Person steht auf dem Asphalt
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L’ère de la ''sobriété foncière'' a-t-elle sonné ? Il le faudrait mais la règle du zéro artificialisation nette ne va pas s’imposer de sitôt. Si l’État n’est pas pressé, les territoires prennent les devants.
L’artificialisation des sols est l’une des causes majeures du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité. Fait aggravant, cette artificialisation augmente quatre fois plus vite que la population, alors qu’on tente de limiter l’étalement urbain depuis des années à coup de Scot (schémas de cohérence territoriale) et de PLU (plans locaux d’urbanisme). Si la tendance se poursuit, les territoires seront incapables de relever les enjeux environnementaux et d’obérer tout espoir d’une résilience alimentaire dans le périurbain.
Les territoires veulent trouver sans attendre l’ingénierie et les méthodes pour faire évoluer leurs pratiques
Le projet de loi Climat et résilience veut diviser par deux le rythme de l’artificialisation d’ici à 2030 et atteindre le zéro artificialisation nette en 2050. Pour remplir ces objectifs ambitieux et désimperméabiliser autant que possible, les territoires veulent aussi trouver, sans attendre, l’ingénierie et les méthodes pour faire évoluer leurs pratiques.
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Une étude R&D pour déboucher sur du concret
Impacté à la fois par les épisodes cévenols et les fortes chaleurs, le Grand Narbonne revégétalise depuis 2017 des espaces artificiels pour assurer une meilleure infiltration des eaux de pluie et recréer des îlots de fraîcheur. Mais les prévisions alarmantes de son plan climat invitent l’EPCI (établissement public de coopération intercommunale) à accélérer cette démarche. Comment être efficace avec des budgets raisonnables ? Démuni, le Grand Narbonne se tourne vers le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) pour identifier les espaces à désartificialiser.
Le Grand Narbonne veut réduire de moitié l’urbanisation des sols, 90 ha par an sur les dix dernières années
« Nous avons été surpris de découvrir qu’il n’y avait jamais eu d’étude menée sur des territoires aussi vastes. Nous étions à la limite de la R&D [recherche et développement, ndlr] », commente Damien Van Gastel, directeur de l’aménagement durable du territoire. Les spécialistes identifient les points noirs du territoire, comme certaines zones d’activités économiques qui ont un taux d’imperméabilisation de plus de 80 %.
En 2020, le Grand Narbonne lance un appel à projets auprès des communes volontaires, qui ont la main sur leurs espaces publics. Facilitateur, l’EPCI monte les dossiers auprès de l’agence de l’eau qui apporte un concours financier substantiel aux opérations de désimperméalisation. Il finance aussi les études géologiques préalables, ce qui représente un budget de 60 000 euros par an.
Un SIG pour mieux voir la réalité
Dès cette année, des actions concrètes vont sortir avec des projets de débitumisation de places de villages et de cours d’école. « Nous n’avons pas d’objectifs chiffrés, nous sommes encore dans des étapes de pédagogie et de sensibilisation, mais qui commencent à porter leurs fruits », se félicite Jean-Louis Rio, vice-président en charge du logement, de l’urbanisme, de l’aménagement du territoire.
Le Grand Narbonne veut réduire de moitié l’urbanisation des sols, 90 ha par an sur les dix dernières années, un enjeu très compliqué pour un territoire attractif qui gagne 1 000 habitants par an. Mais il n’entend pas naviguer à vue et va s’outiller d’un SIG (système d’information géographique) qui suivra de près l’artificialisation des sols à l’aide de photos aériennes. « Le bilan tous les deux ans de l’artificialisation des sols sera aussi un moyen d’alerter les communes en cas de consommation foncière excessive. »
« Il y a une époque où les entreprises construisaient 300 m2 d’espace économique sur une emprise de 6 000 m2 en se disant qu’elles allaient s’agrandir »
Un moyen plus sûr aussi de se conformer au Sdage (schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux) Rhône Méditerranée qui préconise depuis 2016 « de désimperméabiliser 1,5 ha du stock perméable pour 1 ha imperméabilisé », rappelle Laurent Roy, directeur de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse.
L’agglomération du Pays de Dreux anticipe « l’après-Scot »
« Il y a une époque où les entreprises construisaient 300 m2 d’espace économique sur une emprise de 6 000 m2 en se disant qu’elles allaient s’agrandir », rappelle Émilie Neveu-Martins, directrice adjointe du pôle développement économique de la communauté d’agglomération du Pays de Dreux. Ce temps-là est révolu. Du moins, la communauté d’agglomération (CA) le voudrait, car l’ingénierie locale est arrivée au bout de ses possibilités. « Nous nous sommes dotés de Scot, de PLU. L’agglomération mène une politique ambitieuse de résorption de friches, mais cela ne suffit pas. Il faut faire autre chose : nous avons aussi des enjeux importants de diversification de notre agriculture avec des plans alimentaires de territoires (PAT) qui sont en train de voir le jour », indique Émilie Neveu-Martins.
Pour imaginer « l’après-Scot, quand il n’y aura plus de foncier disponible », dixit la directrice adjointe, la CA a répondu à l’appel à manifestation d’intérêt « Territoires pilotes de sobriété foncière ». L’État a ciblé pour cette expérimentation des villes et agglomérations Action cœur de ville (ACV) volontaires dans leur stratégie « zéro artificialisation nette ». Sept territoires sont lauréats dont l’agglomération de l’Eure-et-Loir. « L’intérêt de ce projet est qu’il y a un effet masse, et que plusieurs territoires vont se faire accompagner par des gens de bon niveau pour essayer de faire autrement », se félicite Émilie Neveu-Martins.
L’assistance à maîtrise d’ouvrage locale permettra d’identifier le « foncier invisible » sur des friches ou des propriétés privées
Pendant un peu plus de deux ans, les sept territoires vont profiter d’un accompagnement technique de l’État, de l’agence interministérielle Puca (plan urbanisme construction architecture), et des lumières de l’urbaniste Sylvain Grisot, défenseur du concept d’urbanisme circulaire. L’État prend également en charge les frais de l’assistance à maîtrise d’ouvrage locale, qui devra identifier le « foncier invisible » sur des friches ou des propriétés privées. « C’est un travail de fourmis quand vous travaillez à l’échelle de 81 communes, soit plus de 1 000 km2. Un outil est en train d’être développé par le Cerema pour essayer d’automatiser les recherches foncières », annonce Émilie Neveu-Martins. Une fois identifié sous toutes les coutures, ce foncier va ensuite servir de réceptacle à de multiples projets potentiels. Se posera alors la question de la programmation et de l’intensification des usages notamment sur les zones économiques.
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Un projet de loi trop laxiste ?
Le projet de loi Climat et résilience est-il suffisamment contraignant en matière de sobriété foncière ? Les associations militantes lui reprochent de donner un blanc-seing aux centres commerciaux de plus de 10 000 m2 et aux entrepôts de plateformes d’e-commerce. Sur le volet « compensation », les Amis de la Terre regrettent un manque d’engagements : les « objectifs de réduction de l’artificialisation » ne seront pas annoncés avant 2030.
« Nous, nous parlons de sobriété foncière, et nous nous reconnaissons mieux dans ce terme-là »
En attendant, les collectivités et EPCI devront simplement identifier « des zones de renaturation et de désimperméabilisation » dans leurs documents d’urbanisme. Enfin, la notion de « zéro artificialisation nette », issue du plan « biodiversité » de 2018, continue d’interroger. « Personne n’a bien compris la définition de ce qui est donné à tout ça. Alors nous, nous parlons de sobriété foncière, et nous nous reconnaissons mieux dans ce terme-là », reconnaît Émilie Neveu-Martins.