ de compétences, avant son passage en communauté urbaine (CU)… ce qui lui a permis de percevoir une dotation globale de fonctionnement bonifiée. Cette « opportunité » amène la CRC à s’interroger sur les conséquences de ces choix, qui impliquent des prises de compétences supplémentaires d’autant que, comme la chambre le précise, « à l’occasion des négociations avec les communes, il a été convenu que celles-ci bénéficieraient du reversement d’une partie de la bonification ».

Pour qu’elle soit considérée comme transférée, une compétence doit donc être complètement exercée par l’intercommunalité

La chambre a effectué un tour d’horizon complet des compétences déléguées et considère que ces compétences ne sont pas transférées en listant de nombreux points et pas seulement la modification de l’attribution de compensation. Elle s’attache aussi bien à des points importants (voir ci-dessous) comme les établissements d’intérêts communautaires et la dévolution des modes de gestion, qu’à des sujets qui paraissent moins importants. Ainsi l’absence d’harmonisation des tarifs entre les communes pour l’occupation du domaine public est montrée du doigt, comme l’est aussi le « partage » des bonis ou des déficits d’aménagement de zones d’activités notamment quand ceux-ci ne « semblent pas équitables et au détriment d’ALM ».

La doctrine de la CRC est que pour qu’elle soit considérée comme transférée, une compétence doit donc être complètement exercée par l’intercommunalité, et doit pouvoir être analysée dans le détail (quoi ? quelle compétence ? analysée par qui ?). Si un temps de mise en œuvre est bien sûr nécessaire, il faut commencer les chantiers d’harmonisation afin de ne pas se voir accusé de n’avoir rien fait…

Qu’est-ce qu’un établissement d’intérêt communautaire ?

Le rapport de la CRC est très explicite sur le sujet : « ALM disposait de deux ans après la prise de compétence ‘‘théorique’’ au 1er septembre 2015 pour se prononcer sur l’intérêt communautaire des équipements présents sur son territoire. En l’absence de délibération sur le sujet dans les délais impartis, tous les équipements sont réputés d’intérêt communautaire. Par délibération du 10 juillet 2017, ALM a déclaré qu’aucun équipement n’était d’intérêt communautaire. Cette décision semble plus être une décision politique et budgétaire que le fruit d’une véritable concertation sur le caractère communautaire des équipements.

La CRC regrette l’absence d’audit sur la qualité des voiries transférées (1 800 km !) ou de projet de réorganisation de l’ensemble des services

En l’absence d’équipement d’intérêt communautaire, ALM a décidé de verser des fonds de concours pour les équipements culturels et sportifs contribuant au rayonnement du territoire et répondant aux critères cumulatifs suivants :
- unicité sur le territoire d’ALM ;
- fréquentation par des habitants de l’ensemble du territoire d’ALM et au-delà ;
- accueil d’événements d’envergure nationale ».

Il est à noter que, parmi les équipements concernés, on trouve un centre de congrès, une patinoire… et des objets plus petits mais uniques sur l’agglomération comme un espace d’escalade et un terrain de hockey sur gazon.

La « redélégation » des compétences n’est pas vraiment prisée

« Le passage en communauté urbaine entraîne le transfert des compétences suivantes : voies communales (chaussées, trottoirs, accotements, ouvrages d’art, etc.), éléments attenants à une voie publique (fossés, pistes cyclables, places, etc.), équipements nécessaires à l’usage de la voie (signalisations, équipements de sécurité, etc.), allées piétonnes et chemins ruraux », rappelle la CRC qui constate que cette compétence a été redéléguée aux communes… pour une période de deux ans, prolongée… jusqu’en 2021. Ce qu’elle n’aime pas du tout.

Les élus ont pris l’engagement de s’y attaquer après les élections municipales, mais la CRC regrette l’absence d’audit sur la qualité des voiries transférées (1 800 km !) ou de projet de réorganisation de l’ensemble des services. La redélégation est donc provisoire et la création d’un service unique de voirie (dans ce cas) semble constituer une preuve de l’exercice de la compétence transférée.
Cependant, rien ne permet de dire pour l’instant que la CRC verrait d’un mauvais œil une organisation qui laisserait à la commune et à ses agents un poids important permettant d’allier proximité, qualité de service et réactivité face à une « métropole lointaine ».

Quand transférer un équipement ?

La chambre poursuit ainsi : « l’intérêt communautaire n’ayant pas de définition réglementaire, chaque EPCI est libre d’en déterminer les contours », ce qui ne l’empêche pas d’affirmer « toutefois, les critères retenus pour l’attribution des fonds de concours pourraient être considérés comme une définition de l’intérêt communautaire. Dans ces conditions, le financement de certains équipements aurait dû être porté par ALM (investissement et fonctionnement) avec éventuellement des fonds de concours des communes », et de préciser qu’auraient dû être concernés des équipements comme : le parc des expositions, le centre des congrès, le parc du Maine d’Angers, l’opéra, l’orchestre…

Le président d’ALM  assure que des équipements seront définitivement transférés en 2021 à l’issue d’une période transitoire qu’il juge « nécessaire pour mieux préparer l’avenir ».

Elle conclut : « au final, ALM a reporté la prise en charge des équipements d’intérêt communautaire après les élections de 2020, soit cinq ans après sa transformation en communauté urbaine » et suggère que « la construction projetée d’un nouveau vélodrome devrait être l’occasion d’enclencher les transferts vers la communauté urbaine des équipements communautaires ».

Cette vision est confirmée par le président d’ALM qui assure, dans sa réponse, que des équipements seront définitivement transférés en 2021 à l’issue d’une période transitoire qu’il juge « nécessaire pour mieux préparer l’avenir ».

Le transfert d’équipements vers une communauté est donc un sujet auquel les CRC sont attentives et qui contourne la difficulté d’une absence de définition en utilisant celle des fonds de concours.

Des prises de compétences pleines et entières

Le rapport donne bien des indications sur la façon dont nombre de CRC conçoivent et apprécient les prises de compétences. La décision du transfert d’une compétence à l’intercommunalité n’est ainsi pas l’aboutissement d’un travail (parfois long) mais souvent le début d’un long chemin, rappelle la CRC à celles et ceux qui voudraient se limiter à la première étape. De là à contester un changement de statut fait pour profiter de dotations supplémentaires, le pas n’est pas franchi, mais cela pourrait inspirer des lecteurs attentifs, notamment le législateur.

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