Riace, le sas calabrais des migrants

Marjolaine Koch

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Riace, le sas calabrais des migrants

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Redynamiser un village en jouant la carte du donnant-donnant : c’est le pari réussi de Domenico Lucano, maire d’une petite commune de Calabre. De son côté, il donne aux migrants la possibilité de se construire un avenir. De leur côté, les arrivants redonnent vie à ce village délaissé par les jeunes générations italiennes.

Le village est fleuri, la place s’anime dès l’heure de l’école, les bâtiments des environs ont été rénovés il y a peu. C’est un village qui renaît alors qu’il se situe à la pointe de la botte italienne, en Calabre. Riace a connu la crise, longtemps. Avec une population se réduisant comme peau de chagrin, les jeunes générations préférant migrer vers des terres plus accueillantes, promptes à leur offrir un emploi et une rémunération correcte pour vivre décemment. Ironie du sort, c’est aussi la migration qui sauvera le village dépeuplé quelques années plus tard.

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L’accueil contre le travail : donnant-donnant

Tout a commencé en 1998. Aux origines de l’histoire, un voilier sur lequel s’entassent 250 à 300 Kurdes s’échoue au pied du village, situé 300 mètres au-dessus de la mer. Le maire les accueille, ouvre les portes des trop nombreuses habitations désormais vides. Il voit dans cet afflux une opportunité qu’il résume ainsi : « les plus pauvres des pauvres pourraient sauver Riace, et en échange, Riace pourrait les sauver ». Quelques mois plus tard, il crée l’association « Città Futura », la « Ville de l’avenir » et offre gratuitement logement, asile et électricité aussi longtemps que les réfugiés, migrants ou demandeurs d’asile acceptent de travailler pour gagner un salaire et apprendre l’italien. Les enfants sont scolarisés dès l’âge de 3 ans – ce qui a permis de repeupler l’école – et les adultes sont chargés de suivre quotidiennement trois heures de cours d’italien durant six mois.

« Les plus pauvres des pauvres pourraient sauver Riace, et en échange, Riace pourrait les sauver. »

Alors que la politique d’immigration italienne est très restrictive, Domenico Lucano mène son projet avec l’aide du Haut-Commissariat aux Réfugiés. Après les Kurdes, des Afghans, Érythréens, Somaliens, Irakiens, Libanais, Soudanais affluent au village… Aujourd’hui, 22 nationalités se côtoient dans les ruelles de Riace. Depuis quelques années, le ministère de l’Intérieur a établi un programme d’hébergement des migrants et verse à la commune 35 euros par jour par adulte et 45 euros par mineur. Ceux qui décrochent le statut de réfugié accèdent à une formation professionnelle et une bourse de 500 euros par mois. Mais parfois, les aides tardent à arriver. Pour permettre aux nouveaux arrivants comme aux commerçants de vivre, le maire a alors instauré une monnaie locale ornée des effigies de Gandhi, Martin Luther King ou de Che Guevara.

Afghans, Érythréens, Somaliens, Irakiens, Libanais, Soudanais affluent au village…

Ainsi, même sans avoir reçu leur pécule, les habitants peuvent consommer pour se nourrir et se vêtir et les commerçants travailler. À intervalles réguliers, ces derniers échangent la monnaie locale contre des euros directement auprès de la mairie lorsque celle-ci reçoit les aides.

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Une politique du partage
Après être parvenu à revivifier son village, le maire ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il s’apprête à fournir de l’eau gratuitement à tous les habitants. Fervent militant de la campagne européenne pour l’eau comme bien commun et droit universel, il vient de faire les comptes, rapportait le 10 mai dernier le journal « Il sole 24 ore » : « chaque année, la commune verse 180 000 euros à la société Sorical qui gère l’eau. La commune a besoin de seulement 80 000 euros pour forer un puits artésien à 160 mètres de profondeur ». Les travaux devraient prendre quelques mois, le contrat sera rompu avec la société en juillet prochain et à partir de 2017, l’eau sera gratuite pour tous.

En juillet 2012, celui qu’on surnomme « Mimmo » Lucano a toutefois dû se mettre en grève de la faim pour obtenir le règlement des sommes dues… Bon gré mal gré, ce soutien financier combiné à la reprise d’une activité locale qui permet d’attirer des touristes, a permis à la commune de mener son programme d’insertion et de créer 70 emplois.

Des menaces récurrentes
Le 24 mai dernier, La Repubblica publiait un article dans lequel elle détaillait les messages d’intimidation dont le maire et ses adjoints sont l’objet. La veille, c’est Maurizio Cimino, élu au « pays accueillant », qui en faisait les frais. Il trouvait, calé dans un journal plié en deux sur son pare-brise, deux balles de calibre 12 et un message : « Démissionne ». Lors des précédentes élections en 2014, les chiens du fils du maire étaient empoisonnés sur le même thème, les portes de l’association « Città Futura » et du local de solidarité étaient criblées de balles. Maire et élus prennent la situation avec philosophie, rapporte le journal : « à chaque fois que le crime – organisé ou non – a frappé à leur porte, le pays n’a pas hésité à prendre la défense des administrateurs ».

Les traditions reprennent vie

Grâce à cet afflux d’habitants, le savoir-faire artisanal local est de nouveau valorisé. Des ateliers, boutiques de céramique, de broderie, de tissage reprennent vie, où travaillent côte à côte des Calabrais et des migrants. Des emplois sont créés en agriculture, pour l’entretien de la commune, certains ouvrent des commerces… Grâce à cette nouvelle population, le village qui se mourait reprend vie. D’ailleurs, les anciens, qui ont vu partir enfants et petits-enfants, deviennent volontiers des grands-parents de substitution. Les places s’animent à la sortie des classes, les anciens jettent volontiers un œil sur les enfants qui s’égayent aussi bien qu’ils les égayent… Certains s’engagent même devant l’Église : le recteur de la paroisse locale recense plusieurs baptêmes d’enfants érythréens, ghanéens ou nigérians avec des parrains ou marraines choisis parmi les Italiens.

Les anciens, qui ont vu partir enfants et petits-enfants, deviennent volontiers des grands-parents de substitution.

Reste que cet accueil, inespéré pour les migrants, n’offre que peu de perspectives. Après s’être ressourcés quelques mois au village, ils sont nombreux à reprendre leur baluchon pour pouvoir retrouver un métier dans leur branche et quitter définitivement la précarité. Il ne reste quasiment aucun Kurde de 1998, plus de 6 000 réfugiés sont passés par la ville en près de vingt ans. Mais Riace, qui dénombrait 3 000 habitants à la fin des années 1960, puis 900 en 1998, compte désormais 2 100 habitants, dont 400 sont des réfugiés. Même si parfois, des dents grincent du côté des nationalistes ou de la Mafia locale (voir encadré), le maire maintient le cap : on parle désormais du « modèle Riace », un thème qui fait l’objet de rencontres-débats sur l’angle du « modèle multiculturel et multiethnique pour l’Europe et pour le monde ».

Domenico Lucano, maire mondialement influent
Surprise, cette année, quand le maire qui se revendique d’une gauche alternative a trouvé son nom aux côtés de ceux de Barack Obama, Vladimir Poutine ou Angela Merkel… L’ancien instituteur âgé de 58 ans, du fin fond de sa petite commune calabraise, a en effet été classé 40e personne la plus influente au monde par le magazine Fortune. La revue salue son action pour l’accueil des migrants et se félicite de voir son modèle enfin étudié et adapté dans d’autres territoires européens touchés par l’afflux de réfugiés.

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