Que se passe-t-il au juste dans le périurbain ?

Roger Morin
Que se passe-t-il au juste dans le périurbain ?

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Sans que cela n’ait été décidé, ni débattu nulle part, les territoires urbains ont connu en quelques décennies un fantastique bouleversement à deux composantes : polarisation d’abord (80 % des Français y vivent aujourd’hui), dispersion ensuite (leur développement se fait de plus en plus dans les couronnes éloignées).
Ainsi que l’écrit Raphaëlle Rerolle (Le Monde du 31 mai), nous nous réveillons aujourd’hui en découvrant « qu’un baobab a poussé dans notre jardin » : en moins d’un demi-siècle, de lotissement en lotissement, de plus en plus loin du centre, une part majeure de la ville (environ un quart des Français) s’est installée dans les vastes territoires que la FNAU (agences d’urbanisme) a qualifiés de « campagnes urbaines ». L’homoperiurbanus, qui les habite, vit avec la ville – il s’y rend quotidiennement ou fréquemment, pour le travail et beaucoup d’autres motifs – et a pourtant voulu s’en éloigner.

Pourquoi devient-on périurbain ?

La controverse sur la périurbanisation commence dès l’analyse de ses raisons. Les observateurs les plus critiques ne trouvent à ce choix que des explications négatives. Les uns y voient une sorte de sécession des classes moyennes aisées, qui viendraient chercher là le confort de l’entre-soi et la possibilité de profiter des avantages de la ville sans avoir à en supporter les coûts ni les inconvénients. D’autres, plus sensibles aux évolutions récentes dans les couronnes les plus éloignées, voient dans le périurbain un refuge pour les classes populaires auxquelles les villes d’aujourd’hui – embourgeoisées pour une part, « multiculturelles » pour une autre – ne feraient plus de place acceptable.Ces deux lectures de la périurbanisation, qui ont en commun d’y voir d’abord un rejet de la ville, ont longtemps donné le ton dans la littérature consacrée à ces questions, jusqu’à ce que d’autres analyses en proposent une compréhension plus bienveillante. Elles font valoir que, loin d’être subi par défaut, ce mode de vie est en général un choix délibéré qui traduit des aspirations largement partagées : l’habitat individuel dans une maison avec jardin, un environnement calme proche de la nature, des conditions de vie propices à la vie en famille avec enfants. La périurbanisation ne serait finalement rien d’autre que le résultat d’un « vote avec les pieds », agrégation de préférences individuelles qui, sauf à tomber dans une forme de condescendance méprisante, méritent d’être respectées.

Les périurbains, des urbains comme les autres ?

Le désaccord sur les raisons de l’évasion urbaine se prolonge en divergences de portée quasi anthropologique sur la signification de ce mode de vie. C’est Jacques Lévy qui en a développé la critique la plus radicale : sa théorie du « gradient d’urbanité » repose sur l’idée que la distance à la ville n’est aujourd’hui rien moins que le révélateur d’un rapport au monde. Vivre en ville exprimerait une acceptation de l’altérité, sociale, ethnique, culturelle. S’en éloigner en traduirait le refus, dans une démarche de repli sur soi, privilégiant la sphère privée et le voisinage affinitaire dont le vote Front National dans les couronnes périurbaines serait l’expression politique.
Ainsi se dessine un autre portrait des habitants des couronnes périurbaines, qui les montre « urbains comme les autres », divers comme l’est la société tout entière
À ce réquisitoire, nombre d’analystes répondent (cf. Esprit de mars-avril 2013) par un certain nombre d’observations qui, pour le moins, nuancent le tableau. Ils soulignent que les périurbains, loin d’avoir rompu avec la ville, la fréquentent pour la plupart d’entre eux assidûment. Ils observent, enquêtes de terrain à l’appui, que la conscience politique et éthique des périurbains ne se distingue guère de celle des urbains, et que si le rejet de l’autre est présent chez eux, ils n’en ont pas le monopole. S’ils votent FN, c’est là où se produisent des évolutions qui génèrent inquiétude et défiance à l’égard des pouvoirs établis.Ainsi se dessine un autre portrait des habitants des couronnes périurbaines, qui les montre « urbains comme les autres », divers comme l’est la société tout entière (à ceci près qu’ils ont en commun d’avoir les ressources nécessaires pour accéder à la propriété). Leur individualisme supposé ne serait qu’un mythe, démenti par leur forte participation électorale et surtout par le développement dans les communes qu’ils habitent de nouvelles formes de sociabilité – autour de l’école, dans les loisirs et l’entraide – qui, lorsqu’on va y regarder de près, s’avèrent d’une grande richesse.

La périurbanisation est-elle soluble dans la métropole de demain ?

De cette controverse, découle bien entendu un sérieux dilemme quant à l’action publique à conduire en la matière. Si les territoires périurbains sont ce qu’en disent leurs critiques les plus sévères, il faut, au plus vite, inverser la tendance. Cela passe par le renforcement de l’autorité des pouvoirs d’agglomérations sur les périmètres voisins, et l’adoption de règles contraignantes privilégiant la densification et le renouvellement de la ville sur elle-même.C’est là une entreprise dont le caractère extrêmement volontariste est évident ; elle exige des pouvoirs publics de prendre à rebours les aspirations des habitants, à un point tel qu’on peut douter de son acceptabilité, voire de sa légitimité.Du coup, les observateurs plus bienveillants de la périurbanisation, plutôt que d’y voir une mise en péril du vivre ensemble, invitent à y reconnaître les signes d’une urbanité renouvelée, intégrant les aspirations à l’autonomie individuelle qui caractérisent la société contemporaine. Ils ont beau jeu de défendre une autre approche, dans laquelle la périurbanisation serait partie intégrante de la construction métropolitaine ouverte à plusieurs figures d’urbanité. L’urbain diffus y serait à la fois reconnu et accompagné à travers, notamment, des politiques de déplacement novatrices et l’encouragement à des extensions urbaines mieux groupées autour de pôles intermédiaires. Et l’habitant de ces périphéries y serait appelé à s’inscrire dans un renouvellement de la citoyenneté urbaine, conjuguant aussi harmonieusement que possible aspiration à l’autonomie et implication dans la vie collective.

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