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Cet après-législatives nous permettra d’y voir plus clair sur les réelles intentions du gouvernement Philippe pour la fonction publique. Mais ce dernier n’avance pas masqué sur les mesures qu’il porte. Mieux encore, il joue carte sur table avec les syndicats en les invitant à de premiers échanges. Ainsi, deux semaines après sa nomination à Bercy au ministère de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, l’ex-vice-président Les Républicains du conseil régional des Hauts-de-France, a organisé un premier tour de table avec l’ensemble des syndicats de fonctionnaires.
Emmanuel Macron a su arrondir les angles, assurant qu’il n’aurait pas une approche « comptable » des enjeux dans la FPT.
Les axes majeurs du projet sont connus : réduire de 120 000 le nombre de postes de fonctionnaires par des départs à la retraite, dont 70 000 à 75 000 dans les seules collectivités territoriales, pour engranger 60 milliards d’euros d’économie en cinq ans. Selon les derniers chiffres publiés en avril par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales dans son rapport d’activité, 37,4 % des 1,5 million d’actifs recensés sont âgés de plus de 50 ans, et 19,8 % (soit plus de 296 000 actifs) de plus de 55 ans. En guise de riposte, les associations d’élus et les syndicats ont d’ores et déjà rétorqué que les collectivités jouissaient d’une libre administration de leurs affaires…
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Les syndicats sont sur la défensive
Pendant la campagne présidentielle, le futur président de la République a su arrondir les angles, assurant qu’il n’aurait pas une approche « comptable » des enjeux dans la fonction publique territoriale et qu’il souhaitait inaugurer avec les syndicats « un dialogue social original ». Mais le premier contact avec Gérald Darmanin n’a pas été de nature à rassurer ces derniers. La centrale FO assure être sortie « inquiète des premiers échanges », la CFDT veut « ne pas être naïve », l’Unsa veut rester « vigilante », tandis que la CGT est « désormais dans l’attente des résultats des élections législatives ». Bref, quand ils rentreront dans le vif du sujet, les syndicats seront naturellement sur la défensive.
Quand ils rentreront dans le vif du sujet, les syndicats seront naturellement sur la défensive.
Sur son site, FO va plus loin : « Les 120 000 suppressions de postes, le gel de la valeur du point d’indice pour l’année à venir, le rétablissement de la journée de carence, sont hélas confirmés, au nom de l’application du programme, validé par le résultat de l’élection présidentielle », écrit l’organisation syndicale. Concernant le recrutement de fonctionnaires sous statut, défendu par FO, « le ministre répond vouloir combattre la précarité mais maintient que cela peut se faire dans certains cas par le biais de CDI de droit public […] Contrairement à ce que dit le ministre, il faut, pour éviter la précarité, des emplois statutaires et non le développement du contrat », poursuit-elle.
Pour la CGT, le « point de rupture » n’est pas loin
Jean-Marc Canon, représentant CGT de la fonction publique, n’hésite pas à parler de « point de rupture […] Les grandes orientations, nous les contestons et nous n’avons pas eu d’éléments qui précisent les choses », regrette-t-il après son premier contact avec le ministre. « La baisse des effectifs comme (le fait) de scinder la valeur du point d’indice en fonction des versants de la fonction publique (État, hospitalière, territoriale) font partie des actes qui, s’ils sont posés, constitueront un recul majeur […] pour la CGT.
Non seulement nous sommes opposés à toute suppression de poste, mais nous voulons des créations nettes d’emplois dans certains secteurs.
Non seulement nous sommes opposés à toute suppression de poste, mais nous voulons des créations nettes d’emplois dans certains secteurs, en souffrance. Gérald Darmanin dit partager cette analyse mais, dans le même temps, il nous explique que c’est dans les orientations du président de la République ».
Girardin, l’ex-ministre de la Fonction publique fait sentir sa différence
Une nécessité de clarification s’impose, au sein même du gouvernement. Car ce dernier compte dans ses rangs Annick Girardin, ancienne ministre de la Fonction publique des derniers gouvernements Valls-Cazeneuve, qui s’est montrée assez réservée sur la suppression des 120 000 postes de fonctionnaires défendue par Emmanuel Macron. « Je dis au président de la République qu’on pourra en débattre, qu’il faut des assises des services publics, qu’il faut repenser nos services publics », a indiqué l’ancienne ministre de la Fonction publique, poursuivant qu’« il faut mettre les moyens humains et matériels au service de cette fonction publique quand on l’aura redéfinie ».
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Et d’ajouter : « Ce n’est pas une question de nombre. Il y aura peut-être des services publics qui changeront, il y en aura peut-être des nouveaux d’ailleurs. On prépare la France de demain. Nous avons à revoir nos services publics. Et surtout, nous avons à faire en sorte que les services publics soient bien là où ils sont attendus dans les milieux les plus isolés ».
Dans un entretien qu’elle nous avait accordé à la veille de l’élection présidentielle, l’ex-ministre de la Fonction publique avait été claire : « Je suis naturellement inquiète par les propositions de François Fillon de supprimer 500 000 postes de fonctionnaires.
« Sur le fond, cela occulte la seule question qui vaille la peine d’être posée : quels services publics voulons-nous pour nos enfants ? »
Raisonner en termes uniquement comptables en faisant peser sur les fonctionnaires tous les maux de la France est une bien mauvaise façon d’envisager sereinement l’avenir de nos services publics. Cela participe à la fois à une forme de défiance entre l’usager et l’agent tout en sapant la légitimité de nos fonctionnaires. Sur le fond, cela occulte la seule question qui vaille la peine d’être posée : quels services publics voulons-nous pour nos enfants ? J’aimerais que ce sujet soit au cœur de l’agenda du prochain gouvernement. Je plaide pour des assises de la fonction publique, mêlant syndicats, employeurs et usagers. Nous avons besoin d’un nouveau Pacte républicain entre les Français et le service public ». Reste à savoir si le gouvernement, apparemment pressé, prendre le temps de la réflexion avant d’agir…
Macron, adepte du « spoil system » made in America ?
La fonction publique d’État est, elle aussi, dans le viseur. Dans un entretien accordé à Acteurs publics, le président de la République a été clair : il souhaite changer ou confirmer « l’intégralité des postes de direction de la fonction publique ». 250 postes « pourvus en conseil des ministres » sont concernés. Ce mode opératoire n’est pas surprenant en début de mandature, chaque nouveau président souhaitant s’appuyer sur des hauts-fonctionnaires (préfets, directeurs administratifs centraux) partageant ses visions politiques.
Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, s’amuse que l’on s’étonne de telles pratiques : « Est-ce que nous avons des têtes de gens qui font la chasse aux sorcières ? ».
François Hollande avait refusé de placer « ses » hommes aux postes stratégiques et cette attitude, salutaire sur un plan éthique – la fonction publique est censée œuvrer pour l’intérêt général au-delà des fluctuations politiques –, lui avait été reprochée par la suite, notamment sur le plan du portage de certaines réformes à l’échelle des territoires.
Macron serait-il un adepte du spoil system à l’américaine, où chaque alternance entraîne un remplacement en profondeur des directeurs de l’administration ? Luc Rouban, chercheur au Cevipof, tempère : « En France, les personnes choisies ont toujours de l’expertise. Ce sont des gens qui connaissent leurs dossiers en plus de partager les vues du président. Aux États-Unis, ce sont des gens qui viennent de l’extérieur et qui n’ont jamais fait partie de cabinets ministériels ». Les premières nominations donneront une indication sur la méthode présidentielle.