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Dans cette ville du nord de l’Indiana qui connaît les mêmes affres de la désindustrialisation, à une moins grande échelle, que sa voisine Detroit, nombreux sont les travailleurs modestes à vivre loin du premier arrêt de bus, ou à devoir composer avec des horaires de travail décalés. Se rendre sur son lieu de travail peut vite tourner au casse-tête.
Dans un journal local, un habitant de South Bend, Carl Laster, confiait marcher près d’un kilomètre et demi pour rejoindre l’arrêt de bus le plus proche. Et le dimanche, aucun bus ne circulant, le prix à débourser pour se rendre au travail grimpe très vite : non véhiculé, il lui reste la solution du taxi ou d’un Uber.
SOUTH BEND
État : Indiana, ville située entre Chicago et Detroit
Population : 101 735 habitants
Maire : Pete Buttigieg, élu pour 4 ans, actuellement dans son second mandat. Élu en 2011 pour la première fois à l’âge de 29 ans avec 74 % des voix : il est le plus jeune maire d’une ville de plus de 100 000 habitants aux États-Unis.
South Bend:est le bastion des démocrates depuis 1972.
Selon l’American Community Survey : pour la période 2011-2015, 28,3 % de la population vit sous le seuil de pauvreté (15,5 % au niveau national).
Pour le maire Pete Buttigieg :
« Les transports fiables et abordables sont un problème fondamental dans la croissance économique inclusive à South Bend. (NDLR : 44 % des personnes vivant sous le seuil de pauvreté sont des Afro-Américains). Nous espérons pouvoir prouver le bien-fondé de notre démarche qui consiste à soutenir les travailleurs les plus fragiles du territoire. Et peut-être pourrons-nous même être capables de faire fructifier cette démarche et de faire tomber d’autres barrières que rencontrent ces travailleurs. »
Exploiter un maximum de données
C’est en prenant conscience que les difficultés de transport étaient le principal écueil au retour à l’emploi que la ville a décidé d’agir. Une première étude révéla que 35 % des travailleurs à bas revenus de South Bend pointaient en premier lieu le manque de transports fiables. Selon la ville, 10 000 habitants seraient concernés.
En réponse à ce problème, la municipalité a choisi de développer une collaboration entre la ville, les employeurs locaux et les compagnies de transport ou de covoiturage, pour aider à améliorer les temps et les trajets des travailleurs.
South Bent s’est attachée à exploiter un maximum de données pour développer son programme. Une combinaison de simulations et d’observations a servi à évaluer la part des habitants à faibles revenus ou à temps partiel ayant recours à un Uber pour arriver à temps au travail.
Combien ces personnes sont-elles prêtes à payer pour se rendre à leur travail ?
Dans le même temps, d’autres paramètres ont été étudiés : combien utilisent les transports en commun, dans quelles conditions ? Ont-ils un accès suffisant aux smartphones et au wifi, et combien ces personnes sont-elles prêtes à payer pour se rendre à leur travail ?
S’adapter aux besoins
Après avoir récolté puis traité ces données, l’équipe a choisi de procéder à un premier essai. Elle a donné à une cohorte de travailleurs des cartes Uber pour qu’ils puissent aller et revenir du travail sans encombre. La première surprise fut de constater que lorsque les employés disposaient de ces cartes, ils se permettaient de rester plus tard au travail. Sûrs de rentrer chez eux sans stress, ils n’avaient plus le nez sur leur montre ou bien ne ressentaient plus le besoin de partir tôt.
Chaque employé dispose de seize cartes Uber utilisables sur une durée de quatre semaines
Dans un premier temps, l’équipe avait envisagé de fournir les employés en cartes Uber pour tous leurs trajets. Mais en discutant avec les participants, ils se sont rendu compte que ces derniers n’en ressentaient pas forcément le besoin. Un second test a donc été mis en place, selon lequel chaque employé dispose de seize cartes Uber utilisables sur une durée de quatre semaines. Ils peuvent ainsi y avoir recours dans les cas critiques, un dimanche, lorsque leur véhicule est en panne ou en cas d’horaire décalé.
Des relations durables avec les plus gros employeurs
À l’heure actuelle, 500 personnes prennent part à l’expérimentation. Pour certains comme Sadia Torres, ce projet « m’a permis de conserver mon travail, car les transports n’étaient pas assez fiables ». Pour son employeur, prestataire de services pour les seniors, la différence est visible même au niveau du moral des employés : « les absences et retards ont diminué de 40 %, estime Carole Muturi, sa manager. C’est énorme, et le nombre d’heures travaillées a fait un bond. Nos employés peuvent travailler plus et gagner plus d’argent ».
Quatre partenaires, les plus gros employeurs de la ville, participent à la phase test. L’idée était effectivement celle-ci : parvenir « à impacter positivement les employés et les employeurs, et par là même la communauté, en disposant d’une force de travail plus stable », déclare Santi Garces, agent en chef de l’innovation sur ce projet.
Les employeurs seront les pourvoyeurs de cet avantage salarial, qui génère des avantages pour leur entreprise
Ce programme a permis à l’équipe municipale d’établir des relations durables avec les plus gros employeurs de la ville. En étant impliqués dès l’origine du projet, ils sont réellement partie prenante. Leur adhésion n’en est que plus forte, assurant une véritable durabilité de l’idée. Car au final, ce sont eux qui, en tant qu’employeurs, seront les pourvoyeurs de cet avantage salarial, qui génère aussi des avantages pour leur entreprise.
À terme, avec le soutien financier d’un million de dollars apporté par la fondation Bloomberg, le programme devrait être déployé sur toute la ville. Il s’agira bien d’un avantage accordé par l’entreprise, qui provoque, comme elles ont pu le constater, une forte baisse de turnover, l’amélioration de la stabilité de l’emploi et pour les salariés, un gain de pouvoir d’achat puisque leurs frais de déplacements sont amoindris.
Une ville récompensée par le Bloomberg US Mayors Challenge 2018
South Bend vient de remporter un prix s’élevant à 1 million de dollars, pour trouver des solutions de déplacement aux travailleurs pauvres. South Bend fait partie des neuf villes qui ont décroché ce prix. Comme pour les précédentes éditions, le Bloomberg US Mayors Challenge met au défi les maires américains de développer des solutions innovantes. D’autres villes peuvent postuler pour celles qui semblent réplicables. Un premier round retient 35 villes, qui se verront offrir à la fois 100 000 dollars et une aide à la concrétisation du projet. Le second round récompense 9 de ces 35 villes, avec ce prix conséquent d’un million de dollars. Le maire Pete Buttigieg a déclaré que ce prix serait utilisé pour aider plus de personnes à avoir recours à un service de transport pour se rendre au travail, offrant une plus grande stabilité et générant des économies pour les employés comme pour les employeurs.