S’empêcher de penser
Les premières défenses relevées au travail ont été des défenses individuelles et la plus anciennement décrite fut celle mise en lumière à partir de ce qu’impose aux individus un travail répétitif. Le travail répétitif, surtout lorsqu’il est encadré par des contraintes de temps est en contradiction avec une vie mentale spontanée, faite de pensée et de rêverie. Pour tenir, il sera nécessaire alors de réprimer cette activité psychique spontanée, pour ne pas « perdre la cadence ». Ne pas penser, ne pas rêver mais, quand cela ne suffit plus, il faut recourir à un autre type de stratégie défensive pour chasser la pensée : l’« auto-accélération ». Accélérer le travail, cela permet de ne plus avoir d’avis sur ce qu’on fait.Cependant, s’empêcher de penser a un coût psychique. Cette stratégie d’« auto-accélération » concerne toutes les catégories socioprofessionnelles. L’activisme des cadres, relevant des mêmes mécanismes psychologiques, permet ainsi de suspendre la pensée, le jugement et de garder une attitude professionnelle, en particulier quand les situations de travail deviennent coûteuses sur le plan éthique (par exemple accélérer le traitement des dossiers peut aider à « oublier » ou mettre à distance les personnes que l’on doit accueillir).Stratégies collectives
En tant qu’activité d’ensemble, le travail génère également la construction de stratégies collectives de défense. Les premières à avoir été décrites sont celles des métiers dits dangereux, là où le danger est connu et reconnu par ceux qui travaillent. Ici encore, toutes les catégories socioprofessionnelles sont concernées. Elles reposent, pour la majorité d’entre elles, sur un déni du danger encouru physiquement (prises de risque, conduites périlleuses par exemple) ou psychiquement (la perte de son identité éthique en contribuant à faire un travail que moralement on peut réprouver par exemple).En tant qu’activité collective, le travail génère également la construction de stratégies collectives de défense.
Défenses féminines
Mais les femmes et les hommes ne se débrouillent pas de la même façon avec la souffrance… Des stratégies défensives d’un autre type ont été mises en évidence dans des collectifs féminins. Elles ne reposent non pas tant sur le déni du danger et de la souffrance que sur sa domestication par une « mise en mots ».L’adage est bien connu… les femmes sont bavardes, mais ces « bavardages », loin d’être inutiles, servent en fait le travail bien fait et limitent l’impact individuel de la souffrance. Il s’agit de créer, comme dans les métiers d’aide, une communauté de partage de la souffrance, du doute, de la peur, du dégoût pour parvenir à les surmonter en équipe. Si les stratégies défensives sont différentes d’un sexe à l’autre, ce n’est pas parce que les femmes sont d’une nature différente, mais parce qu’en raison de la division sexuelle du travail, l’expression de la souffrance n’est pas similaire des deux côtés. Les attendus et les enjeux autour du travail pour les deux sexes ne sont pas les mêmes. Alors que la virilité, la maîtrise est attendue chez l’homme, elle est plus problématique du côté des femmes desquelles on attend discrétion et tempérance. Selon que l’on est un homme ou une femme, on ne traite pas le travail de la même manière et on n’est pas touché par le travail de manière identique. La souffrance initiale au travail est différente entre les hommes et les femmes… la manière de s’en défendre ne peut donc pas être identique ! Il n’est ici pas question d’une nature de sexe différente, mais bien de confrontations différenciées avec le champ social.