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À l’heure où les conflits se multiplient entre les zadistes et les porteurs de grands projets, comme à Notre-Dame-des-Landes ou à Sivens, quelques voix s’élèvent pour demander à sortir de l’ornière « proprement ». L’enfouissement en cours de la gare de Stuttgart en Allemagne est-il un bon exemple ?
Sur le papier, le projet avait de l’allure : refondre complètement la gare de Stuttgart, dans le Land de Bade-Wurtemberg, pour en faire le cœur du rail européen. C’est notamment par cette gare que doit passer la ligne à grande vitesse reliant Paris à Budapest. Enfouie sous terre pour gagner du terrain en surface et construire de nouveaux quartiers, la gare passera du statut de terminus à gare de passage souterraine. Lignes à grande vitesse, liens renforcés entre les réseaux de transport de la ville et aménagement d’un tunnel entre l’aéroport et le centre sont au programme.
La résistance enfle
L’actuelle gare est un emblème de Stuttgart : sa destruction partielle en surface promet de bouleverser considérablement le paysage urbain et le coût de l’opération, près de 5 milliards d’euros (coût réévalué en 2013 à 6,8 milliards d’euros), a fait tiquer plus d’un contribuable.
Située dans la principale zone piétonne du centre-ville, la gare est un repère grâce à sa tour de douze étages surmontée de l’étoile rotative de la marque Mercedes, et l’un des derniers exemples d’architecture de 1920, classé monument historique. Le projet Stuttgart 21 prévoit de l’amputer de deux ailes et de son escalier principal dans le grand hall des guichets, réduisant de moitié la longueur de sa façade. Les travaux devraient prendre fin en 2020.
La résistance a vite enflé. Si, d’un côté, les pro envisagent cet ambitieux projet comme un moyen d’augmenter l’attractivité économique de la région et de libérer du terrain en surface, de l’autre côté les anti soulignent le coût exorbitant de l’opération et son impact écologique. Le projet nécessite des forages de tunnels dans des zones protégées, la destruction d’un monument architectural historique – la gare – et d’un parc adjacent.
En octobre 2010, décideurs et opposants décident de nommer un arbitre indépendant, dont la qualité est d’être reconnu et apprécié des deux parties.
Dès le lancement du projet en 2010, des manifestations sont organisées tous les lundis, rassemblant d’un millier à 20 000 personnes. Le week-end, d’autres manifestations attirent jusqu’à 150 000 participants. Les contestataires investissent le parc adjacent pour empêcher la coupe des arbres. Organisés, ils élaborent un projet alternatif appelé Kopfbahnhof 21 ((www.kopfbahnhof-21.de)), plus économique et respectueux de l’environnement.
Au fil des semaines, les heurts avec les forces de l’ordre se multipliant, décideurs et opposants se retrouvent autour d’une table. En octobre 2010, ils décident de nommer un arbitre indépendant, dont la qualité est d’être reconnu et apprécié des deux parties : Heiner Geißler, ancien secrétaire général de la CDU (Union chrétienne-démocrate) et membre du mouvement Attac.
Les urnes parlent
L’homme va se donner trois semaines pour organiser un débat public retransmis par la télévision locale. À l’issue de ce temps de discussion, où chaque partie a pu s’exprimer, puis d’un « stress test » pour vérifier si la gare peut supporter un afflux plus grand de passagers, un référendum est proposé. La question est : « Êtes-vous pour la résiliation du contrat de financement du projet ? ». Le verdict tombe comme un couperet pour les opposants, qui n’obtiennent que 41,2 % des suffrages. Les travaux peuvent reprendre.
Chose surprenante, quelques mois avant le référendum, une coalition Gauche/Verts résolument opposée à Stuttgart 21 avait remporté les élections locales. Winfried Kretschmann, à la tête du Land, doit reconnaître sa défaite et mène aujourd’hui le projet contre lequel il a farouchement lutté… mais les urnes ont parlé.
On pourrait croire que cette sortie de crise, obtenue grâce à une bonne injection de démocratie participative, a mis fin à toute contestation, mais ce n’est pas le cas.
On pourrait croire que cette sortie de crise, obtenue grâce à une bonne injection de démocratie participative, a mis fin à toute contestation, mais ce n’est pas le cas. Certes, le projet a pu reprendre et la pédagogie de la Deutsche Bahn (la SNCF allemande) se veut exemplaire, au moyen d’une grande exposition expliquant le déroulement des travaux et d’un concours proposant aux habitants d’exprimer leurs idées quant à l’utilisation faite des 100 hectares libérés en surface.
Toutefois, les manifestations du lundi perdurent (plus de 200 au compteur) et le site Kopfbahnhof 21 poursuit sa lutte, surveillant l’avancement des travaux, les implications des politiciens et soulignant les dépassements faramineux. La vraie victoire des opposants est en fait ailleurs : depuis cette date, plus aucun projet en Allemagne ne peut se faire sans prendre un vrai temps de discussion avec le public.
En France, les ZAD se multiplient
« La ZAD est partout », dit le slogan. Réunissant plus ou moins de contestataires, il est vrai qu’un grand nombre de projets déchaînent les passions. Les ZAD, acronyme de « zones d’aménagement différé » pour l’administration française, se muent en « zones à défendre » pour les milliers de citoyens qui se mobilisent contre ces projets commerciaux ou d’infrastructures d’envergure. Derrière les plus emblématiques, Notre-Dame-des-Landes et le barrage de Sivens, se trouvent une multitude d’autres projets qui rencontrent également de fortes résistances. Le projet isérois de Center Parcs, à Roybon, est la nouvelle coqueluche des médias qui le présentent comme la dernière ZAD à suivre. On peut également citer d’autres zones sensibles : le projet de création d’un cimetière sous-terrain de déchets radioactifs à Bure, dans la Meuse ; l’autoroute à péage 2x2 voies pour contourner Strasbourg ; la ferme des 1 000 vaches de la Somme ; l’extension d’une zone commerciale sur l’une des toutes dernières zones de maraîchage en Ile-de-France dans les Yvelines, etc. En tout, une vingtaine de projets en cours seraient en délicatesse avec une partie de la population locale. Des projets où les pouvoirs publics devront agir avec dextérité pour éviter de s’embourber dans un conflit interminable et fastidieux, qui ne réussirait à personne.
Démocratie participative : si on utilisait les outils existants ?
Même le Président François Hollande le reconnaît : finalement, en cas de conflit sur un projet, la démocratie participative aurait du bon. À vrai dire, il serait déjà possible d’utiliser les outils existants pour améliorer la communication entre les citoyens et les porteurs de projets visant à bouleverser un territoire, soit dans son agencement, soit écologiquement. Depuis 2004, une loi ((Loi n° 2004-809 du 13 août 2004, article 122.)) permet de consulter directement la population : un dixième des électeurs peuvent susciter un débat de la collectivité locale sur une affaire relevant de l’assemblée de celle-ci. Les enquêtes publiques sont un autre moyen de consulter la population, mais cela fonctionne seulement si les conclusions sont intégrées dans la mise en œuvre du projet. Souvent, c’est à ce stade que le bât blesse. S’il arrive que ces procédures soient engagées, que ce soit à l’initiative de la collectivité ou de citoyens, les conclusions n’ont que trop rarement été écoutées et intégrées. Ainsi, à Roybon en Isère, la commission d’enquête publique a émis à l’unanimité un avis défavorable au projet de Center Parcs. Ce qui n’a pas empêché le préfet et le président du conseil général d’engager les travaux de destruction pour aménager le centre de vacances. Le 27 novembre, lors de la Conférence environnementale, François Hollande déclarait que les procédures devaient être renforcées et qu’il fallait « assurer la transparence. » Aussi, il compte lancer un chantier sur la démocratie participative. Une vraie démocratie participative ? Affaire à suivre…