Sébastien Dathané : "Aider à la décision dans un monde complexe"

Bruno Cohen-Bacrie

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Sébastien Dathané :

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© Datha Network

Quand les procédures prennent le pas sur l’innovation, quand le conformisme l’emporte sur le droit à l’erreur, quand le management à distance l’emporte sur le travail de proximité, on va dans le mur. C’est ce qu’explique Sébastien Dathané, qui travaille depuis de nombreuses années sur le problème de la décision. Entretien avec quelqu’un qui essaie de fournir un " manuel d’utilisation " du décideur.

Pourquoi vous pencher sur le processus de décision ? C’est un thème assez rare…

Je travaille depuis longtemps sur le comportement du consommateur de vins et spiritueux. Contrairement aux idées reçues, la grande majorité des acheteurs sont plus influencés par des critères subjectifs comme l’image de la marque ou le packaging que par la recherche du bon ratio qualité/prix. Quand j’ai voulu me pencher plus sérieusement sur ces mécanismes décisionnels, j’ai constaté que les quelques ouvrages rédigés en Français portaient surtout sur les outils d’aide à la décision et beaucoup moins sur le « manuel d’utilisation » du décideur. J’ai donc entamé un voyage de trois ans à la recherche de bonnes pratiques et attitudes propices à prendre des décisions plus abouties.

Vous écrivez qu’il n’y a pas de décision sans contexte…

On s’appuie souvent sur une idée fausse de la manière dont nous prenons nos décisions : nous pensons toujours agir de la même manière, indépendamment de ce qui se passe autour de nous, un peu comme le ferait un ordinateur qui suit une instruction. Or, contrairement à nos compagnons numériques, il suffit d’une simple modification du contexte pour que notre comportement change diamétralement. Ainsi, nous pourrions procéder à un choix très différent si la température de la pièce venait à monter soudainement ou si une personne que l’on n’attendait pas entrait dans la pièce. Au moment de décider, la liste des influences est infinie et ces facteurs sont très largement ignorés. Mais le plus problématique concerne l’après-décision, en particulier si les résultats attendus prennent corps dans un futur lointain, comme pour les investissements au long cours. Nous sommes fondamentalement mauvais lorsque nous devons estimer l’évolution du contexte et des stratégies qui en découlent, ce qui explique le nombre important d’accidents industriels.

Nous pensons toujours agir de la même manière, indépendamment de ce qui se passe autour de nous, un peu comme le ferait un ordinateur qui suit une instruction.

Au lieu d’essayer de chercher à contrôler le futur – ce qui relève de la perte de temps –, il s’avère plus payant de se mettre en ordre de marche pour saisir les opportunités qui s’offrent à nous, en cours de route.
Au fond, la bonne attitude nous est apportée par le monde anglo-saxon qui, à travers l’expression decision making, suggère de « fabriquer » les décisions en fonction de l’environnement et du contexte.

Quelles seraient pour vous les conditions pour mieux décider demain ?

La première étape est de tourner la page du cartésianisme. René Descartes figure comme un des grands penseurs français, mais il évoluait au XVIIe siècle. Depuis, beaucoup de choses ont changé, en particulier avec l’émergence des nouvelles technologies et de la mondialisation. Le monde actuel nous confronte à une incertitude permanente face à laquelle une approche de type séquentiel et rationnel ne nous est pas d’une grande utilité. Au mieux, elle permet de comprendre ce qui s’est passé mais pas d’anticiper sur l’évolution du système, par définition chaotique.

En France, nous croyons encore qu’il suffit de mettre d’importants moyens pour assurer la réussite de projets, quelle que soit l’évolution du contexte.

Face à la complexité, il ne faut pas chercher à simplifier, plutôt à se montrer agile et préférer des engagements modulables et réversibles aux décisions définitives et lourdes. Certaines cultures (asiatiques ou américaines) sont à l’aise avec ces approches. C’est plus difficile en France,où nous croyons encore qu’il suffit de mettre d’importants moyens pour assurer la réussite de projets, quelle que soit l’évolution du contexte. Au lieu de continuer à croire que nous pouvons tout contrôler, il nous faut apprendre à apprécier le risque, le droit à l’erreur et le changement qui s’affichent comme trois paramètres sur lesquels s’appuient la plupart des bons décideurs.

Un processus ancien
« En réalité, l’histoire de la décision se révèle aussi ancienne que l’histoire de l’Humanité. Accordons au chinois Lao-Tseu (moins 600 ans avant Jésus Christ) les premières réflexions significatives sur le processus de décision, particulièrement dans son approche du « non-agir ». Chaque étape-clé de notre évolution résulte systématiquement d’une décision d’un ou plusieurs de nos ancêtres. Ce constat s’applique aussi à nos propres vies : les décisions que nous prenons (ou pas) nous définissent plus que toutes autres considérations. C’est la raison pour laquelle le domaine de la décision a toujours passionné de grands penseurs et couvre un large champ de disciplines comme la biologie, les neurosciences, la psychologie, les mathématiques, etc. »

Comment jugez-vous les politiques managériales aujourd’hui ?

Globalement, je perçois une dégradation des comportements managériaux, en particulier dans les organisations de grande taille. Les procédures prennent le pas sur l’innovation ; le conformisme sur le droit à l’erreur et le management à distance sur le travail de proximité. Sur ce dernier point, l’usage des nouvelles technologies mériterait d’être très profondément revu car de plus en plus de managers utilisent la communication physique (réunion, travail en tête à tête) pour délivrer des messages neutres ou factuels et se cachent derrière les courriels ou les SMS pour régler des situations de nature plus émotionnelle, comme un conflit ou la conduite de changement.

De plus en plus de managers se cachent derrière les courriels ou les SMS pour régler des situations conflit ou la conduite de changement.

La pratique qui consiste par exemple à évoquer un problème avec un collaborateur par courriel produit des résultats catastrophiques, en particulier si la moitié de l’organisation est placée en copie du message. D’une part, ces conduites alimentent ce sentiment grandissant de beaucoup de salariés de crouler sous les messages, pour partie ne les concernant pas directement. D’autre part, et c’est plus grave, le collaborateur mis en cause ressent généralement un stress d’une autre nature que si le manager avait pris la peine de le rencontrer et d’avoir une explication avec lui, aussi désagréable soit-elle. Quant à ce manager, il « pollue » le système d’information de l’entreprise et montre surtout une absence de courage. De fait, il perd de la crédibilité auprès de ses équipes qui n’auront pas nécessairement envie de lui être fidèles lorsque la situation obligera à trancher.

La communication de proximité, c’est donc la clé ?

En réalité, le management moderne doit s’inspirer profondément des… tribus ancestrales. À savoir : un(e) chef bien identifié(e) et physiquement présent(e) ; des règles du jeu claires et justes et enfin des équipes composées d’hommes et de femmes, de jeunes et d’anciens et de diversité culturelle pour aborder les situations avec la meilleure acuité possible. Généralement, les organisations qui fonctionnent bien appliquent – sans toujours le savoir – ce management de type « tribu ». Et cette approche sera certainement de plus en plus payante à mesure que le monde va se complexifier.

 MINI CV
Juriste de formation et diplômé en psychologie, Sébastien Dathané travaille depuis de nombreuses années sur le problème de la décision. Cadre dirigeant pendant quinze ans dans différentes structures (organisation professionnelle, start-up, association), il est aujourd’hui consultant, formateur et conférencier. Il intervient dans de nombreuses écoles et universités et s’investit dans plusieurs structures en relation avec le monde des PME/TPE.
Décider dans un monde complexe, Sébastien Dathané, Maxima éditions, 2015.

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