Refondons l'action publique locale : une nouvelle grammaire de l'action publique

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Refondons l'action publique locale : une nouvelle grammaire de l'action publique

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Les réflexions sont nombreuses parmi les associations d’élus et de fonctionnaires pour tenter de renouveler l’action publique locale. De l’intercommunalité à la ruralité, toutes ces nouvelles manières de penser convergent vers la nécessité d’un aggiornamento. Bref, il faut décaper pour tout repeindre.

Les modes de faire traditionnels de l’action publique sont soumis à un questionnement constant et un travail d’introspection s’impose.

Lire l'article précédent : Refondons l'action publique locale : parions sur un nouveau référentiel

Questionner en profondeur des modes d’action

Cette introspection concerne en premier lieu l’objet même de l’action publique ; c’est-à-dire ses nouveaux horizons et ses nouvelles frontières pour reprendre une expression chère à JFK (John Fitzgerald Kennedy, ndlr). En la matière, les collectivités petites et grandes sont le terrain d’un intense foisonnement d’initiatives pour adapter les politiques publiques aux défis du temps : transformations urbaines, soutenabilité de notre modèle de développement, création de valeur économique, réinvention des solidarités de proximité, etc.

Autrement dit le « que faire ? » est largement conditionné par le « comment faire ? »

Mais donner corps à ces politiques publiques réinventées n’est possible qu’à condition de procéder à un questionnement en profondeur des modes d’action. Autrement dit le « que faire ? » est largement conditionné par le « comment faire ? ». L’impressionnant travail mené par Millénaire 3 propose un alphabet de ces modes de fabrique de l’action publique qui permet tout à la fois de prendre du recul sur des habitudes de travail, de mettre des mots sur des approches nouvelles et de questionner en profondeur la boîte à outils de l’intérêt général pour in fine améliorer sa contribution au bien commun.

Un nouveau paradigme pour les politiques locales

Dans la même tonalité, l’Association des directeurs généraux de France (ADGCF) a publié en 2019 un remarquable manifeste intitulé « Pour un aggiornamento de l’action publique locale », qui est une source de réflexion et d’inspiration précieuse. Les dirigeants d’intercommunalité y questionnent les présupposés fondateurs de l’idéologie décentralisatrice et notamment l’idée selon laquelle l’efficacité des politiques publiques serait directement liée à la « justesse » du périmètre sur lequel ces « petites patries » que forment les collectivités sont déployées, d’où un effort constant d’adaptation des frontières institutionnelles aux « bassins de vie ». Or cet ordre territorial est profondément bousculé dans ses fondements : hypermobilité des individus et des entreprises, dilatation continue des espaces de production et d’échange, nouveaux standards imposés par les technologies numériques dans un contexte d’économie internationalisée, sans oublier, bien sûr, la constitution de l’enjeu environnemental comme nouveau paradigme des politiques de développement et d’aménagement locales et nationales.

Renouvelons les dispositifs de formation des managers territoriaux pour les aider à « penser le changement »

Face à ces nombreuses mutations, l’ADGCF plaide pour un nouveau compromis territorial, autour de neuf initiatives dont quelques-unes méritent plus particulièrement l’attention : « Faire de « coopérer », « expérimenter », « hybrider » et « anticiper » les nouveaux mots-clés du management des territoires ».

Faire émerger de nouveaux « mythes » pour refonder l’action publique locale convoquant notamment les notions d’« équité », d’« accessibilité », de « différenciation » ou de « réseaux » dans l’objectif de donner aux politiques d’aménagement nationales et locales un substrat symbolique et surtout correspondant aux réalités territoriales contemporaines.

Amplifier le renouveau du format et du contenu des dispositifs de formation des managers territoriaux pour les aider à « penser le changement » tout en étant simultanément dans la production quotidienne des politiques et des services avec des organisations publiques qui sont déjà sous tension.

Une approche décapante

Dans un registre plus pratique, et comme pour déconstruire les critiques qui bruissent parfois sur le fait que les nouvelles approches autour du design de service sont très « intello » et peu adaptées à de petites collectivités, le programme « Villages du futur » initié par quatorze communes du Morvan avec l’appui de la 27e région et de la région Bourgogne en 2011 propose une approche résolument décapante de la question de la désertification en milieu rural autour d’une fabrique de l’action publique profondément réinventée.

Villages du futur, une démarche inédite de revitalisation

Loin des clichés sur la désertification, le monde rural est un terreau fertile, riche d’espaces d’expérimentations et de réinventions économique, sociale et culturelle. Convaincu que, dans ce contexte, les villages ont un avenir et qu’une partie des défis d’aujourd’hui trouveront leurs solutions dans les campagnes, le Pays Nivernais Morvan recherchait une façon d’agir qui s’affranchisse des résignations ou des routines. Portés par cette conviction commune, élus, habitants et agents publics, accompagnés par des équipes professionnelles, ont retroussé leurs manches pour imaginer et bâtir collectivement les « Villages du futur ».

Les villages volontaires ont été accompagnés par une équipe pluridisciplinaire, composée de designers de services, d’architectes, d’urbanistes (aguerris aux territoires ruraux), de paysagistes, de sociologues, qui aident les habitants et les acteurs publics à porter un regard neuf sur leur terrain de vie. Le projet est imaginé, animé et construit pendant six à neuf mois avec les habitants.
Il s’agit moins de créer de nouveaux équipements ou dispositifs publics que d’amener les habitants à se projeter dans la vie qu’ils souhaiteraient pouvoir vivre. Une fois ces visions élaborées, ils sont accompagnés dans la recherche de balises et de solutions qui leur permettent de devenir bien réelles.
Chaque opération permet de produire un plan d’aménagement, d’usages et de services, conjuguant vision d’avenir, projets concrets et jalons de court, moyen et long termes – cette programmation pouvant être mise en œuvre sur cinq à dix ans.

Des résultats concrets commencent à être visibles aujourd’hui au sein des villages : ouverture de boutiques, façades ravivées, aménagements et usages de place testés avant les installations ou travaux définitifs, création de logement seniors, chantiers collectifs de peinture de volets…

Lire la suite : L'œil de l'expert : « L’action publique doit laisser agir les communs »

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