CLICK_vote
© Spectral-Design
Il n’aura échappé à personne que les démarches administratives passent de plus en plus souvent par le web. On pourrait croire, un peu de l’extérieur, qu’il ne s’agit que d’une adaptation progressive d’un service à son époque. C’est oublier que certaines personnes âgées n’ont pas sauté avec une agilité comparable aux jeunes dans le train du numérique. Certaines en ignoreraient presque l’existence.
Il faudrait quelqu’un qui peut être une ressource quand on est en panne, mais une personne, pas un disque.
Sur France 3, Marie-Françoise Fuchs, de l’association Old-up (dont la devise est piquante, « Plus si jeunes mais pas si vieux »), monte au créneau pour dénoncer le renforcement de cette fracture numérique, dont sont victimes les personnes âgées. « Il faudrait quelqu’un qui peut être une ressource quand on est en panne, mais quelqu’un d’atteignable, une personne, pas un disque », assure cette retraitée de 84 ans plus qu’active.
La clarté troublante de la direction des finances des Alpes-Maritimes
Le numérique se déploie dans les communes, il est généralisé à Pôle emploi, à la Sécurité sociale ou encore aux impôts. La dématérialisation des services publics est une source importante d’économies, mais cette marche en avant semble avoir complètement zappé ceux pour qui internet reste une réalité très en deçà de la conceptualisation. Si internet offre en effet une facilité de liaison avec les services publics pour ceux qui en ont une pratique même minimale, il n’est pas prévu que le service public se bunkérise au point de n’être plus que dans une relation digitale avec le public.
Les agents des impôts ont désormais pour projet professionnel d’être… injoignables !
Un bras de fer s’engage, même s’il n’est pas officiellement désigné. Son scénario le plus parlant se déroule au service des impôts des Alpes-Maritimes où la volonté est clairement de dissuader les usagers d’avoir un contact physique et même téléphonique avec le centre. Après avoir édicté, en octobre 2015, un mode d’emploi pour éviter le passage physique par le centre, les agents des impôts ont désormais pour projet professionnel d’être… injoignables ! En effet, dans un mail révélé par France Bleu Azur, la direction des finances des Alpes-Maritimes encourage les agents à paramétrer leur boîte vocale pour faire en sorte que les usagers soient dans l’impossibilité technique de laisser un message !
Plus d’internet, moins d’agents ?
La radio locale a eu le plaisir de parcourir cette note interne gratinée, expédiée par e-mail le 11 décembre 2015, à tous les chefs de service des impôts des particuliers dans les Alpes-Maritimes. Le cabinet du directeur départemental suggère même de faire tourner en boucle pour les usagers ce délicieux message que nous aimons tous tant : « Centre des finances publiques, bonjour, toutes nos lignes sont occupées, veuillez rappeler ultérieurement. Pour toutes vos démarches, vous pouvez vous connecter à impots.gouv.fr. ». On ne peut être plus clair. En octobre dernier, la note interne n’avait pas fait dans l’ambiguïté puisqu’il s’agissait clairement de « décourager les usagers de venir aux guichets ».
Bien sûr, ce ne sont pas les agents des impôts qui, cyniquement, préféreraient jouer à la belote plutôt que de faire le job ; en fait, internet doit progressivement remplacer les 45 postes potentiellement supprimables en 2016, mesure qui suscite l’ire des salariés.
Les personnes âgées de plus en plus connectées
Le cas des impôts haut-alpins préfigure-t-il une disparition du lien physique et téléphonique ? Cette disparition, dans le cadre d’un service public, est-elle même ne serait-ce qu’envisageable ? Toutes les études démontrent que les personnes âgées, tant s’en faut, ne vivent pas en marge de la société numérique.
Pour les générations nées avant 1930, le taux d’internautes reste inférieur à 9 %.
« En 2012, trois personnes sur quatre résidant en France métropolitaine ont utilisé internet au cours des trois derniers mois, contre seulement 56 % en 2007 », écrit l’Insee dans une étude publiée en juin 2013 ((L’internet de plus en plus prisé, l’internaute de plus en plus mobile – Insee Première n° 1452 – Juin 2013.)). « Pour les générations nées après 1990, la proportion d’internautes, proches de 100 %, a gagné 8 points en cinq ans (Ndlr, 2007 à 2012). Parmi les générations nées entre 1930 et 1990, elle a progressé d’environ 15 points. Pour les générations nées avant 1930, le taux d’internautes évolue peu et reste inférieur à 9 % », peut-on encore lire.
Et la forme des messages numériques ?
Les personnes âgées ne traînent donc pas les savates face à internet. Dès 2010, le Credoc assurait que 62 % des plus de 70 ans contre 45 % en 2008 disposaient d’un ordinateur à domicile. Mais cette marche en avant ne justifie pas une forme de dédouanement. Il n’est pas concevable que des personnes, âgées ou pas d’ailleurs, soient contraintes de ne passer que par un seul chenal de relation à l’administration. Il s’agit donc de préserver l’équilibre du choix : les personnes âgées sont plus éloignées d’internet que les jeunes générations mais rien ne les empêche de franchir le gué.
Entre jeune et personne âgée, il est difficile de trouver le portail d’entrée le plus adapté.
Par exemple, les maisons de retraite ont pris la décision de s’engager dans la révolution numérique. La plateforme wehpa.fr a été conçue pour les établissements eux-mêmes. Chaque résident a la possibilité de recevoir un message et de contribuer à la rédaction d’un certain nombre d’articles sur le site. « Un autre chantier reste à mener, c’est celui de l’adaptation des écrans et de la forme du message public aux personnes âgées », affirme Bruno Albini, webmaster dans une communauté de communes de l’Isère. « Entre un jeune très au fait des subtilités digitales et une personne âgée confrontée à une multitude de propositions, il est difficile de trouver le portail d’entrée le plus adapté », poursuit-il.
Refuser l’unilatéralité numérique
Cette phase n’est-elle que transitoire ? On peut le supposer. Avec le développement à venir de l’e-thérapie, et le fait que la prochaine génération qui en sera la véritable première bénéficiaire aura un niveau de maturité numérique suffisamment élevé, l’impréparation technique des usagers du service public ne sera plus un thème central.
Le développement des soutiens aux personnes déconnectées du numérique ne remet-il pas en cause la notion de protection de la vie privée ?
Les questionnements viendront d’ailleurs et seront multiples : comment intégrer le refus des réfractaires absolus à internet ? Comment gérer l’urgence ? Comment combler l’absence de relations humaines ? Un formulaire suffit-il à expliciter des situations complexes, notamment pour les personnes en situation d’analphabétisme ou d’illettrisme ? Le développement des soutiens aux personnes déconnectées du numérique ne remet-il pas en cause la notion de protection de la vie privée ? La liste des questions est aussi étendue qu’est profond le champ d’un débat qui ne fait que s’ouvrir…