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La France, qui voue un culte à l’égalitarisme juridique, repose en réalité sur des fondements géographiques et affectifs fort variés. L’identité psychologique de proximité n’est pas la même en terre de bocage, à l’habitat dispersé, ou dans les zones où, de toute éternité, les habitants ont dû se regrouper en bourgs et cités en raison des pratiques agricoles et des spécificités hydrauliques. Cette diversité se rejoue, se réinvente, avec les communautés XXL et autres métropoles, d’une part, et les communes nouvelles d’autre part. Esquissons une typologie en quatre chapitres.
1) Fini les mariages blancs
Un modèle disparaît peu à peu, celui de la communauté dit « mariage blanc », qu’on retrouve souvent en zone rurale ou dans la région parisienne, avec une dotation globale de fonctionnement (DGF) qui diminue fortement et aux compétences évanescentes. Ce modèle servait autrefois d’outil de redistribution financière par d’amples fonds de concours. Ce modèle se meurt. Il n’est plus financé. Les compétences intercommunales ne peuvent plus être « pour de faux ». Mais il finit toujours par se trouver un pilote content de prendre en main ce bolide qui dormait au fond d’un garage…
Les modèles 1 et 2 ont du mal à naviguer ces temps-ci. Pas assez de DGF. Pas assez de consensus et de projets.
2) Très intégré, mais très centralisé
Le modèle de l’EPCI à fiscalité propre très intégré, mais très centralisé, si possible autour de la ville-centre (la communauté « donjon de la ville-centre ») perd du terrain lui aussi. Avec les grands élargissements de ces dernières années, nombre de communautés ou de métropoles autrefois bâties sur ce modèle se sont réellement ouvertes à leur périphérie, à la variété de leurs territoires, avec des actions de plus en plus territorialisées.
« Des problèmes terre à terre, pour lesquels rien n’a été prévu »
« Nous venions à peine d’achever une première fusion, ce qui nous a permis d’anticiper les problèmes les plus terre à terre, pour lesquels rien n’était prévu par les services de l’État. Par exemple, une fusion demande de changer l’ensemble des cartes grises des véhicules, mais aussi les assurances, c’est complexe et cher. Un agent dédié à ces questions a donc pris ses fonctions au sein de la direction ressources. Les communautés de communes devaient recenser tous leurs véhicules, mais aussi enregistrer un certain nombre de documents (relatifs au patrimoine, sujet au même problème) afin que cet agent puisse procéder aux changements administratifs que la fusion impose. »
Christophe Rivenq, DG d’Alès Agglomération et de la ville d’Alès
3) Priorité à la territorialisation
Ce qui nous conduit au troisième modèle : celui de l’administration intercommunale très intégrée, mais très territorialisée dans son action, ses centres techniques, ses commissions, pour répondre à un territoire vaste et, parfois, diversifié. Ce modèle peut même se réinventer avec une mise en réseau des agents communaux/intercommunaux mutualisés qui restent physiquement en poste dans diverses communes, l’intranet et les discussions en visioconférence pouvant avoir du bon. Ce modèle correspond, peu ou prou, à l’image du bon élève vu par les administrations centrales. De fait, ce mode de coopération combine de nombreuses vertus s’il sait gérer la diversité de son territoire sans sombrer ni dans l’autoritarisme ni, inversement, dans la lourdeur.
4) Le modèle de demain ?
Et apparaît de plus en plus un ultime modèle, plus novateur : celui d’une communauté de grande taille, mais qui décide, finalement, de s’en tenir aux compétences stratégiques, quitte à confier à nouveau aux communes certaines autres compétences (art. L.5214-16-1, L.5216-7-1 du CGCT, etc.) parce que ces communautés sont composées de très grandes communes nouvelles qui, elles, sont légitimes pour porter les compétences de proximité. Ce modèle a, lui aussi, de nombreuses vertus. Mais il ne correspond pas aux optimisations maximales de la DGF. Et c’est bien regrettable…
« La gouvernance est toujours exercée localement »
« La métropole d’Orléans compte 22 communes et est constituée de 5 pôles territoriaux. Il n’y a pas une « super structure » qui prend le pouvoir, la gouvernance est toujours exercée localement, en alliant coopération et transfert de compétence. La coopération volontaire entre les communes est un axe que l’on développe depuis 2014. Par exemple, ce mois-ci, deux communes fusionnent leur régie de l’eau. Ailleurs dans l’agglomération, trois communes ont créé un relais d’assistantes maternelles intercommunal. À Saint-Jean-de-Bray, nous mettons notre bureau d’études à la disposition d’une autre commune. Les coopérations émergent et vont grossir au fil du temps. »
Stéphane Cadoret, DGS de Saint-Jean-de-Braye
Les navigateurs sont fatigués
En conclusion, les modèles 1 et 2 ont du mal à naviguer ces temps-ci. Pas assez de DGF. Pas assez de consensus et de projets. Les modèles 3 et 4 prennent parfaitement, eux, le vent des réformes actuelles. Ils tiennent plutôt moins mal que d’autres par les grands creux financiers qu’il leur faut affronter. Mais ces modèles requièrent un très grand savoir-faire technique et politique, une forte implication de chacun… Or les navigateurs sont fatigués. On leur a fait avaler des fusions, des mutualisations, des transferts de compétences. Au moment, maintenant, de naviguer par gros temps, de colmater les voies d’eau, de resserrer les rangs dans les équipages… se ressent une grosse fatigue. Certains se cabrent. D’autres réalisent que ce mandat n’aura été que « techno », au fil des copils, sans avoir le temps de réaliser des projets ni de voir la population. Or, voici, déjà, que la vigie annonce, à l’horizon, les municipales de 2020…