Rémi Lefèbvre : « Emmanuel Macron n’a pas su dire non à l’AMF »

Stéphane Menu

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Rémi Lefèbvre : « Emmanuel Macron n’a pas su dire non à l’AMF »

élections et virus covid-19, illustration 3D

© Fox_Adobestock

Le politologue estime que le maintien du premier tour des municipales est une « forfaiture », fragilisant la légitimité des maires. Il considère que le Président de la République n’a pas su s’opposer au pouvoir des maires, qui voulaient le maintien du premier tour. Mais il y a un grand vainqueur, l’écologie, et un immense perdant, le maire bâtisseur.

Vous n’étiez pas favorable à la tenue du premier tour des élections municipales le 15 mars 2020. Les évènements vous donnent malheureusement raison…

Cette décision relève de la forfaiture. Les décisions se sont enchaînées et l’on est arrivé avec un premier tour dont les résultats n’ont aucune pertinence, au regard de la faible mobilisation. Le report du second tour se justifie, bien entendu, mais d’autres difficultés émergent, comme la date de dépôt des listes du second tour et sur tout une déconnection totale du premier et du deuxième tour. Sur un plan démocratique, c’est anormal et dysfonctionnel. Sans oublier le fait que des maires occupent aujourd’hui encore la place alors qu’ils avaient annoncé leur retrait ou qu’ils étaient plus ou moins en décélération. On peut faire confiance à leur sens du civisme mais ce n’est pas une situation confortable pour eux.

Comme par enchantement, dès le dimanche du premier tour, tous les partis ont appelé au report du second tour

Comment expliquez-vous que ce premier tour ait finalement été maintenu ?

Le poids des représentants des maires a pesé, c’est une évidence. L’AMF et le Sénat ont tout fait pour ce premier tour ait lieu dans les temps parce qu’ils anticipaient une prime aux sortants, ce qui d’ailleurs s’est confirmé dans les urnes. Or, François Baroin, président de l’AMF, tout comme Gérard Larcher, président du Sénat, aidés par Christian Jacob, ont tous poussé dans cette direction. Il ne faut jamais oublier que les maires sont essentiellement à droite ou centre-droit dans ce pays. Les Républicains restent le premier parti municipal de France. Emmanuel Macron, qui tente de renouer le fil avec les maires depuis la crise des Gilets Jaunes, a cédé. De plus, si le Président de la République avait en effet annulé le premier tour, il aurait été accusé d’arrière-pensée politique, les listes LREM étant annoncées en difficulté.

Mal élire un maire constitue un élément de fragilité de la démocratie

Macron n’avait donc pas le choix ?

Il aurait pu avoir le courage d’affronter le pouvoir des maires, qui est réel. Mais dans le contexte de la crise sanitaire dont il sentait venir la vague, il a préféré leur donner raison. D’ailleurs, comme par enchantement, dès le dimanche du premier tour, tous les partis ont appelé au report du second tour, en sanctuarisant bien entendu les résultats. Rendez-vous donc au mois de juin. C’est anticonstitutionnel, nous le savons, et certains battus du premier tour auront sans doute à cœur, dès que l’union nationale autour du Covid-19 sera passée, d’aller demander l’arbitrage du Conseil constitutionnel. Le feuilleton n’est pas fini. Certes, le Covid-19 ramène du bon sens. Mais nous sommes quand même dans une démocratie, nos élus doivent l’être dans des conditions sereines pour qu’ils aient la légitimité nécessaire pour mener à bien leur mission pendant 6 ans. Mal élire un maire, et ce n’est pas de son fait, bien sûr, constitue un élément de fragilité de la démocratie. Nous aurons, je ne le souhaite pas, d’autres crises identiques à celles que nous vivons. Nous devrons éviter de reproduire les mêmes erreurs.

Dans un contexte anxiogène, on sent, dans les petites villes, voire moyennes, une prime aux sortants

Malgré ce, est-ce que le politologue que vous êtes peut tirer des enseignements de ce premier tour ?

En prenant en compte les réserves que j’ai indiquées, oui. D’abord, les sortants sont les grands gagnants. Il faudra faire un comparatif par rapport à 2014, mais c’est un phénomène qui me parait au moins aussi important. L’offre politique était assez confuse, les étiquettes politiques rarement arborées, mais on en a pris l’habitude. On a pu constater aussi l’émergence de listes citoyennes, qui se sont plutôt bien comportées. Je suis assez impressionné par la poussée des écologistes en milieu urbain, à Lille, Bordeaux, Lyon ou encore Strasbourg. Les listes d’union de la gauche avec des écolos à leur tête ont réussi de très jolis scores. Dans un contexte anxiogène, on sent, dans les petites villes, voire moyennes, une prime aux sortants. Dans les grandes villes, les électeurs veulent plus de vert. Reste à savoir s’ils confirmeront leur vote au deuxième tour.

Avez-vous des éléments sur le profil des abstentionnistes ? Penche-t-il plus à droite qu’à gauche, au regard de la crise sanitaire qui aurait pu pousser les personnes âgées à aller moins voter ?

Je vous le dis comme je le pense, c’est d’autant plus le grand flou que toutes les enquêtes à la sortie des urnes, précieuses pour analyser un scrutin, ont été très contraintes du fait de la crise sanitaire. Mais il ne semble pas, malgré tout, que les personnes âgées soient restées plus à la maison, proportionnellement aux autres catégories d’âge.

La sécurité et la propreté sont aussi des préoccupations qui sont revenues à la surface

Et la gauche, où en est-elle ?

Elle se requinque. Il y a parfois eu des alliances étonnantes, PC-Ecolos. Ou des listes d’union très large. Ou des listes citoyennes, où les partis étaient sommés de se ranger derrière la bannière de l’union. Ce qui a donc permis finalement aux partis traditionnels de se sauver les réseaux d’élus. On peut étendre l’analyse à LFI, RN ou En marche, partis qui ont une réelle audience nationale mais qui ne pèsent pas sur le plan municipal. Or, pour vivre, ces partis doivent avoir des élus, ne serait-ce que pour préparer les échéances nationales. La démocratie passe par l’existence des partis. L’éclatement de l’offre politique interroge sur le financement des partis, ce qui paraît comme une question secondaire, mais qui ne l’est pas vraiment dans le sens où ces partis ont besoin d’argent pour vivre et donc faire vivre le débat.

L’écologie sort-elle grandie de ce premier tour ?

C’est une évidence, et notamment dans les grandes villes. La sécurité et la propreté sont aussi des préoccupations qui sont revenues à la surface. L’attractivité, pour les villes moyennes, est centrale, comment faire vivre les villes moyennes à l’ombre des métropoles. Une chose est sûre, pour être élu maire aujourd’hui, il faut présenter un programme très environnemental et surtout ne plus bâtir comme avant.

MINI CV

Rémi Lefebvre est politologue et enseigne à l’université de Lille.
Il est notamment spécialiste des partis politiques, du Parti socialiste en particulier, du pouvoir local et des mobilisations électorales.

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