Savoir faire évoluer les dispositifs d'aide publique

La Rédaction

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Je vous ai déjà parlé (en 2007 et 2008) de ce dispositif du FIACRE Rhône-Alpes (Fonds d'aide aux initiatives artistiques et culturelles). Créé en 2006 après la crise des intermittents et le constat de la faiblesse de la diffusion et des publics touchés dans certains secteurs, il permet d'aider tous les ans environ 90 projets de médiation artistique et culturelle grâce au Conseil Régional, qui se fait assister d'un comité de pilotage associant des professionnels de divers horizons. L'idée était de s'adresser à davantage de personnes avec de nouvelles formes de rapport au public, mais sans rien céder à l'exigence artistique.

C'est tout à l'honneur de cette collectivité que de savoir prendre un peu de distance de temps à autre pour tenter une évaluation collective de ce dispositif qui garde tout son sens mais sur lequel il est bon de revenir régulièrement en le questionnant  : pourquoi semble-t-on assister à un nombre moins important de demandes ? Pourquoi les vrais projets de qualité sont-ils trop rares et les expériences menées bien fragiles ?  Les critères de financement (limité à 30% du coût du projet) sont-ils trop contraignants pour faire levier, convient-il de moins disperser les aides ? certains territoires de la région, un peu oubliés, ne doivent-ils pas faire l'objet de propositions plus incitatives ? comment développer les projets dans certains secteurs (cinéma, livre, arts plastiques, patrimoine) et  éviter « l'effet guichet » (le fonds ne peut théoriquement être sollicité plus de trois fois) ? les aides doivent-elles être réservées aux compagnies artistiques et associations culturelles, ou attribuées à des projets spécifiques de scènes régionales déjà aidées pour leur fonctionnement ?

Une réunion récente a permis, pour nous éclairer,  d'entendre des retours de certains bénéficiaires du fonds, au moyen d'auditions.

Anne Courel,  par exemple. Elle a d'abord travaillé en milieu rural à la Maison du théâtre à Jasseron (Ain), puis à Bourgoin-Jallieu en résidence au théâtre Jean Vilar, avec notamment un projet à l'échelle de la ville autour du thème de l'adolescence et de l'errance : de nombreuses personnes de tous âges et niveaux confondus ont alors participé à des ateliers et apporté leur contribution au projet. Elle a ensuite pris la direction du Centre culturel Théo Argence de Villefranche : la Fabrique de Théâtre a créé un lien étroit entre les habitants, les auteurs de théâtre, les professionnels du spectacle vivant, la Cie et le centre culturel. Ce laboratoire a offert à tous la possibilité d'aborder les parties les plus méconnues et "réservées" de la création artistique : l'écriture, les répétitions, la logistique, la technique, etc., et d'approcher très concrètement la création "en train de se faire". L'oeuvre se met là à exister au travers de la rencontre.

Anne Courel insiste sur le temps qui est nécessaire, sur la durée de la présence artistique pour permettre de créer ce qui ne se voit pas, ce qui n'est pas forcément prévu à l'avance, cette sorte de laboratoire permettant de créer le désir, de nourrir petit à petit  la rencontre entre la création artistique et les habitants, en embarquant parfois des gens dans un processus de création où la démarche est aussi importante que le rendu final. Et puis, après un projet, elle explique comment il faut savoir repartir à zéro, en reconstituant de nouveaux groupes.. « Il vous faut financer aussi « l'invisible », nous dit Anne Courel !

Cependant, l'institution régionale ne peut pas se positionner sur une simple note d'intention que si l'artiste ou la scène n'est  pas déjà « repérée » par ses services. C'est là que l'avis des autres partenaires (ville, interco, CG) et donc la coopération entre les niveaux de collectivités peut prendre son sens en permettant de savoir ce qui a déjà pu être tissé sur le territoire. Pour autant la logique « multi-guichets » apparait parfois pesante pour les compagnies qui doivent monter de multiples dossiers, et il convient d'unifier les demandes d(aide financière.

Autre témoignage, celui de la Compagnie Autochtone, créée en 2007 par d'anciens élèves de l'ENSATT et du CRR de Chambéry, qui tente d'amener l'art au plus près des spectateurs. Les jeunes mènent régulièrement des Brigades d'intervention poétiques et diffusent des créations théâtrales dans la Combe de Savoie, tant dans les écoles maternelles et primaires dans les maisons de retraite et hôpitaux que dans les bibliothèques ou sur la place des villages, cela de façon exigeante (ce n'est pas de l'animation), avec des publics peu habitués au théâtre, parfois mal à l'aise par rapport au répertoire mais qui sont respectés et invités à un pot après le spectacle pour dire qu'ils ont aimé...ou pas aimé.

A l'image de ces projets (et d'autres que je ne développe pas ici, auprès de publics en institution), on voit que nombre d'artistes  ont moins peur des territoires, et que le FIACRE doit pouvoir répondre à des projets de nature assez différente.

Plusieurs pistes de réflexion ressortent de cette évaluation :
1/ une aide au montage des dossiers et un pour certains dossiers un engagement institutionnel pluriannuel (trois ans ?) pour favoriser un meilleur ancrage des équipes sur des territoires ;

2/ l'identification de quelques territoires « éloignés » où l'aide au montage de véritables projets de médiation et le soutien financier seraient plus conséquents, de nature à faire levier auprès des autres collectivités timides ;

3/ assumer le fait qu'une institution artistique déjà aidée pour son fonctionnement par la Région puisse être aussi aidée au titre du FIACRE si elle défend un projet de médiation de qualité (allant au-delà de la rencontre pré-spectacle et de l'école du spectateur).

4/ le soutien possible à des projets dit participatifs (ceux qui favorisent la rencontre entre un artiste et une population, comme ceux qui génèrent de l'activité autour d'un artiste), pour autant que l'exigence artistique soit au rendez-vous et qu'il existe de vrais relais professionnels sur le territoire.

Il revient dorénavant aux services et aux  élus du Conseil régional de se saisir de ces perspectives et de définir l'évolution de ce dispositif, prouvant par là qu'aucun dispositif n'a de sens s'il n'est pas sans cesse réévalué à la lumière de l'expérience concrète et du contexte qui évolue.

François Deschamps

Photo : Cie Ariadne (Anne Courel)

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