Quelle temporalité pour l’évaluation des politiques publiques ?

Denis Courtois

Sujets relatifs :

, ,
Quelle temporalité pour l’évaluation des politiques publiques ?

516_lasserpe_evaluation

Difficile de trouver en France des exemples d’évaluation sur le moyen terme de politiques publiques. Le CICE a ainsi toutes les chances d’être abandonné avant d’avoir été réellement évalué. Pourtant, comme le montre l’exemple de la garantie jeunes, une évaluation sérieuse peut accoucher de mesures correctrices qui confortent les dispositifs.

La scolarisation de l’enfant avant 3 ans est revenue dans l’agenda politique en 2013 avec la publication d’une circulaire du ministre de l’Education nationale de l’époque, Vincent Peillon, qui ambitionnait de tripler en quatre ans le nombre de tout-petits dans les écoles maternelles des zones défavorisées. Cet objectif a été par poursuivi Najat Vallaud-Belkacem jusqu’à la fin du quinquennat Hollande.

Lire aussi : Subventions culturelles, une réflexion indispensable sur l'évaluation

Pourtant, aucune évaluation ne permet de dire aujourd’hui que cette mesure a des effets évidents sur l’amélioration des résultats des enfants comme cela a été évoqué dans l’article paru dans le précédent numéro de La Lettre du cadre. Par ailleurs, la France étant l’un des rares pays au monde à accueillir les enfants aussi tôt à l’école, personne n’a pu utiliser des études menées ailleurs.

Le temps politique et le temps d’effet d’une politique sont-ils compatibles ?

Quand il n’existe pas de « preuve » de l’efficacité d’une politique, ou quand celle-ci entre dans un champ d’interprétations divergentes, le temps de l’évaluation est trop long pour le politique.

La fin de l’article 66 de la loi du 29 décembre 2012 créant le CICE contenait dans une disposition précise prévoyant l’évaluation annuelle du dispositif. Ce qui a été fait et a donné lieu à nombre de polémiques. Comme le stipule -ou l’avoue- le rapport du comité d’évaluation 2017 : « La collecte de données individuelles d’entreprises provenant de plusieurs sources est génératrice de délais peu compressibles ». C’est la raison pour laquelle les trois premiers rapports du comité d’évaluation, remis en septembre 2013, 2014 et 2015, se sont surtout attachés à décrire les conditions de mise en œuvre du dispositif... et à fournir, sur la base d’enquêtes, des éléments d’appréciation quant à la façon « dont il avait pu toucher les entreprises et affecter leurs comportements ».

Autant dire, que devant la masse des moyens mis en œuvre et l’ « objet » de la politique en question (le dynamisme de l’économie et la création d’emplois), ce « temps » d’observation et de collecte des données est insupportable.

La vie du CICE s’achèvera en 2019 alors qu’une évaluation consistante ne sera disponible que fin 2020 !

Il faudra donc attendre le rapport de septembre 2016 et le rapport complémentaire de mars 2017, pourtant d’une nature différente puisqu’ils se fondaient cette fois « non plus sur un recueil des intentions, mais sur l’observation directe des comportements des entreprises », précise France Stratégie dans le préambule du rapport 2017. Les conclusions du comité en question sont plus que nuancées si l’on en juge par les termes utilisés (pages 31, 32 du rapport) : « Le CICE s’est en partie diffusé dans l’ensemble du système productif », « un effet positif mais modéré, concentré sur les entreprises les plus exposées au CICE... ».

Lire aussi : Emploi : changer de modèle

Alors qu’il était ministre des Finances et l’auteur de la loi sur le CICE, Emmanuel Macron avait institué ce comité d’évaluation. Mais il est plus que probable que, dès la loi de finances 2019, son gouvernement prendra des dispositions « post-CICE ». Celui-ci s’achèvera donc alors qu’une évaluation consistante ne sera disponible que fin 2020 !

La solution : l’expérimentation au fil du temps ?

Le dispositif « garantie jeunes » a été piloté par le ministère de l’Emploi, via les missions locales. Il est destiné aux jeunes âgés de moins de 16 à 25 ans, révolus, pas ou peu diplômés, qui ne sont ni en cycle d’études, ni en formation et dont les ressources ne dépassent pas le plafond du RSA. Lors de son entrée en vigueur, en 2013, le dispositif était appliqué dans dix départements. En 2015, il était étendu à 62 nouveaux départements et généralisé en 2017 à l’ensemble du territoire.

Alors qu’un débat financier sur la « nécessité » d’un RSA jeunes n’arrivait pas à déboucher, la « difficulté » a sans doute été contournée en instaurant un dispositif et un contrat avec les jeunes les plus précaires et les plus éloignés de l’emploi. Dès sa mise en place, des dispositifs d’évaluation au fil de l’eau ont été institués.

D’abord quantitative, l’évaluation est très vite devenue qualitative. Dès le premier rapport intermédiaire de la Dares en 2016 ((À lire sur dares.travail-emploi.gouv.fr)), on se rend compte que les objectifs visés en matière de public (voir encadré) sont atteints :

- 94% ne sont ni étudiants, ni en emploi, ni en formation ;

- près de 80% sont très peu qualifiés ou n’ont aucun diplôme ;

- 21% résident dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) ;

- 18% n’étaient pas connus des missions locales et ont été orientés par l’Aide sociale à l’enfance, les CHRS, la PJJ, les SPIP, etc.

 La contrepartie financière au contrat signé par le jeune est rapidement validée par le rapport qui a mené plusieurs études sur ce point qui « montrent, tout d’abord, que l’aide financière semble bel et bien indispensable aux jeunes concernés, à la fois « pour (sur)vivre et envisager un peu plus sereinement l’avenir »

Ces mesures semblent accréditer l’idée qu’une expérimentation sur un temps de quelques années peut permettre de mettre en place un dispositif complexe

Les objectifs quantitatifs atteints grâce à la connaissance du public qu’ont les missions locales, une évaluation qualitative du dispositif a pu être réalisée pour identifier les blocages relatifs à la mise en place :

- des acteurs identifiés ne « jouant pas le jeu » ;

- des modes de management en binôme des jeunes, innovants mais auxquels les accompagnants ne sont pas préparés ;

- des lourdeurs administratives.

A savoir

Qu’est ce que la garantie jeunes ?

Encadré par un conseiller de la mission locale, la personne concernée va construire un parcours intensif d’accès à l’emploi et à la formation. Pendant un an, le jeune bénéficie :
- d’un accompagnement collectif intensif sur plusieurs mois pour le préparer à l’univers de l’entreprise ;
- des immersions régulières en entreprise (stages, apprentissage…) pour le confronter aux situations réelles en entreprise ;
- d’une aide financière de 461,72 euros mensuels pour faciliter ses démarches d’accès à l’emploi. Une aide dégressive au fur et à mesure qu’il perçoit des revenus de ses activités.
L'entrée dans le dispositif implique une démarche volontariste entre le jeune et la mission locale. Les engagements respectifs font l’objet d’un contrat conclu pour une durée maximale d’un an, renouvelable 6 mois au cas par cas.

Des leçons tirés au niveau législatif

L’extension de la garanties jeunes au niveau national a été votée dans le cadre de la loi Travail fin 2017 en tenant compte des freins rencontrés : à titre d’exemple,

- la décision d’entrée en garantie jeunes incombe à la mission locale, sans examen par une commission préfectorale, permettant ainsi d’alléger notoirement la charge administrative ;

- la possibilité d’engager l’accompagnement des jeunes ne réunissant pas l’ensemble des justificatifs, ou sa domiciliation à l’adresse de la mission locale permet de limiter le temps d’attente du jeune prêt à entrer et surtout de... ne pas le perdre.

Concrètes, ces mesures semblent accréditer l’idée qu’une expérimentation sur un temps de quelques années peut permettre de mettre en place un dispositif complexe.

Concernant l’insertion professionnelle, les résultats sont plus nuancés. Trois groupes de jeunes se dessinent : ceux qui entrent dans l’emploi, même précaire grâce au dispositif ; ceux qui, grâce à lui, acquièrent « une préparation sociale à l’emploi » ; et ceux qui n’arrivent malgré tout pas à « raccrocher », pris sous le poids de leurs difficultés personnelles.

Recevez votre newsletter hebdo gratuitement

Nous vous recommandons

Claire Pitollat : « La ZFE est une méthode, elle doit s’adapter aux territoires »

Interview

Claire Pitollat : « La ZFE est une méthode, elle doit s’adapter aux territoires »

La députée Claire Pitollat assure depuis janvier 2023 la présidence du Conseil national de l’air. Elle nous explique avec quels moyens elle entend mieux valoriser cet organisme extraparlementaire dont la mission est de lancer des...

À Marseille, entre la ville et la métropole, c’est le printemps

À Marseille, entre la ville et la métropole, c’est le printemps

Nationalisation (ou renationalisation) d’EDF : leurre  ou réalité ?

Nationalisation (ou renationalisation) d’EDF : leurre  ou réalité ?

Démarches administratives dématérialisées : où en est-on côté usager ?

Infographie

Démarches administratives dématérialisées : où en est-on côté usager ?

Plus d'articles