Régulation, collégialité et identité « métier »

Gérard Varaldi

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Régulation, collégialité et identité « métier »

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Au contraire d’un management « au fil de l’eau », une pratique intelligente du management remet l’usager, la collectivité et le fonctionnaire au cœur du système. La démarche managériale peut alors réellement agir sur une qualité que tout le monde construit.
Dans son « Introduction à la pensée complexe », Edgar Morin diagnostique notre incapacité à « reconnaître et appréhender la complexité du réel ». Dans l’administration, cette cécité partielle est typique. Porteuse d’ambitions multiples et antagonistes qui ajoutent à sa complexité intrinsèque, l’administration reste sur un mode de gestion centré sur l’individu, bien pauvre en capacité d’exploitation du creuset d’informations vives que constitue chacune de ses entités collectives.Une situation d’autant plus pénalisante et frustrante que l’urbanisme administratif en construction accueille de nouvelles générations de fonctionnaires, porteuses d’autres attentes, d’autres ambitions. Rechercher les moyens de réduire ce déficit de connaissance et d’intelligence collective, c’est faire de l’organisation de l’expression dans chaque pôle d’activité un objectif stratégique lisible par tous.La régulation s’inscrit totalement dans cette quête.

Régulation, une forme d’auto-médication collective…

Au-delà de l’appréciation du respect de la norme, on assignera à la régulation cette ambition : identifier et régler explicitement les situations d’exception, les difficultés d’application, de gestion ou de relation, le plus souvent par référence à des pratiques ou une éthique professionnelles qui font sens pour tous, à défaut par de la production de norme.Le premier niveau de régulation s’inscrit dans le quotidien, à partir de l’identification et de la prise en charge des aléas et des différends qui naissent au sein du service. Satisfaire à cette exigence suppose non seulement que l’encadrement local se mette en capacité d’écoute de ses équipiers, mais également qu’il bénéficie de la même attention et du soutien de son échelon de direction.

… à utiliser sans restriction

Pour donner à la démarche toute sa portée, il convient non seulement de « pratiquer au quotidien », mais aussi de réguler par :- la veille critique sur les processus majeurs de gestion : ceux qui engagent/obligent, pour produire, et ceux qui discriminent pour reconnaître et promouvoir ;- le recensement et « l’exploitation à ciel ouvert » des scories de la gestion.Deux exemples parmi les nombreux possibles :- le processus composite du dialogue de gestion – organisation/méthode/outils –, dont la qualité détermine la soutenabilité des objectifs assignés, devrait faire l’objet, chaque année, d’un travail d’évaluation et de polissage, par des groupes de consensus associant cadres managers et échelon de direction ;- les procédures d’évaluation/reconnaissance (notation, promotion), dont la mise en œuvre est toujours délicate pour les chefs de service, sont d’une extrême sensibilité pour les agents en raison de la charge de justice/équité qu’elles véhiculent.Dans leur fonction de tamisage fin du résultat de ces procédures, les commissions paritaires donnent à voir les inévitables scories qu’elles génèrent. Il y a là un matériau riche qui devrait être délibérément valorisé. Sa transmutation en ressource collective pourrait être opérée, après traitement et mise en forme/sens par l’échelon de direction, dans le cadre d’un dialogue avec la collégialité des cadres managers.En lieu et place de la pratique de confidentialité qui prévaut, cette pédagogie de l’erreur serait à forte valeur ajoutée pour toute la collectivité professionnelle.

Une autre profondeur de champ

En raison même de sa portée, la régulation doit être regardée comme un enjeu « qualité » au profit des trois ayants droit de l’action administrative : l’usager, la collectivité, le fonctionnaire. Dès lors que sa valeur ajoutée est explicitée, son sens profond perçu, le processus de régulation devient spontanément source d’une dynamique particulièrement puissante au sein de l’organisation.À l’origine de toute régulation, il y a un espace d’expression et de confrontation. Si la préoccupation première vise à fiabiliser/sécuriser l’activité professionnelle – c’est l’essence même de la régulation – cet espace s’ouvre naturellement vers d’autres horizons.Le gage de confiance, donné par le manager à ses équipiers sur le terrain de la sécurité, libère l’expression sur l’ensemble du champ professionnel. L’enjeu de régulation s’inscrit alors dans un questionnement collectif plus large, qui fait spontanément sa place à la mutualisation, l’émulation et à l’optimisation des process.
 La régulation doit être regardée comme un enjeu « qualité » au profit des trois ayants droit de l’action administrative : l’usager, la collectivité, le fonctionnaire.

Gros porteurs de régulation : les collégialités « métier »

Ainsi, la fonction de régulation procède d’une démarche globale qui vise à capter l’expression des préoccupations propres à chaque type d’activité. Cette ambition conduit à concevoir sur un mode rénové les réunions « métier ». Usuellement conçue comme relais de communication, la réunion des collèges « métier » participe de l’événementiel, alors que ces collégialités devraient être instituées pour pouvoir offrir, à une représentation informelle de chaque « métier », un espace de travail permettant :- l’ajustement des écarts entre « l’attendu » et « le vécu » ;- la gestion des aléas ;- la mutualisation, l’émulation ;- l’expression des attentes et des ambitions.Prolongement voulu à l’exercice de la mission au sein de chaque unité d’activité, cette entité transversale doit être constituée de manière à assurer la représentation des divers enjeux et expertises portés par le même métier. Elle appelle un fonctionnement au cahier des charges méthodologique rigoureux, qu’il s’agisse :- de l’animation du groupe, l’organisation prévisionnelle de ses réunions et le suivi de ses travaux ;- du lien avec l’échelon de direction, garant de la réactivité ponctuelle requise et de l’examen périodique des propositions du « collège » ;- du bilan annuel d’activité, établi par chaque collège « métier » de manière à favoriser l’appropriation par chacun des résultats et à identifier les lignes de progrès, sur les plans méthodologique et organisationnel, notamment.
Au lieu de la pratique de la confidentialité, la pédagogie de l’erreur a une forte valeur ajoutée pour toute la collectivité professionnelle.

La régulation, amorce d’une culture de l’expression

Ainsi conçue, la démarche de régulation devient le vecteur d’une culture de l’expression, qui change le regard porté sur l’organisation professionnelle et le rapport qui se noue entre ses acteurs. Perçue comme communicante, c’est-à-dire d’abord écoutante, l’organisation professionnelle existe alors, essentiellement, par sa capacité à nourrir des processus de relation qui font lien et sens ; et c’est à travers le prisme du relationnel que l’organisation révèle sa réalité, plus complexe certes, mais plus intelligible pour le manager.Cette philosophie de fonctionnement induit un déplacement des espaces d’expression ; d’abord marquée par le souci de protection, cantonnée dans la prudence et « les rites du métier » (la langue de bois…), la parole devient plus personnelle, plus citoyenne, offrant à chacun l’option d’« être soi-même, ensemble ».Promouvoir cette culture de l’expression permet au manager de développer des liens qui libèrent la parole et créent de la dynamique : celle de la qualité au travail, dans ce qui est produit comme dans ce qui est vécu.In fine, comme dans tout processus « qualité », encadrants et encadrés s’inscrivent dans la construction conjointe d’un nouveau contrat de coopération ; implicite mais bien réel, il densifie les attentes réciproques mais, en contrepartie, livre à chacun de nouveaux moyens d’exercice de sa responsabilité propre et forge, au bénéfice de tous, une nouvelle identité « métier ».

La régulation, une forme d’antidote Dans leur recherche légitime d’efficacité, les organisations misent beaucoup sur l’engagement des cadres et chefs d’équipe, sollicités dans des conditions qui n’autorisent pas toujours une confrontation sincère et équitable des attentes réciproques. L’actualité a illustré, tragiquement, les conséquences d’une telle dérive, poussée à son paroxysme. La qualité d’une organisation tient à sa capacité à organiser la production de l’antidote à ses propres excès, à ses insuffisances potentielles ; la prise en compte des pôles professionnels dans les processus managériaux, la reconnaissance et la promotion des identités « métier » – y compris celle des cadres managers – sont de nature à nourrir une fonction de régulation salutaire, en soutien d’un management plus « écoutant » et mieux raisonné.

Régulation et dialogue social Les différents organismes paritaires – CHS, CTP, CAP – contribuent à la régulation institutionnelle ; dans un environnement culturellement tourné vers la norme, ces institutions sont le plus souvent restées sur un fonctionnement faisant de l’appréciation du respect du texte réglementaire, le fond de leur activité. La réévaluation de l’enjeu de régulation conduit nécessairement à questionner la contribution du paritarisme et à renouveler l’offre de partenariat avec les OS, en déplaçant son centre de gravité du champ de la norme vers celui de la méthode. Le contrôle de gestion, sujet à fort enjeu pour tous les agents, pourrait constituer un élément novateur de cette offre ; une charte « qualité méthodologique et éthique du contrôle de gestion », en point de sortie d’une telle démarche, marquerait un nouveau pallier qualitatif dans le champ de la régulation institutionnelle.

À FAIRE Promouvoir une concertation cadres managers-échelon de direction, pour définir les collégialités « métier » et fixer le cadre de leur fonctionnement. S’engager Au sein du service, s’engager à tenir des réunions périodiques par grands thèmes et à les conclure par un relevé sommaire de décisions(une page maxi). Commencer chaque réunion par le suivi des actions prévues par le relevé de décisions. Réserver un temps d’expression à chacun sur l’ensemble du champ de ses préoccupations « métier » : alerte, suggestions…

À ÉVITER Confondre la fonction de cadre manager avec celle de porte-parole, dans un sens comme dans l’autre… Pratiquer un management-klaxon, sollicitant systématiquement le secours de l’échelon de direction, en oubliant de mobiliser le potentiel d’adaptation interne permettant de régler – en tout ou partie – les difficultés identifiées. Feindre de ne pas voir/entendre le problème qui émerge : anticipation et précocité sont les clés pour une prise en charge optimale des difficultés de tous ordres.

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