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Depuis sept ans, Santander joue les précurseures en matière d’innovation technologique. A coup de capteurs, la capitale de Cantabrie, au nord de l’Espagne, est devenue le pilote de l’Europe: qu’apporte une smart city à ses habitants, à l’environnement, à la qualité de vie et au quotidien ? Grâce à un financement de 6 millions d’euros alloué par la Commission européenne en 2010, la ville portuaire, située à une heure de route de Bilbao, teste tous azimuts, au point d’être devenue l’une des plus grandes infrastructures d’« internet des objets » au monde. Cette ville peu étendue compte 180 000 habitants sur 40 kilomètres carrés. Elle a le mérite d’être assez représentative des villes moyennes européennes, avec ses problèmes quotidiens de congestion et de pollution.
Tout est mesuré
Désormais, à Santander, tout est mesuré : le CO2, le NO2, le bruit, l’intensité lumineuse, le degré d’humidité de la terre, la quantité de déchets dans les vide-ordures... En tout, 200 000 data environnementales, 50000 signalements de stationnement et plus de 6 000 relevés réalisés par des personnes sont accumulés chaque jour. En traitant ces données, la municipalité parvient à économiser 40 % de sa consommation sur les lampadaires, désormais capables de moduler leur intensité selon qu’il y a ou non des passants dans la rue.
Des panneaux indiquent aux conducteurs le nombre de places disponibles dans les rues à chaque carrefour.
Les jardins municipaux ne sont plus arrosés à heure xe, mais lorsque le capteur détecte un manque d’humidité dans la terre. Les conducteurs eux, ne tournent plus aléatoirement dans les rues : des panneaux leur indiquent le nombre de places disponibles dans les rues à chaque carrefour, ou bien leur GPS leur fournit ces indications directement et plus précisément. Quant à la collecte de déchets, le trajet est optimisé et s’épargne désormais le vidage de bacs à moitié vides. Une quantité impressionnante d’informations destinées à rationaliser les actions municipales, tout en améliorant le quotidien des habitants.
EXPÉRIENCE
A Nice, l’usage plus fort que les technologies
La ville de Nice a longtemps vanté son système de « stationnement intelligent » lancé en 2013, avant de l’envoyer discrètement aux oubliettes trois ans plus tard. Des capteurs devaient permettre aux conducteurs de trouver plus rapidement une place pour éviter de tourner en rond et de polluer inutilement. Or, le système a eu des ratés : technologie parfois défaillante, utilisation peu pratique (quand on conduit, on peut difficilement lancer une appli sur son smartphone), mais surtout, un usage du stationnement niçois tellement plus pratique que les nouvelles technologies : la bonne vieille double le. A Nice, le stationnement en double le est toléré, voire même encouragé par la ville : la police municipale s’est toujours montrée particulièrement clémente avec cet usage. Dès lors, pourquoi s’embêter avec une application quand on peut se garer comme on veut, au plus près de son point de destination ?
Smart Santander
Ces données nourrissent également des sites et des applications, développées par l’université de Cantabrie. La première d’entre elles, à l’usage des habitants et des touristes, propose une visite de la ville en réalité augmentée. Son nom : Smart Santander. En pointant son smart- phone sur une rue, le visiteur peut connaître les points d’intérêt touris- tiques, culturels et commerciaux, les arrêts d’autobus disponibles et les lignes qui s’y arrêtent, le délai avant le passage du prochain bus et la distance exacte à laquelle il se trouve. L’application permet également de se connecter en temps réel aux caméras situées sur les plages de la ville et disposer d’informations sur la météo, la circulation, l’emplacement de sites pratiques comme l’of ce de tourisme, les bibliothèques ou les stations de taxi. Une application tout-en-un très ambitieuse, lancée en 2012.
Développée par l’université de Cantabrie, Smart Santander propose aux habitants et aux touristes une visite de la ville en réalité augmentée.
En parallèle, une seconde application participative a été lancée. Sous l’appellation « Pulso de la ciudad » (le pouls de la ville), elle permet à chaque citoyen de signaler un problème dans la ville, que ce soit un nid-de-poule, une ampoule grillée ou un embouteillage. Les citoyens peuvent s’engager via cette application ou bien plus intensivement en rejoignant l’équipe « Santander city brain », une communauté d’habitants, de chercheurs et entrepreneurs souhaitant développer de nouvelles applications grâce aux données collectées. Il est né de cette collaboration, par exemple, une petite appli permettant de connaître en temps réel le parcours des camions poubelle de la ville, de manière à pouvoir choisir son trajet en évitant de croiser sa route !
Des citoyens surveillés ?
Bombardés de données, les citoyens se retrouvent dans le même temps au centre d’une vaste matrice qui épie leurs déplacements, actions et modes de consommation (d’eau et d’énergie). Mais l’ancien maire de la ville Inigo de la Serna, à l’initiative de ce vaste projet et devenu entre-temps ministre des Travaux publics, des Transports et de la Communication, se veut rassurant. « Aucune de ces données n’a de rapport avec la vie privée des citoyens. Ils apportent des informations de leur plein gré mais de manière anonyme, sans fournir aucune donnée susceptible de les identifier ni de porter atteinte à leur vie privée. » Le coordinateur scientifique du projet Luis Munoz, professeur à l’université de Cantabrie, estime que la ville met désormais deux à trois jours à résoudre un incident, quand cela pouvait prendre jusqu’à trois semaines avant d’avoir recours à ces nouvelles technologies.
LES LIMITES D'UN MODÈLE
Subventions, le jour d'après
Pour lancer son ambitieux programme, la ville de Santander a bénéficié de fonds européens, mais également du soutien d’universités, comme celle de Cantabrie ou même l’université de Melbourne en Australie. Une manne importante pour installer les capteurs, traiter les données, les mettre en forme pour les partager avec le public (un portail met à disposition plus d’une vingtaine de types de données), et bien sûr développer des applications.
Ces applications ont été développées en 2012 par l’université de Cantabrie. Depuis 2015, elles n’ont pas été mises à jour et le nombre de téléchargements laisse dubitatif : entre 5 000 et 10 000 pour Smart Santander, selon la plate-forme Google play pour androïd (les chiffres pour iOS ne sont pas publics). Ces données laissent à penser que l’engouement – ou la communication – n’est pas au rendez-vous. Mais sur- tout, une collectivité qui se lance dans ce type d’initiative dispose-t-elle des corps de métier capables de maintenir l’opération sur le long terme ? L’application a été développée par des chercheurs de l’université, dont la mission n’est pas de devenir le prestataire de services de la ville. Une fois leur travail de recherche effectué, quels moyens la ville peut-elle allouer pour entretenir l’existant, voire le développer ? Enfin, la collectivité qui se lance dans l’aventure peut-elle le faire seule ? Dispose-t- elle des bons corps de métier pour traiter ces données, et peut-elle assumer cette charge ?