Quel avenir pour les zones commerciales ?

Séverine Cattiaux

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Quel avenir pour les zones commerciales ?

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© Konstantin Yolshin - adobestock

« La France moche » défigurée par les zones commerciales en périphérie est-elle en sursis ? Alors que les promoteurs commerciaux poursuivent l’aménagement de ces zones en promettant des « expériences nouvelles » aux consommateurs, des élus tentent de penser les choses différemment. Mais ils restent dépendants de règles et d’une vision de l’urbanisme commercial qui n’ont pas évolué avec la réalité.

Qu’elles soient en périphérie ou en entrée de ville, les zones commerciales des agglomérations n’ont cessé de s’étendre en France. Selon le dernier bilan de la Fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé (Procos), au 1er janvier 2017, 5 millions de m2 de grands projets à construire étaient encore au programme pour les mois à venir, dont 89 % des surfaces situées en périphérie.

Lire aussi : Villes moyennes, comment en finir avec les grandes surfaces

« Les permis de construire retrouvent leur niveau de 2014 », indique ainsi la fédération. Néanmoins, le marché de l’immobilier de commerce est bel et bien mature et « poursuit son repli amorcé depuis 2009 au vu de l’évolution du stock de surfaces commerciales projetées à 5 ans par les promoteurs ». Une décélération loin de rassurer l’association d’élus Centre-ville en mouvement, qui exhortait l’État en septembre 2017 à prononcer un moratoire national sur la création et l’extension des zones commerciales.

De moratoire général, il n’y aura point. Mais le ministère de la Cohésion des territoires a lancé le plan national « Action cœur de ville » pour les villes moyennes

En jeu : la dévitalisation commerciale des centres-villes en France qui affichent des taux de vacances préoccupants jusqu’à 25 %. De moratoire général, il n’y aura point. En revanche, en décembre dernier, le ministère de la Cohésion des territoires a lancé le plan national « Action cœur de ville » pour les villes moyennes, où il n’est question du sort des zones commerciales périphériques qu’en creux seulement. « Pour nous, l’urbanisme commercial « à la française » pose question et nécessite une réforme beaucoup plus complète qui reste à faire », analyse Pierre Narring, coordinateur du rapport « Inscrire les dynamiques commerciales dans la ville durable » (mars 2017) pour le compte du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD).

Vers des projets multifonctionnels qui coûtent cher

Les « routes du meuble » à perte de vue, en guide de périphérie, seront-elles bientôt du passé ? Ce devrait l’être pour les métropoles de Montpellier (avec le centre commercial Ode à la Mer) ou de Strasbourg (avec le projet Vendenheim), où se déroulent les deux plus grosses opérations de requalification du tissu commercial en entrée de ville de France…

De telles opérations requièrent énormément de moyens et se comptent sur les doigts de la main, comme en conviennent les experts du secteur. Dans les deux cas, la foncière d’immobilier commercial Frey, en copilotage étroit avec les collectivités, est à la manœuvre, aménageant et remaniant les anciennes zones commerciales vouées à disparaître en transférant les commerces dans de nouvelles structures dernier cri, répondant aux envies des consommateurs et exigences environnementales : espaces verts, cheminements piéton, infrastructures pour les transports collectifs, énergies renouvelables, bâtiments esthétiques, connectés et modulaires. Des lieux de shopping ? Pas seulement : des commerces qui offrent une « expérience nouvelle » aux consommateurs, à base de temps de loisir en famille, de restauration… et qui s’intègrent aussi dans les retails parks (centre commercial à ciel ouvert avec parking commun à tous les points de vente) à la pointe, avec des services, des bureaux et des logements…

« C’est une tendance forte pour consommer le moins d’espace agricole. Mais ce n’est pas aussi simple que cela »

« L’ère est à la multifonctionnalité, commente Gontran Thüring, délégué général du Conseil national des centres commerciaux (CNCC). Il y a un certain nombre de projets de ce genre qui vont sortir partout en France, car on commence à avoir des centre commerciaux âgés, la durée de vie d’un centre étant de 30 ans ». Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos, confirme : « C’est une tendance forte pour consommer le moins d’espace agricole. Mais ce n’est pas aussi simple que cela ». Et d’expliquer pourquoi : « Ces programmes mixtes sont plus chers et génèrent des nuisances pour les potentiels habitants. Si le concept est bien accepté dans le tissu dense où les besoins de logements sont importants, c’est moins vrai pour les villes de taille moyenne, à moins d’avoir des logements de très bonne qualité ».

Du moratoire au document de planification

« On est une industrie lente, dans un monde qui va de plus en plus vite, on ne peut plus se permettre d’avoir des cycles longs car le retail bouge très vite », prévient Gontran Thüring, qui plaide pour l’accélération du processus d’autorisation d’aménagement commercial et pour empêcher les recours abusifs qui retardent les opérations… Mais tandis que l’urbanisme commercial semble courir après les tendances des consommateurs, certains territoires veulent au contraire ralentir la rythme, le temps de faire le point…

Le moratoire, mesure symbolique d’un maire qui ne peut rien faire seul, les projets commerciaux continuant à s’implanter sur les communes voisines

Ainsi Bourges a-t-elle décidé, en octobre 2017, d’un moratoire sur la construction de nouvelles zones, espérant ainsi enrayer l’hémorragie de son commerce en centre-ville (vacance entre 15 à 20 %). Une mesure symbolique car le maire ne peut rien faire seul et les projets commerciaux continueront à s’implanter sur les communes voisines. Obtenir un consensus de tous les élus, c’est ce qu’a réussi Angers Loire Métropole en gelant, en 2014, dans le cadre de l’élaboration de son plan local d’urbanisme intercommunal, l’extension de certaines zones commerciales.

La région avignonnaise est également parvenue à dégager un avis commun sur l’avenir de ses zones commerciales. Trois ans après le moratoire décidé en solo par la Ville d’Avignon, frappée de plein fouet par la dévitalisation du centre-ville, c’est à l’échelle du Scot (qui implique quatre établissements publics de coopération intercommunale, trente-quatre communes et 310 000 habitants) que les communes viennent de convenir d’une ligne de conduite. En novembre dernier, elles ont signé une charte d’urbanisme commercial, dans l’attente d’élaborer leur document d’aménagement artisanal et commercial (DAAC). « Nous avons dans la région l’une des plus grandes zones commerciales de France, sur les communes de Pontet et de Sorgues : la zone Avignon Nord », rappelle le directeur du Scot Bassin de vie Avignon Alain Farjon, qui salue une avancée importante : « On a beaucoup de demandes d’extension de moyennes et de grandes surfaces, et les élus doivent se prononcer lors des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC). Nous allons pouvoir à présent donner un avis plus cohérent ».

Les élus ont besoin d’études d’impacts indépendantes

Pour les auteurs du rapport du CGEDD, certains travers de l’urbanisme commercial doivent être corrigés, sans quoi les élus continueront à tomber dans les mêmes pièges. Les CDAC, où siègent davantage d’élus depuis la loi Pinel, sont visiblement trop laxistes. « Elles acceptent 90 % des projets, quand bien même la récente la loi Pinel a donné des critères plus précis qu’auparavant », note Pierre Narring, coordinateur du rapport. Les commissions sont trop proches du terrain et n’ont pas le recul nécessaire, en déduisent les rapporteurs du CGEDD. « C’est pour cela que, parmi nos propositions, il y a celle de mettre en place des commissions à l’échelle régionale qui permettront d’avoir plus de recul pour examiner les projets ».

Difficile aussi pour les élus de tirer un trait sur des centaines d’emplois qui accompagneront l’ouverture de nouvelles surfaces commerciales

Difficile aussi pour les élus de tirer un trait sur des centaines d’emplois qui accompagneront l’ouverture de nouvelles surfaces commerciales. « Quand on dit emplois, de quels emplois parle-t-on ? interroge le coordinateur. Qualifiés et pérennes ou pas ? Et quels seront les emplois supprimés dans d’autres centres-villes ou pôles commerciaux existants ? » Parmi ses recommandations, le CGEDD propose donc que soient rendues obligatoires des études d’impacts indépendantes sur les grands projets commerciaux, afin d’éclairer la décision des élus et des commissions. « On dispose de ce système en matière d’environnement, on peut très bien l’adapter au cas des projets commerciaux ». Quid du financement de ces études ? « Les maîtres d’ouvrages n’auront pas de mal à l’assurer au lieu de dépenser des sommes considérables pour les recours qui se font entre les projets des uns et des autres », conclut le CGEDD.

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